Œdipe roi
de Sophocle
D’après la traduction de Bernard Chartreux
Adaptation et mise en scène de d’Éric Lacascade

Collaboration artistique : Leslie Bernard, Jérôme Bidaux, Maija Nousiainen
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumières : Stéphane Babi Aubert
Son : Marc Bretonnière
Costumes : Sandrine Rozier, assistée de Marie-Pierre Callies
Régie générale : Olivier Beauchet Filleau

Avec :

Emile Abossolo Mbo, Messager
Alexandre Alberts, Chœur
Leslie Bernard, Chœur
Alain d’Haeyer, Tirésias
Christophe Grégoire, Œdipe
Jérôme Bidaux, Créon
Christelle Legroux, Messager
Agnès Sourdillon, Jocaste

Production : Compagnie Lacascade, Le Printemps des Comédiens

Coproduction : Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France, La maison de la culture de Bourges – Scène nationale, Théâtre de Caen, Magnificient Culture Beijing

 

 

 

Montpellier, Théâtre de l’Agora, samedi 4 juin, 22h

Dans le somptueux couvent des Ursulines, c’est une autre tragédie qui se joue, plus rythmée, plus vivante, plus implacable. Avec sa vaste scène en prise directe avec les gradins, véritable agora, le décor appuie le propos : d’emblée, Œdipe s’adresse au public, le prend à témoin, l’interroge. La place de Thèbes est figurée par d’imposants blocs de marbre, disposés ça et là, sur une (fausse) herbe sombre et du sable épars. Selon son imagination, on y verra des rambardes, un banc, une colonne des tombes peut-être. Décor à la fois désolé et apaisé. 

Cette minéralité sied à la Thébaïde et la nuit tombée enveloppe déjà le drame à venir. D’un de ces blocs, Créon fera un possible billot, offrant sa tête à Œdipe qui doute de sa droiture.
Les costumes sont élégants, sans superflu. Amples et simples, ils dessinent des silhouettes fantomatiques, évoquant furtivement des drapés cérémonieux, comme une assemblée de prêtres officiant. Les couleurs, bleu nuit pour Jocaste et Œdipe, taupe pour Créon, beige pour Tirésias, n’ont d’autre importance que les ombres qu’elles accrochent à tout instant.

Œdipe roi, © Marie Clauzade

Les Ursulines ont de vastes murs. Tirésias s’y accroche péniblement, puis s’en écarte et heurte à plusieurs reprises les blocs de marbre, pendant qu’il déroule, d’une voix désolée sa terrible prophétie. Les Ursulines offrent des recoins : Œdipe y court serrer ses enfants, le chœur s’y emploie à brûler des encens – l’odeur frappe en entrant – et harangue son souverain, du haut des gradins, ou à quelques pas de la scène. Solennelle, âpre, cette proximité, presque une immersion, est revendiquée. Éric Lacascade a voulu un chœur qui soit « porte-parole du public, de l'assemblée à laquelle s'adresse directement Œdipe dès le début de la pièce, réuni pour que les problèmes rencontrés dans la cité soient résolus par ceux qui gouvernent. "A la grecque". »

Alexandre Alberts et Leslie Bernard se répondent. Lui, avec une voix qui porte haut, emplie d’autorité et de droiture. Elle, avec la sincérité et l’exigence d’un peuple qui espère encore. Leur jeunesse est un choix politique, « dans cette histoire de héros matures, pour ne pas dire âgés. Ce sont eux qui vont poser l'essentiel des questions au pouvoir politique, telle une génération qui s’adresse à une autre, en demandant : qu’avez-vous fait de la Cité ? »

Le dispositif tire sa force de sa simplicité et d’une certaine étrangeté : du haut de l’arène, des coursives ou de la scène, un faux dialogue se noue entre le peuple et Œdipe car ce dernier s’adresse davantage au public qu’aux autres comédiens. Comme si le roi de Thèbes refusait à nouveau d’entendre ce qui lui était dit, retrouvant au moment de vérité, une manière de déni. Que la mise en scène accentue encore en laissant le plus souvent Œdipe isolé, occupant seul l’espace. Roide, Christophe Grégoire restitue sobrement les tourments qui s’emparent du souverain : l’incrédulité n’amène qu’une colère sourde, les lamentations qui accompagnent la révélation d’un destin tragique sont mesurées, comme s’il fallait malgré tout rester digne. Il faudra attendre le dernier épisode pour que jaillisse la tragédie, que l’acteur rende justice à l’homme, celui qui un court instant demande à prendre une ultime fois ses enfants dans ses bras, et leur chantonne quelque rassurante berceuse. Alors, le visage et les vêtement rougis du sang de ses yeux crevés, Œdipe paraît paradoxalement avoir trouvé une forme d’apaisement.

La lecture d’Éric Lacascade rend palpable la force d’un texte qui a traversé les siècles, la tragédie des tragédies. Tissant une atmosphère solennelle, peuplée de silhouettes marmoréennes, il évite l’écueil d’une illustration muséifiée et parvient à restituer la force théâtrale voulue par Sophocle. Déni, doute, soulagement, accablement : l’enchaînement des faits est implacable qui conduit à l’affaissement du corps d’Œdipe, sous le poids de la culpabilité, avant même sa mutilation. En quelques heures, Œdipe passe d’un pouvoir total, absolu, à l’inexistant, la perte de soi. Le mythe a sa part d’humanité.

Œdipe roi, © Marie Clauzade

Il faut, aussi, rendre hommage aux comédiens d’avoir su se jouer d’une adversité inattendue. En contrebas du couvent des Ursulines, quelques punks à chiens, une spécialité locale, s’ingénient à faire hurler leurs compagnons de trottoirs. Aboiements intempestifs et voies éraillées s’élèvent continûment, troublant souvent les spectateurs, jamais les acteurs, qui demeurent impassibles et peut-être même y trouvent une énergie supplémentaire, qui renforce et assure la voix qu’il faut alors quelque peu forcer pour que les Labdacides triomphent de ces béotiens.

 

 

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1 COMMENTAIRE

  1. Tu fais regretter de ne pas y avoir assisté, Jean ‑Marc, mais apprécier la subtilité de ton écoute-regard ! Grand texte et, semble-t-il, excellente mise en scène et interprétation…

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