Jean de Cambefort, Antoine Boësset, Louis Constantin, Michel Lambert, Francesco Cavalli, Luigi Rossi

Le Ballet royal de la Nuit (1653)

Grand divertissement pour le jeune Roi Soleil ; textes d’Isaac de Benserade 

Mise en scène : Francesca Lattuada
Costumes : Olivier Charpentier et Bruno Fatalot
Lumières : Christian Dubet
Maquillage/coiffures/perruques : Catherine Saint-Sever
Vidéo : Aitor Ibanez

 

Lucile Richardot (La Nuit, Vénus)
Violaine Le Chenadec (Une Heure, Cintia, Une Grâce française)
Caroline Weynants (Eurydice, Une Grâce française, Une Grâce italienne, Une Ombre errante)
Ilektra Platiopoulou (Junon)
Caroline Dangin-Bardot (Vénus, Le Silence, Une Grâce italienne)
Perrine Devillers (Pasitea, Mnémosyne, L’Aurore)
Déborah Cachet (La Lune, Déjanire, Une Grâce française, La Beauté, Une Ombre errante)
David Tricou (Apollon, Une Ombre errante, Une Grâce italienne)
Etienne Bazola (Le Sommeil, Un suivant de Vénus, Une Ombre errante)
Renaud Bres (Hercule)
Nicolas Brooymans (Le Grand Homme)
Sean Patrick Mombruno (danseur)
Jive Faury, Yan Oliveri, Vincent Regnard (jongleurs)

Julien Amiot, Marianna Boldini, Pierre-Jean Bréaud, Pablo Monedero de Andrès, Frédéric Escurat, Alexandre Fournier, Leticia Garcia, Pierre Le Gouallec, Caroline Le Roy, Michaël Pallandre, Jordi Puigoriol, Etienne Revenu (acrobates)

Chœur et orchestre Ensemble Correspondances

Direction musicale : Sébastien Daucé

 

Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 7 octobre 2020, 19h30

C’est un spectacle qui avait fasciné lors de sa création en 1653, et séduit lors de sa recréation en 2017 : Le Ballet royal de la Nuit retrouve le chemin de la scène et fait revivre, dans une partition reconstituée et complétée par Sébastien Daucé, ce grand divertissement écrit à la gloire de Louis XIV. Alors âgé de quinze ans, le monarque y dansait et se mettait en scène sous la figure du soleil chassant la nuit. Plusieurs siècles plus tard, Francesca Lettuada convoque danseur, jongleurs et acrobates dans un spectacle incroyablement inventif et qui bénéficie très beaux costumes et lumières. Musicalement, le plateau vocal est tout à fait convaincant et Sébastien Daucé insuffle à la représentation une énergie qui a enthousiasmé le public du Théâtre des Champs-Elysées.

 

Grand ballet Royal de la Nuit : Lever du soleil

Le Ballet royal de la Nuit est une œuvre bien connue des historiens, mais qui demeura longtemps un mystère pour les musiciens et les auditeurs. Donné à sept reprises au début de l’année 1653, ce ballet est resté célèbre non seulement pour la magnificence visuelle qu’il déployait – grâce aux dessins des décors et des costumes qui nous sont parvenus – mais surtout pour l’ambition politique qu’il portait : le Ballet royal de la Nuit est le récit de l’obscurité laissant place à la lumière, de la nuit vaincue par l’apparition du soleil, et donc, métaphoriquement, de la France éblouie par le pouvoir absolu de Louis XIV. Métaphoriquement disons-nous, mais la métaphore était plus que limpide puisque le roi dansait lui-même dans le spectacle et apparaissait à la scène finale dans un superbe costume de soleil (dessiné probablement par Henri de Gissey). Il avait alors quinze ans. Coup de génie politique signé Mazarin alors que la Fronde venait de prendre fin, ce ballet marque les esprits et il n’est pas une biographie de Louis XIV qui ne mentionne l’événement comme la première grande affirmation de l’absolutisme du jeune monarque, et la naissance du Roi Soleil.

On parle beaucoup du Ballet royal de la Nuit, mais on ne le joue pas : il a fallu attendre le remarquable travail de Sébastien Daucé, présenté pour la première fois en novembre 2017 au Théâtre de Caen, pour faire de nouveau entendre cette musique restée dans le silence depuis 1653. Œuvre collective, le ballet original est composé à partir de textes d’Isaac de Benserade par Jean de Cambefort, Antoine Boësset, Louis Constantin et Michel Lambert, et Sébastien Daucé le reconstitue tout en y intégrant des extraits de l’Orfeo de Rossi et de l’Ercole amante de Cavalli lorsqu’il est question de ces deux personnages dans le livret. Reconstitution et pastiche, français et italien mêlés, c’est un travail de longue haleine que le chef a effectué et qui se déploie en une série d’airs et entrées variés, dynamiques, et qui nourrissent sans temps mort un peu plus de trois heures de spectacle.

Mais la variété et le dynamisme sont aussi l’œuvre du metteur en scène Francesca Lattuada qui réinvente ce ballet pour le public d’aujourd’hui, mêlant clins d’œil à la période baroque et un imaginaire beaucoup plus contemporain. Ce n’est pas réellement une histoire qui est racontée dans le livret ; c’est une galerie de personnages allégoriques, mythiques, voire réels qui se succèdent sur la scène. Pas de direction d’acteurs à proprement parler donc, bien peu de psychologie des personnages, mais un spectacle tout entier dans l’effet et le plaisir visuel et auditif. Francesca Lattuada fait ainsi appel à trois jongleurs, douze acrobates et un danseur pour construire une succession de tableaux tous plus frappants et originaux les uns que les autres, servis par les costumes extraordinaires d’Olivier Charpentier et Bruno Fatalot, et les magnifiques lumières de Christian Dubet.

Le ballet est constitué de quatre « veilles », la première mettant en scène La Nuit, interprétée par Lucile Richardot ; une nuit toute de noir vêtue, complètement démesurée, immense, dominant la scène plusieurs mètres au-dessus du sol. On aurait difficilement pu imaginer meilleure interprète tant la voix est sombre, feutrée, autoritaire aussi ; et à cette nuit imposante succède toute une série de personnages fantasques : des sirènes, des chasseurs sans bras à tête de cyclope, des bandits sur roulettes, des coquettes qui seraient une version baroque d’Harley Quinn, Mnémosyne sur une balançoire, ou encore Elisabeth II en chaise à porteurs. Ajoutez à cela la confusion des genres – hommes jouant des femmes et réciproquement –, et vous obtenez une vague idée de la débauche de fantaisie, de couleurs et de surprises offertes par le spectacle.

Sean Patrick Mombruno

Mais cette première veille voit aussi apparaître pour la première fois le « roi », ou du moins son double contemporain, en la personne du danseur Sean Patrick Mombruno : mouvements évoquant la gestuelle baroque, col à rabat typique du XVIIème siècle, mais aussi les fameuses chaussures aux talons rouges devenues pour l’occasion des cuissardes. Un personnage muet mais fascinant qui traversera l’ensemble du spectacle.

La deuxième veille, introduite par Vénus, est tout aussi créative que la première mais on en retient surtout quelques très beaux tableaux : les trois Parques entourées de fumée, des noces de Thétis superbement chorégraphiées et qui s’apparentent plus à une mort qu’à une fête, la pluie dorée qui se répand sur scène à la fin de la veille… Mais toujours avec cette même alternance de sérieux, de poésie et d’humour qui fait la marque de ce spectacle. La troisième veille est en revanche plus dépouillée et laisse davantage entendre les chanteurs : l’autorité et l’expressivité de Déborah Cachet en Déjanire, l’impact et la projection de Lucile Richardot et d’Ilektra Platiopoulou (Junon), le grave saisissant de Nicolas Brooymans, le joli timbre et la virtuosité de Perrine Devillers (Pasitea)… C’est seulement à l’occasion de la scène de Sabat que le plateau se charge de lumières rouges et de personnages merveilleux – grand sacrificateur, sorcières, monstres, loups garous –, avant de revenir au calme du Sommeil.

Quatrième veille, les pleurs d'Orphée

L’aube commence alors à apparaître à la quatrième veille, qui s’ouvre sur un très beau dialogue entre le Silence (Caroline Dangin-Bardot) et le Sommeil, Etienne Bazola, qui fait entendre un timbre riche, rond, et un aigu assuré. Les acrobates déploient des performances de plus en plus impressionnantes, notamment dans la Passacaille et le très beau moment des pleurs d’Orphée, où l’un des artistes réalise des figures avec une roue.  Mais l’apothéose du spectacle, tel qu’il avait été conçu et tel que Francesca Lattuada le perpétue, est le grand ballet du Lever du soleil : les acrobates réalisent des numéros de voltige saisissants tandis que le danseur Sean Patrick Mombruno arrive sur scène dans un somptueux costume doré, relecture contemporaine de celui porté par Louis XIV en son temps. Le soleil se lève au son de l’orchestre et du chœur chantant le pouvoir de l’Amour, après trois heures d’un spectacle qui en aura mis plein les yeux aux spectateurs.

Plein les yeux, mais les oreilles n’étaient pas en reste grâce à l’orchestration très variée et extrêmement intelligente de la partition. Sébastien Daucé dirige l’ensemble Correspondances en lui insufflant des phrasés dynamiques, bien dessinés, et dansants lorsque cela s’y prête, et avec une précision parfaite – impeccablement raccord avec ce qui se passe sur scène. On notera également le travail du continuo qui accompagne remarquablement les chanteurs en leur offrant un vrai soutien, un beau tapis sonore sur lequel se déployer, mais aussi l’engagement des violons qui apportent beaucoup de densité et de phrasé au son d’ensemble.

Enfin, on saluera la prestation du chœur, privilégiant un son clair, précis, et donnant de sa personne de même que tous les solistes en se prêtant à quelques portés ou pas de danse qui permettent de faire de ce ballet un spectacle total. Ce dernier est d’une cohérence, d’une inventivité, d’une intelligence et d’une qualité qui forcent le respect, et lève un peu le voile sur un Ballet royal de la Nuit qui, depuis 1653, cultivait son mystère.

Scène finale
Avatar photo
Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici