Giacomo Meyerbeer
L'Africaine
Avant-Scène Opéra n° 322.  Extraits audio avec l'Appli ASOpera
Mai-juin 2021, 28 euros. ISBN 978–2‑84385–377‑7

L'œuvre

- Olivia Pfender
– Stephan Etcharry
– Livret d'Eugène Scribe

Regards sur l’œuvre

- Camoens
- Louis Bilodeau
– Rémy Campos
– François Joseph Fétis
– Didier Van Moere
– Vincent Agrech

Écouter voir et lire

– Didier van Moere
– Olivia Pfender

 

Parution du n°322 de l'Avant-Scène Opéra, mai-juin 2021, consacré à L'Africaine de Giacomo Meyerbeer

Opéra disparu de la programmation à Paris depuis plus d’un siècle, L’Africaine n’en connaît pas moins un (relatif) regain d’enthousiasme à l’étranger, et c’est en Allemagne qu’on a pu voir une version revenant aux intentions de Meyerbeer (à Chemnitz en 2013), ou des productions innovantes (Berlin 2015, Francfort 2018…). Même si rien ne garantit hélas que le spectacle initialement prévu à Marseille ce mois de juin revienne à l’affiche une autre saison, cette actualité française de Meyerbeer nous vaut au moins l’arrivée d’un nouveau volume de L’Avant-Scène Opéra.

En 2018, l’Opéra de Francfort confiait à Tobias Kratzer une nouvelle production d’une œuvre rarement donnée sur cette scène, si tant est qu’elle y ait jamais été donnée auparavant : L’Africaine de Meyerbeer. Confronté à ce titre, le metteur en scène allemand opta pour une solution radicale, quelques mois après La Bohème dans l’espace proposée par Claus Guth à l’Opéra de Paris. Sélika y devenait radicalement étrangère, autre, alien même, puisqu’elle était extra-terrestre. Et à ce titre, elle avait la peau bleue, comme les Schtroumpfs ou, plus sérieusement, comme les personnages du film Avatar. (Voir notre compte rendu ci-dessous)

En effet, à l’heure où le susdit Opéra de Paris commissionne un Rapport sur la diversité telle que cette valeur se manifeste entre ses murs, le testament meyerbeerien peut-il encore avoir une légitimité ? Peut-il échapper à l’accusation d’appropriation culturelle ? A qui peut-on confier le rôle-titre sans être taxé de racisme ? Dans son numéro 322, en vente le 5 mai, L’Avant-Scène Opéra a judicieusement donné la parole à Vincent Agrech à ce sujet. Si L’Africaine reste hélas une rareté, on sait avec quelle acuité le problème se pose pour Aida, ou même pour Mohammed, celui que l’on n’ose plus appeler le négrillon de la Maréchale : « Importé dans son boudoir par une aristocrate viennoise vieillissante ou surpris chez lui par un conquérant qui a traversé la moitié du globe, le corps exotique, dans l’entre-deux où les mots s’incarnent en une représentation scénique, cristallise les clichés et stéréotypes où se mêlent le dégoût et le désir, la peur et l’admiration ». Le brou de noix et autres maquillages sont désormais proscrits, on ne s’en plaindra pas (et La Fenice a montré qu’on pouvait imaginer une Butterfly où le dialogue entre colon et colonisé ne passe pas par le recours au fond de teint jaune), en attendant que des émissaires de quelque planète lointaine ne viennent se plaindre de l’outrage que constituera pour eux le blueface.

Chaque fois qu’un nouveau titre fait son entrée dans ce temple qu’est l’ASO, on s’étonne de constater qu’il n’y avait pas trouvé sa place jusque-là. En effet, L’Africaine manquait encore et vient compléter la Tétralogie meyerbeerienne, inaugurée en 1985 avec Robert le diable, représentations à Garnier obligent, qu’avaient suivi Les Huguenots en 1990 (édition révisée en 2018 quand l’œuvre fut accueillie à Bastille), et en 2017 par Le Prophète (merci au Capitole de Toulouse). En attendant que le compositeur ait son Bayreuth ou son Pesaro, qui pourrait soutenir une « Meyerbeer Renaissance » encore timide, le spectacle prévu cette fin de saison à Marseille aurait dû permettre au public français de retrouver un opéra qui ne lui a plus été présenté depuis près de vingt ans, les dernières représentations sur notre territoire remontant à 2004, à Strasbourg, et auparavant, à 1964, à Marseille déjà. La distribution entièrement francophone faisait rêver (après son triomphe in loco dans La Reine de Saba, Karine Deshayes aurait pu être une fort belle Sélika), la mise en scène signée Charles Roubaud s’annonçait nettement moins enthousiasmante, mais on espère quand même que le projet renaîtra, quitte à se métamorphoser en version de concert. Quant à une Africaine à Paris, on ose à peine en rêver, puisqu’elle s’en est envolée depuis plus d’un siècle (au chapitre « pinaillages divers », on regrettera que la rubrique « L’Œuvre à l’affiche » soit aussi succincte, car sans viser l’exhaustivité, elle aurait au moins pu préciser de quand datait les ultimes représentations parisiennes, information qu’on trouvera dans la Discographie : 1902 !).

Car ce que rappelle et prouve Stéphan Etcharry dans son « Introduction et Guide d’écoute », c’est que L’Africaine est une œuvre qui mérite de revenir au répertoire, pour ses qualités intrinsèques, tant musicales que théâtrales, ces dernières ayant été jusqu’ici particulièrement mal servies par le DVD. Sur le plan vocal, aucune intégrale ne s’impose à l’évidence, et l’on peste une fois de plus en constatant que l’école française de chant avait les interprètes adéquats (Philips concéda chichement un disque d’extraits à Tony Poncet) et le chef idoine (Jean Périsson, qui dirigea l’œuvre  à San Francisco). Car c’est grâce aux chanteurs que l’œuvre jeta ses derniers feux dans les années 1970–80, quand Plácido Domingo trustait le rôle de Vasco de Gama, aux côtés de partenaires comme Montserrat Caballé, ou surtout Grace Bumbry et Shirley Verrett. (Nouveau – petit – pan sur le bec pour « L’Œuvre à l’affiche » : la page 134 du volume fait apparaître trois fois la production de San Francisco en 1972 et deux fois celles de 1977, 1978 et 1988, nous laissant dans l’ignorance de ce qui fut joué dans le monde entre 1988 et 2004).

Si l’on ajoute que Jessye Norman fit à 25 ans sa prise de rôle au Mai Musical Florentin, il ne faut pas être grand clerc pour remarquer que Sélika fut un temps l’apanage de cantatrices afro-américaines, paradoxe pour une héroïne qui n’a en réalité rien d’africain, mais aurait plutôt dû venir du sous-continent indien. L’Africaine n’est en effet qu’un working title de ce qui aurait dû finalement s’appeler Vasco de Gama, si les deux pères de cet opéra n’étaient décédés avant sa première : Scribe, le librettiste, en 1861, et Meyerbeer en 1865 (voir l’article que Louis Bilodeau consacré à cette gestation compliquée, et surtout très longue, puisque la conception du projet remonte à 1837 !). La création en 1865 ne donnait à entendre que les deux tiers de la partition, suite aux exigences de différents corps de métier qui refusaient une soirée durant entre sept et huit heures, notamment à cause de décors particulièrement lourds, synonymes d’entractes interminables. On regrette que les contraintes de place liées au nouveau format plus aéré de l’Avant-Scène Opéra n’aient pas permis de reproduire tout le texte coupé lors de la première parisienne. Rémy Campos explique pourquoi le choix des passages à couper fut confié au critique et musicologue  François-Joseph Fétis, « Belge déconcertant » dont il a publié une biographie il y a quelques années, plutôt qu’à un des illustres confrères de Meyerbeer. Judicieuse idée que celle de reproduire la préface ajoutée par Fétis à l’édition originale de la partition chez Brandus, où il justifie ses interventions.

Non content de signer la discographie et la vidéographie, Didier Van Moere s’interroge aussi sur le profil vocal des principaux rôles. Peut-être en partie à cause de la longue durée de la composition de l’œuvre, Sélika appelle des qualités contradictoires, puissance dans le grave et légèreté dans l’aigu, comme si Meyerbeer voulait que son Africaine soit à la fois Valentine et Marguerite des Huguenots. Désigné comme « fort ténor » tout comme Sélika est destinée à une « forte chanteuse », Vasco est tout sauf un Heldentenor wagnérien (même si, en 1927, Georges Servières se plaisait à imaginer que la scène finale, où l’héroïne meurt sous l’ombre délétère d’un mancenillier, avait pu être influencée par la mort d’Isolde). Vaillance et douceur sont les vertus que doit posséder l’interprète. Quant au baryton auquel est confié Nélusko, il ne doit pas braire comme une brute – contrairement à ce que certains titulaires du dernier demi-siècle semblent avoir cru – mais faire preuve de virtuosité et de mordant. Maintenant, vous comprenez peut-être mieux pourquoi on ne voit pas plus souvent L’Africaine sur nos scènes…

Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Article précédentPuisque ce n'est qu'un rêve…
Article suivantLa femme des sables

Autres articles

1 COMMENTAIRE

  1. Il faut rendre hommage au Deutschoper de Berlin d’avoir programmé les cinq opéras principaux de Meyerbeer dont une Africaine originelle ( Vasco de Gama ), et en français ( la dernière production des Huguenots était en allemand).
    Bien à vous
    Gérard Lattuati

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici