Ce sont deux œuvres de Beethoven dont on sait peu de choses que le chef Václav Luks dirigeait ce 8 octobre à l’auditorium de Radio France : la Cantate sur la mort de l’empereur Joseph II et la Cantate pour l’accession au trône de l’empereur Leopold II sont, comme leur titre l’indique, des œuvres de circonstance, mais qui n’ont probablement pas été jouées du vivant de Beethoven ; quant à la seconde, on n’en connaît même pas le librettiste ni les conditions de composition. Convoquant un chœur et un quatuor de solistes, ces œuvres jouées l’une à la suite de l’autre construisent un long arc narratif allant de la déploration de la mort de Joseph II à la célébration du nouvel empereur, toujours dans l’atmosphère solennelle que le sujet impose ; mais ce développement permet aussi au compositeur de jouer avec l’effectif vocal et orchestral afin de varier les effets et de distinguer les pages pathétiques des pages plus recueillies, ou triomphales.
Le chef Václav Luks ne ménage pas ses efforts face à l’Orchestre National de France afin d’exhumer la puissance expressive de la partition. Extrêmement investi physiquement dans la direction, anticipant toujours, insufflant de vraies respirations, il fait entendre un orchestre au son enveloppant et chaleureux. Les cordes sont particulièrement mobilisées, toujours denses, et tantôt tragiques ou brillantes – que ce soit le déchaînement des contrebasses dans le récitatif « Ein Ungeheuer », ou les violons doublant les vocalises du soliste dans l’air « Da kam Joseph ». Le pupitre des vents apporte au contraire une couleur plus paisible à l’ensemble : c’est le cas lorsque flûte, clarinette et hautbois viennent dialoguer avec la soprano dans « Hier schlummert seinen stillen Frieden », évoquant le repos de la mort, et plus encore dans l’air « Fliesse, Wonnezähre, fliesse » ou la flûte solo vient imiter les larmes de joie versées pour l’avènement de Léopold II. Une prestation, ainsi que celle du violoncelle solo, qui mérite d’être tout particulièrement saluée. On apprécie également chez l’Orchestre National de France la qualité des piano – où la phalange ne perd pas son homogénéité – et l’expressivité dont il fait preuve en accord avec le texte énoncé par les chanteurs. La fin de la Cantate sur la mort de l’empereur Joseph II est ainsi un moment suspendu où solistes et chœur se répondent, accompagnés des pizzicati des cordes, avant de disparaître dans le pianissimo final.
Si l’orchestre porte en grande partie ces partitions sur ses épaules, il partage cette tâche avec la soprano soliste, extrêmement présente et qui doit faire face, dans la Cantate pour l’accession au trône de l’empereur Leopold II, à l’air long et virtuose « Fliesse, Wonnezähre, fliesse ! ». Simona Šaturová a sans équivoque de réelles qualités, parmi lesquelles un beau timbre, un aigu sonore, et une vraie expressivité. Mais c’est la projection qui pose problème – davantage dans la première œuvre que dans la deuxième il est vrai. La voix ne passe pas toujours l’orchestre, ce qui est d’autant plus dommage lorsqu’on perçoit l’investissement expressif de la soprano, et la maîtrise des vocalises dont elle semble faire preuve. Sans doute aurait-il été opportun également de faire appel à une voix moins légère pour tous les passages dans le bas medium, où la soliste a nécessairement tendance à disparaître derrière l’orchestre ; on reste donc un peu sur notre faim.
Mêmes remarques concernant le baryton Krešimir Stražanac : on devine chez le chanteur une intelligence du texte en plus d’une voix claire et limpide, mais le rapport est déséquilibré avec l’orchestre qui est par moments largement au-dessus du soliste. Encore une fois c’est dommage, car Krešimir Stražanac avait de belles qualités pour ce répertoire. Si l’alto Laure Dugué a bien peu d’occasions de faire entendre sa voix, le ténor Maximilian Schmitt tire en revanche son épingle du jeu dans la deuxième cantate où Beethoven lui confie un récitatif et un trio, faisant preuve d’une voix pleine et rayonnante et d’une très bonne projection.
« Last but not least », comme diraient les anglo-saxons, le chœur de Radio France ne manque pas d’arguments en sa faveur. Les chanteurs étaient pourtant particulièrement distanciés au premier balcon de l’auditorium, se tenant à plusieurs mètres les uns des autres, et les sopranos et basses séparés de toute la largeur de la salle. Mais cette distanciation forcée a eu l’avantage de créer un effet de spatialisation assez agréable. Tout en restant homogène – ce qui était loin d’être évident dans ces conditions –, le son était peu massif, respirait davantage et le texte n’en était que mieux audible. Le chœur achevant la première cantate, répétant « ist todt » d’un pupitre à l’autre, était en ce sens particulièrement éloquent, tout comme le chœur final de la seconde cantate, rayonnant et solennel.
C’est donc un concert globalement de bonne tenue qu’a dirigé Václav Luks, malgré les réserves concernant certains solistes, et qui doit au chef beaucoup pour le dynamisme et l’expressivité dont tous les musiciens ont fait preuve.