"Le jeu magique : Une flûte enchantée pour les enfants" (en allemand)
d'après l'opéra Die Zauberflöte de Wolfgang Amadé Mozart,
pour six chanteurs, piano et percussion,
arrangé par Julian Metzger et Margrit Dürr

Direction musicale : Carl Augustin
Mise en scène : Sascha Mink
Décors et costumes : Katia Diegmann
Percussions : Peter Bauer
Piano : Andrea d'Amico

Marie Sofie Jacob (Königin der Nacht, 1. Dame, Papagena)
Marlene Metzger (Pamina & 2. Dame)
Margrit Dürr (3. Dame)
Tobias Zepernick (Tamino)
Kolja Martens (Papageno)
Tobias Hagge (Sarastro)

Une production du Taschenoper Lübeck (Opéra de poche de Lübeck)

Lucerne, KKL, samedi 10 septembre 2022, 14h

Si le Festival de Lucerne présente rarement des opéras, et toujours en version de concert, il propose un programme de concerts familiaux et a déjà fait appel au Taschenoper Lübeck, l’opéra de poche de Lübeck, pour présenter des adaatations pour enfants.  C’est le cas de cette Zauberflöte pour jeune public, ce qui peut paraître surprenant puisque c’est un opéra qui traditionnellement est proposé à Noël dans la plupart des théâtres de l’aire germanophone comme si l’œuvre était destinée aux enfants. La complexité même de l’opéra célébrissime de Mozart n’en fait pas a priori un opéra « jeune public ». Et c’est sans doute ce qui a induit la troupe de Lübeck à en présenter une version spécifique pour les enfants, dans la deuxième salle du KKL (la Luzerner Saal). Voilà qui nous permettra de faire le point ou d’ouvrir une réflexion sur le moyen d’attirer un jeune public vers le lyrique.

 

Premières images du spectacle

La question du jeune public (les enfants) est peut-être moins prégnante que celle du public jeune (les 15–30 ans) à l’opéra. Le succès des opéras jeune public du Festival de Bayreuth, avec des moyens importants, montre que même Wagner, même le Ring peuvent être adaptés pour du jeune public et c’est ce à quoi s’est attachée Katharina Wagner qui désormais présente chaque année une version « enfants » d’un opéra de Wagner.
Au Taschenoper Lübeck, les moyens sont moindres, mais pas l’ambition, puisqu’avec quelques musiciens, et un outillage scénique minimal, cela fonctionne bien auprès des enfants comme l’a encore montré cette version adaptée de La flûte enchantée intitulée Das magische Game – eine Zauberflöte für Kinder (le Game magique – Une flûte enchantée pour enfants).

Le livret de La Flûte enchantée pose problème, certains personnages sont ambigus (à commencer par Sarastro et la Reine de la Nuit, que Carsen dans sa mise en scène rendait complices…) et il n'est dramaturgiquement pas toujours logique. Aussi les adaptateurs du Taschenoper Lübeck, Julian Metzger et Margrit Dürr, ont tout remis à plat pour essayer de construire un récit qui puisse non seulement être compréhensible à un jeune public, mais aussi accrocher leur attention au-delà des 45 minutes pendant lesquelles ils sont censés tenir.
Les enfants, dont une partie s’est spontanément installée sur des coussins devant les gradins, tout près des chanteurs et musiciens et l’autre dans les gradins avec leurs familles, sont effectivement attentifs, très attentifs pendant la première partie, puis, entre ceux qui veulent aller faire pipi et ceux qui commencent à circuler d‘un point à l’autre, on sent l’attention se relâcher un peu, mais il faut souligner que globalement, c’est très loin d’être aussi agité que certaines de nos séances parlementaires.

Tamino en héros de videogame (Tobias Zepernick), derrière Pamina (Marlene Metzger) et en arrière plan Sarastro (Tobias Hagge)

L’histoire a été simplifiée comme suit : Tamino s’ennuie et pour tromper cet ennui, il joue à des jeux vidéos où il devient un héros sans peur et sans reproche, mais où est la frontière entre le virtuel et le réel ? Il vit des aventures aux limites de la confusion où le monde virtuel et le monde réel se disputent comme dans le livret original la reine et Sarastro. Alors, les adaptateurs ont un peu bouleversé l’ordre des scènes et des airs, pour donner une autre logique au récit, et font de Sarastro une sorte de Monsieur Loyal qui chante et intervient auprès des enfants pour stimuler leur attention, pour interagir avec eux, ce que font aussi les autres et notamment Pamina.
L’espace scénique est limité à Jardin par le piano, à Cour par les percussions, et le quatrième mur est en permanence traversé pour arriver auprès des enfants et à les faire participer. L'espace est aussi habité par trois colonnes lumineuses légères qu’on bouge et dont l’éclairage varie, avec quelques projections et quelques ombres portées, notamment au moment du deuxième air de la Reine de la Nuit (Der Hölle Rache..). Ça fonctionne, la récit est quelquefois interrompu par des changements minimaux et des déplacements des dites colonnes, mais dans l’ensemble les choses sont assez fluides et surtout l’interaction avec le public (adultes comme enfants) est permanente.

Interaction avec le public sous la direction de Tobias Hagge (Sarastro)

on lui (nous) fait chanter l’air du Glockenspiel que chantent Monostatos et les esclaves, avec gestes à l’appui et ce public disponible s’exécute volontiers.Das klinget so herrlich, das klinget so schön !
La ra la la la la ra la la la la ra la.
Nie hab' ich so etwas gehört und geseh'n !
La ra la la la la ra la la la la ra la.
(Il sonne si bien, sonne si joliment !
La ra la la la la ra la la la la ra la.
Jamais je n'ai rien vu ni entendu de semblable !
La ra la la la la ra la la la la ra la.) 

Musicalement, comme souvent dans les opéras de poche, l’orchestre est un format très réduit, ici essentiellement remplacé par un piano et des percussions, et l’ordre des airs est bouleversé.

Les trois dames

Seul le tout début avec l’ouverture et l’apparition du Dragon (très bien fait d’ailleurs par le regroupement des trois dames sous un habit unique à multiples bras) sont maintenus, et un personnage comme Papageno apparaît non plus au début de l’œuvre, mais assez longtemps après le début.
Du point de vue du chant, six participants pour tous les rôles, réduits aux trois dames, à la reine de la nuit, à Pamina, Papagena, et pour les hommes à Tamino, Papageno, Sarastro. La plupart des airs importants de ces personnages sont présents, mais raccourcis, sans sacrifier d’ailleurs ce qui peut faire leur difficulté (les aigus de la Reine de la nuit). Le Taschenoper Lübeck n’a pas de troupe et les chanteurs sont tous de jeunes artistes à peine entrés dans la carrière. Dans l’ensemble les voix masculines sont moins « aguerries » que les féminines, même si tous (et c’est essentiel pour la compréhension des enfants) ont une diction très claire et un phrasé correct. Le Sarastro (plus baryton que basse) un peu plus âgé de Tobias Hagge fait de Sarastro un Monsieur Loyal que nous avons évoqué et ses interventions chantées restent limitées sans que la voix ne frappe particulièrement. Plus musical nous est apparu le Papageno de Kolja Martens, joli timbre de baryton, mais la voix manque de projection et de puissance. Plus de projection dans la voix de ténor de Tobias Zepernick, avec une certaine technique, et un jeu très naturel, mais un timbre très nasal et des problèmes d’intonation et de stabilité vocale dans les passages.
Les rôles féminins sont essentiellement partagés par Marie Sofie Jacob (Reine de la nuit, 1ère dame, Papagena) et Marlene Metzger (Pamina, 2ème dame), la troisième dame très épisodique étant confié à Margrit Dürr qui a co-conçu les arrangements.
Marie Sofie Jacob chante les deux airs de la Reine de la Nuit avec une voix bien placée, un bel appui, des aigus sûrs et une très belle musicalité. Certes, il faudrait entendre cette voix dans une salle plus grande pour en apprécier le volume réel, mais telle quelle, sa Reine de la Nuit est mieux chantée que chez bien des professionnelles plus avancées dans la carrière. En tous cas, ce serait un nom à suivre.

Pamina (Marlene Metzger)

Même remarque pour la Pamina de Marlene Metzger : belle musicalité, très beau phrasé, diction impeccable et une certaine intensité dans le chant qui en fait une Pamina très séduisante. Ces deux performances nous montrent l'exigence de proposer pour ce public des jeunes voix de qualité.
Au total 75 minutes qui passent assez rapidement, même si l’adaptation dramaturgique n’a pas toujours réussi à maintenir la tension et l’attention de manière continue. Mais les enfants étaient visiblement ravis, notamment lorsqu’à la sortie, toute la troupe s'est présentée dans le hall au moment où les familles sortaient. Joli moment qui parie sur l’avenir de l’opéra.

Sarastro (Tobias Hagge) s'adresse aux enfants et Pamina (Marlene Metzger) au milieu d'eux

C’est bien la question par laquelle nous aimerions conclure. Si la forme de l’opéra pour enfants existe (régulièrement à Lyon par exemple), on remarque en France plus souvent des créations spécifiques d’œuvres originales pour jeune public que des propositions autour d’adaptations de répertoire. L’offre jeune public existe à peu près partout dans le domaine du théâtre, mais elle n’est pas homogène, et il y a aussi bien de grosses structures comme le Théâtre Nouvelle Génération à Lyon que des structures plus éphémères. Et la plupart concernent le théâtre et non l’opéra. C’est pourtant un filon intéressant que de créer un opéra de poche : Patrice Martinet s’y est essayé à l’Athénée à Paris, en ouvrant son merveilleux théâtre à des opéras en format réduit, avec beaucoup de succès, mais l’Athénée restait un théâtre ouvert à tous les genres.
En Allemagne, en dehors du TOL – Taschenoper Lübeck, il y a à Nuremberg le POC (Pocket Opera Company) qui existe depuis bientôt cinquante ans et qui présente aussi bien des créations que du répertoire, et notamment du « lourd », leur Ring de Wagner en quatre heures est référentiel et cet automne ils présentent Siegfritz Idyll un spectacle de rue autour de Wagner dans une quartier de Nuremberg appelé « Nibelungenviertel » (le quartier des Nibelungen). Il y a sans doute d’autres structures moins connues, mais on doit évoquer de nouveau les œuvres de Wagner adaptées pour les enfants à Bayreuth, avec orchestre et chanteurs du Festival, une idée de Katharina Wagner qui est vraiment une réussite et dont la presse parle peu hélas.
La question est de savoir sous quelle forme l’opéra peut arriver aux enfants, et surtout les séduire : en dehors de créations spécifiques confiées à des compositeurs d’aujourd’hui, il y a dans le répertoire lyrique très large des histoires qui pourraient séduire un jeune public et qu’on pourrait adapter pour eux. J’avais vu l’an dernier à Lucerne, toujours par le Taschenoper Lübeck, Hansel et Gretel, l’autre opéra must de Noël que tous les enfants connaissent, mais il y a dans le grand répertoire traditionnel des œuvres qui pourraient aussi être adaptées comme Cenerentola, ou Midsummer Nights’s dream de Britten, Freischütz de Weber etc… Mais cette inspiration-là ne vient pas aux managers d’opéra qui ne se pressent pas pour passer ce type de commandes. Il est vrai que dans le paysage managérial actuel, ce n’est pas l’imagination qui est au pouvoir, mais une désespérante routine. La préparation du public de demain, l’installation dans les têtes d’un certain répertoire, c’est une utopie, c’est même un boulet à traîner pour certains qui préfèrent penser à leur prochaine Tosca

Alors, il faut saluer ces institutions qui donnent à l’opéra une autre couleur, avec une vraie dignité artistique comme le Taschenoper Lübeck, c'est ce qui justifie cet article..
Et pourtant, j’ai vu dans ma carrière professionnelle une enseignante (française) de premier degré qui apprenait à ses élèves parmi les chants de son programme « Steuermann lässt die Wacht », le chœur du 3ème acte du Fliegende Holländer et certains de ses anciens élèves s’en souviennent encore… Y aurait-il de l’espoir ?

Saluts de la troupe
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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