Le regain d’intérêt pour le baroque a permis à des chefs de se faire connaître, à des formations de voir le jour, à des œuvres de ressusciter et à des interprètes de prendre leur revanche. Longtemps écartés par quelques grandes mezzo-sopranos, les contre-ténors ont en effet désormais droit de cité jusque dans des répertoires où leur agilité et leur voix androgyne n’avaient plus cours : Philippe Jaroussky, Valer Sabadus, Xavier Sabata, Bejun Mehta, Max-Emmanuel Cencic et Franco Fagioli se partagent ainsi le gâteau et bénéficient d’une attention croissante du public.
Aujourd’hui bien lancée, la carrière de Franco Fagioli n’échappe pas à la règle ; présent sur scène dans de nombreux spectacles (le dernier en date était Eliogabalo de Cavalli à Garnier, quelques semaines après le très remarqué Trionfo del tempo e del disinganno de Haendel à Aix, réglé par Warlikowski), il profite également de sa position grâce à un contrat d’exclusivité conclu avec la maison de disque DG, qui croit en lui au point de lui avoir confié un plein programme Rossini.
Doté d’un large registre, d’un timbre étrange à l’aigu féminin, la voix du contre-ténor argentin surprend. Les vocalises sont plutôt exécutées avec facilité, mais dans l’air extrait de Demetrio e Polibio, « Pien di contento in seno », qui sera recyclé plus tard par son auteur dans La Gazza ladra pour devenir l’air de Pippo écrit à l’attention de la Pisaroni, celles-ci sont gâchées par une tendance au gloussement qui en affecte l’écoute. Fagioli en bon élève discipliné, fait son travail qu’il s’agisse de Matilde di Shabran ou d’Adelaide di Borgogna, œuvres de jeunesse sans réel génie, mais donne pour autant l’impression de se réfugier dans une surenchère d’ornementations qui tournent à vide et ne semblent pas le satisfaire pleinement. Pendant l’air alternatif de Tancredi « O sospirato lido » enregistré par Marilyn Horne en 1982 (CBS), composé pour Adelaide Malanotte à la création, mécontente du pourtant fameux « Di tanti palpiti », Fagioli ne peut s’empêcher de faire sa Bartoli, usant de respirations abusives, de préciosités, de retenues bien peu naturelles qui nuisent à l’ensemble, par ailleurs chanté sans variation de couleur, impression néfaste renforcée par la bien mauvaise direction de George Petrou. Dans la grande scène avec chœur d’Adelaide di Borgogna, jouée avec lourdeur par les pupitres d’Armonia Atenea, l’émission engorgée du contre-ténor est constamment brouillée, comme celle de la première Jennifer Larmore ou de Vivica Genaux, tandis que l’interprétation souffre d’une terrible monotonie.
La longue scène d’entrée d’Arsace « Eccomi alfine in Babilonia » dans Semiramide, porte un coup d’arrêt à cet album : Horne impériale dans ce rôle de guerrier à toutes les époques de sa vie (de 1963 à 1990), est indétrônable et ce n’est pas avec un ton salonnard et affecté, comme celui déployé ici, que l’on peut s’afficher dans un tel opéra et prétendre faire oublier les mezzos à qui ces rôles étaient autrefois confiés. Franco Fagioli a pourtant choisi d’aborder prochainement le rôle à la scène, à Nancy plus précisément au mois de mai : espérons que le chef Domingo Hindoyan saura l’entourer de toutes les attentions et que la production signée Nicola Raab comblera les lacunes grossies à la loupe par cet enregistrement de studio.