Gioachino Rossini (1792–1868)

Petite Messe solennelle (1864)

 

Raquel Camarinha, soprano

Ambroisine Bré, mezzo-soprano

Paul Gaugler, ténor

Paul Gay, basse

Philippe Brandeis, orgue

 

Chœur régional Vittoria d’Ile-de-France

Münchner Symphoniker

Direction musicale : Lucie Leguay

Paris, Cathédrale Saint-Louis des Invalides, mardi 11 octobre 2022 à 20h

Solennelle, mais aussi pleine d’esprit et d’intensité expressive, la Petite Messe solennelle de Rossini ne manque jamais de séduire par l’élan et la ferveur qui s’en dégagent. Servie par un beau quatuor de solistes – Raquel Camarinha, Ambroisine BréPaul Gaugler et Paul Gay – l’œuvre aurait eu besoin d’un chœur plus solide pour entièrement convaincre. Mais les Münchner Symphoniker dirigés par Lucie Leguay offrent une prestation convaincante et bien menée, qui tient sans faiblir la tension musicale de cette partition.

Chœur régional Vittoria d’Ile-de-France, Münchner Symphoniker, Lucie Leguay 

Toute solennelle que soit cette « Petite Messe », Rossini n’a pas manqué d’y mettre l’esprit qui le caractérise, d’y jouer avec une frontière mince et malléable entre profane et sacré, et bien sûr d’y distiller les arrière-goûts opératiques dont il a le secret. Sans avoir évidemment le dramatisme du Stabat Mater (créé en 1841) ni ses grands effets expressifs, la Petite Messe solennelle se caractérise par une avancée constante, par une sorte d’arc narratif sans histoire dont la musique serait le seul moteur. On ne sait si Rossini a mis beaucoup de foi dans cette œuvre, mais en tout cas il y a mis de la ferveur – une ferveur intense, continue. « Peu de science, un peu de cœur, tout est là ! » écrit Rossini en dédicace : il montre pourtant en une heure et demie de musique qu’il n’avait rien perdu, trente-quatre ans après avoir mis, officiellement, fin à sa carrière, de la déconcertante impression de facilité avec laquelle se déploient ses œuvres.

Donnée à la cathédrale Saint Louis des Invalides dans sa version orchestrée, la Petite Messe solennelle est ici confiée aux mains de la cheffe Lucie Leguay. Révélée en 2018, à l’occasion du Tremplin pour jeunes cheffes d’orchestre organisé par la Philharmonie de Paris, Lucie Leguay montre à la tête des Münchner Symphoniker une attention toute particulière aux phrasés. Les dessinant avec soin, veillant sans cesse à la souplesse de la phrase, elle compense par cette attention les couleurs assez peu rossiniennes de l’orchestre. Ce dernier se montre certes solide, engagé, pouvant notamment compter sur des pupitres de violoncelles et de cuivres particulièrement expressifs ; mais il n’y a pas chez la phalange bavaroise l’italianité ni le brillant que l’on attend inévitablement dans la musique rossinienne. C’est une messe qui ne regarde donc pas vers l’opéra, ce qui n’enlève rien à la précision de l’orchestre ni à la qualité de ses nuances : sans jamais écraser les chanteurs, les musiciens se veulent moteur de l’œuvre et lui donnent sa densité, sans verser dans quelque forme de lourdeur que ce soit.  Lucie Leguay aurait même pu se permettre par moments une direction un peu plus rigide sans risquer d’alourdir l’ensemble. De manière générale, ce fut donc une interprétation tout à fait maîtrisée, à laquelle manquait seulement un peu de l’enthousiasme rossinien.

Nos réserves viennent plutôt du chœur Vittoria, un peu fragile pour une œuvre qui le sollicite autant. S’il ne démérite pas, il lui manque malgré tout des voix plus solides et sonores, notamment pour les passages fugués où les différentes voix ne sont plus suffisamment distinctes et audibles pour rendre clairement le contrepoint. Le « Gloria » (et toutes les pages construites sur le même thème) leur est beaucoup plus favorable, grâce à son caractère brillant et à une tessiture un peu plus aigüe qui permettent aux voix de s’épanouir et de profiter pleinement de l’acoustique de la cathédrale. L’orchestre est également un soutien de choix pour les choristes, leur offrant un tapis sonore généreux et bien phrasé, qui les engage à donner davantage d’intensité vocale.

Paul Gaugler, Paul Gay 

En ce qui concerne les solistes, le quatuor est sans aucun doute dominé par Ambroisine Bré : rondeur et homogénéité de la voix, legato, la mezzo-soprano fait entendre en solo comme dans les ensembles une musicalité exemplaire. L’ « Agnus Dei » lui donne évidemment tout particulièrement l’occasion de déployer ses moyens vocaux, impressionnants de maîtrise technique comme de sensibilité musicale.

Paul Gay fait quant à lui entendre comme toujours une voix assurée et un chant assez souverain, tout de solidité et de projection. Il aurait pu privilégier davantage les nuances et la délicatesse dans l’expression ; mais il demeure une valeur sûre de ce quatuor de solistes, notamment dans les ensembles où il a tout loisir de faire retentir sa voix. Le public semble retenir son souffle dans le « Quoniam », comme hanté par la profondeur de ce timbre.

A côté de tant d’ampleur vocale, la soprano Raquel Camarinha paraît inévitablement un peu en retrait. Le timbre est très beau, et la soprano possède une belle palette de couleurs ; elle fait preuve également d’une délicatesse indéniable dans le dessin des phrases. On regrette donc qu’il faille attendre le « O salutaris Hostia » pour profiter pleinement de ces qualités : non parce qu’elle ne les possédait pas auparavant, mais parce qu’elles peinaient à se déployer au sein des ensembles, où les autres solistes avaient tendance à prendre le dessus – notamment Paul Gaugler, venu remplacer au pied levé Florian Cafiero initialement prévu. La vaillance du ténor n’allait pas sans quelques tensions et une voix souvent engorgée ; mais ne sachant s’il faut l’attribuer uniquement à la technique du chanteur ou aussi au peu de temps de préparation qui lui a été accordé, on soulignera davantage la densité et l’engagement de son chant, ainsi que la solidité du soutien dans un air aussi exigeant que le « Domine Deus ».

Enfin, on citera le superbe offertoire interprété par Philippe Brandeis, titulaire de l’orgue de Saint Louis des Invalides. Muscalité, lyrisme, expressivité, c’est peut-être de l’orgue que proviennent les couleurs les plus opératiques du concert. Un moment suspendu qui complète une soirée réussie, malgré les quelques réserves émises – qui n’ont rien enlevé à la force expressive de la Petite Messe solennelle.

Raquel Camarinha, Ambroisine Bré 
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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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