Thomas Adès (1971)
The exterminating angel (2016)

Opéra en trois actes, livret de Tom Cairns et du compositeur, d'après le scénario de Luis Buñuel et Luis Alcoriza
Créé au festival de Salzbourg le 28 juillet 2016

Tom Cairns (Mise en scène)
Hildegard Bechtler (Décor et costumes)
Jon Clark (Lumières)
Tal Yarden (Projections)
Amir Hosseinpour (Chorégraphie)

Joseph Kaiser (Edmundo de Nobile)
Amanda Echalaz (Lucia de Nobile)
Audrey Luna (Leticia Maynar)
Alice Coote (Leonora Palma)
Sally Matthews (Silvia de Ávila)
Iestyn Davies (Francisco de Ávila)
Christine Rice (Blanca Delgado)
Rod Gilfry (Alberto Roc)
Sophie Bevan (Beatriz)
David Portillo (Eduardo)
Frédéric Antoun (Raúl Yebenes)
David Adam Moore (Colonel Álvaro Gómez)
Kevin Burdette (Señor Russell)
Sir John Tomlinson (Doctor Carlos Conde)
Christian Van Horn (Julio)

Chœur et orchestre du Metropolitan Opera
Thomas Adès (Direction musicale)

1 DVD Erato 0190295525507 – 128 minutes + bonus de 15 minutes

 

Enregistré à New York, Metropolitan Opera, le 18 novembre 2017

Troisième œuvre lyrique de Thomas Adès, après Powder her face et The tempest, The exterminating angel est l’adaptation fidèle du long-métrage de Luis Bunuel sorti en 1962. Créée à Salzbourg en 2016, puis représenté à New York avant Londres avec une distribution renouvelée, cet opéra poursuit sa carrière grâce à cette publication en DVD sous étiquette Erato.

 

Tourné au Mexique avec peu de moyen juste après Viridiana (Palme d’or au Festival de Cannes 1961) et avant Le journal d’une femme de chambre, L’ange exterminateur de par son sujet, permet à Luis Bunuel de renouer avec le courant surréaliste dont il avait été l’un des figures majeures aux côtés de Salvador Dali dans les années trente. Un petit groupe de bourgeois invité à dîner après une représentation d’opéra, se retrouve dans l’incapacité absolue et inexplicable de satisfaire un désir simple : sortir d’une pièce. Cet étrange phénomène contraint alors ces êtres à vivre ensemble pendant quatre jours et quatre nuits dans une promiscuité de plus en plus insupportable. Fable sociale grinçante observée avec une féroce attention par l’auteur du Chien andalou, cette expérience cauchemardesque située dans une vaste demeure a servi de matière première au compositeur Thomas Adès qui vient de l’adapter avec succès pour la scène lyrique. Comme dans le film du cinéaste espagnol, on y retrouve cette atmosphère surnaturelle qui accompagne ce huis-clos dans lequel vont errer des personnages dont la résistance va être mise à l’épreuve. D’abord surpris de voir partir les uns après les autres leurs serviteurs, tous appelés à prendre la fuite sans explication plausible, les hôtes vont devoir gérer leurs invités qui, contre toute attente, ne se décident pas à rentrer chez eux. Dans un beau décor froid placé sur une tournette (Hildegard Bechtler) chaque convive, seul ou en couple, va ainsi être ausculté, la partition d’Adès s’amusant à décrire avec une précision diabolique les moindres traits de leurs caractères : la maitresse de maison Lucia, vite hystérique, ne s’exprime que dans l’aigu forte et sans faiblir (vigoureuse Amanda Achalaz), son état d’exaltation masquant mal son désir de tromper son époux Edmundo (fébrile Joseph Kaiser) ; Blanca, la femme seule (subtile Christine Rice) joue du piano, tandis que Beatriz (Sophie Bevan) et Eduardo (David Portillo) se draguent ouvertement. Malgré la fatigue personne ne peut rentrer chez soi et tous se voient obligés de passer la nuit dans ce salon. Adès, qui dirige son opéra avec une farouche énergie, traduit l’étrangeté de la situation par de mystérieuses sections musicales répétées d’où s’échappent les sonorités particulières des ondes Martenot. Au petit jour, une introduction lourde et angoissante aux allures martiales se fait entendre ; Lucia voudrait tant voir ses invités quitter son appartement, mais aucun ne peut s’y résoudre. Prise d’un accès de démence elle se rue sur Blanca pour la tuer, puis Julio (Christian van Horn) est frappé par un éclair bleu qui le tétanise. Adès cite alors Bartok à grand renfort de harpes célestes, comme lorsque Judith ouvre les portes du château de Barbe Bleue. Blanca de son côté est comme possédée, tandis qu’un des invités sombre dans le coma. Ensorcelée cette communauté semble s’enfouir inexorablement dans la folie. L’intervention de la police ne peut rien, celle-ci ne pouvant pénétrer dans la demeure. Hagards, décoiffés, les habits déchirés, sales, les personnages dans un état lamentable, affamés, finissent par exécuter des gestes mécaniques en ne rêvant que d’une chose, s’échapper de cet enfer : « Plutôt la mort que cette dépravation ». Plus loin Leonora dans un accès de fièvre blesse Blanca, un invité vole dans les airs avant que ne surgissent trois moutons. Alors qu’à l’extérieur les domestiques réapparaissent, Yoli le fils de Silvia (Sally Matthews) essaie de rejoindre sa mère avec l’aide d’un curé. Traumatisé par ce qu’il a vu, l’enfant ressort en courant ; à l’intérieur c’est la débâcle, tous dévorent autour d’un feu improvisé, transformés en bêtes sauvages. Certains sont retrouvés morts, puis c’est au tour d’un ours de faire son entrée, clin d’œil à la vache couchée dans un lit dans l’énigmatique Chien andalou. Le retour à la scène originelle autour du piano est rejouée, Blanca interprétant une douce mélodie de Paradisi. Laetitia réfugié dans un aigu acide (Audrey Luna) devient de plus en plus insupportable et c’est alors que le miracle opère. Le sortilège est rompu, tous les invités peuvent enfin sortir lentement, méconnaissables mais saufs, pendant qu’un glas sonne au loin. Créée à Salzbourg, repris à New York puis à Londres, cette production impressionne en raison de son originalité, de sa fidélité par rapport à l’original, de son envergure et de sa tenue. L’orchestre docile et nerveux, les interprètes qu’il faudrait tous mentionnés de Rod Gilfry à John Tomlinson, sans oublier Frédéric Antoun et Alice Coote (en lieu et place d’Anne-Sophie von Otter) et la mise en scène inspirée de Tom Cairns captée avec soin, concourent à la réussite de l’entreprise. Comme nous aurions aimé que l’Opéra de Paris y soit associé…

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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