Baltic Sea Festival 2019

The Tallinn Chamber Orchestra
Tõnu Kaljuste, direction musicale

Maria Listra, Soprano
Harry Traksmann, premier violon
Robert Traksmann, violon
Leho Karin, violoncelle
Marrit Gerretz-Traksmann, piano

Programme

Arvo Pärt (né en 1935) 

Für Alina
Fratres
Cantus in Memory of Benjamin Britten
Trisagion
L’Abbé Agathon

Pause

Spiegel im Spiegel
Tabula rasa
Vater Unser

Stockholm, Berwaldhallen, jeudi 29 août

Les compatriotes et spécialistes d’Arvo Pärt, Tõnu Kaljuste et The Tallinn Chamber Orchestra interprètent un pot pas vraiment pourri des tubes du compositeur estonien  pour le Baltic Sea Festival. Tension, clarté, précision et profondeur du son.

Tallinn Chamber Orchestra

Après avoir vu la diffusion, par écrans interposés, du concert de Schelomo de Bloch en compagnie du violoncelliste star Truls Mørk, dirigé par le jeune et talentueux Klaus Mäkelä, premier chef invité du Sveriges Radios Symfoniorkester et assistant de Esa-Pekka Salonen sur le Ring en cours à l’Opéra d’Helsinki, on pouvait préférer cette soirée Arvo Pärt, centrée sur les tubes du compositeur estonien.

Certes, j'apprécie sa musique et lors d’un voyage à Tallinn, notre principale occupation mon épouse et moi fut d’aller fureter dans ce que nous appelions les églises de Pärt, celles dans lesquelles certaines de ses œuvres furent enregistrées et dont les souvenirs de photos vues dans les pochettes trottent dans la tête. Peut-être aussi que le secret espoir de croiser Arvo Pärt allumant un cierge devant une icône, ou assis sur un banc à large dossier brut avait guidé nos pas à l’église Niguliste (livret de Adam’s Lament) et nous avait poussé à nous balader dans le chœur où In Principio a été enregistré, justement par le Tallinn Chamber Orchestra et Tõnu Kaljuste.

On a l’impression de connaître sa musique par cœur et on l’écoute finalement peu souvent. Elle fait partie de notre univers et on la croise presque par hasard, pour le meilleur, au détour d’une bande dessinée, le Journal de Fabrice Neaud, ou dans des films de Godard, grand promoteur des disques ECM, et pour le pire, malheureusement, un peu partout sur les toiles tant il est devenu la tarte à la crème de la musique de film.

Marrit Gerretz-Traksmann. Précision et rigueur.

Pourtant, dès Für Alina, interprété par Marrit Gerretz-Traksmann, on est happé par ce son clair et tranchant, sur-aigu, presque de piano pour enfant, et qui fait penser à ce piano à lames de verre conservé au musée Liszt de Budapest et qu’on peut entendre dans un enregistrement de Jenő Jandó.

Suit Fratres et là, on est immédiatement projeté des années en arrière dans l’auditorium d’un IUT qui a abrité une saison nomade de l’Opéra de Rouen-Haute Normandie. C’était en ouverture de saison et pour clore le programme, l’orchestre dirigé par Oswald Sallaberger avait interprété Fratres en version pour orchestre. C’était la première fois que j’entendais Pärt et je me souviens encore de la chair de poule qui me parcourait les membres, de l’émotion vive, du souffle des coups de grosse caisse… Cette musique est évidemment faite pour être entendue en concert et on l’oublie peut-être trop souvent.

Tõnu Kaljuste

Tõnu Kaljuste, interprète privilégié de Pärt, qui a demandé à ce dernier de nombreuses commissions musicales pour le Tallinn Chamber Orchestra est évidemment à l’aise dans ce répertoire et ce lieu qui l’a accueilli comme chef de chœur de la Radio pendant de nombreuses années, y compris pour y enregistrer l’album Orient Occident. Kaljuste est précis, attentif, très occupé à tailler le son mais aussi à faire vibrer l’âme des pièces et à nous ouvrir le cœur à l’esprit de Pärt. Son programme est d’ailleurs conçu comme cela, comme un éventail, ou un arc en ciel, qui s’ouvre progressivement aux différentes couleurs de Pärt pour couvrir tout son spectre. Il part donc du plus simple, du plus aigu pour s’ouvrir aux basses et étoffer le son. Le choix d’ouvrir ses deux parties par Für Alina puis par Spiegel im spiegel est d’ailleurs significatif.

S’enchaînent donc au Fratres, porté par le violon acide de Harry Traksmann dont on suivra le parcours fiévreux (un peu bancal au début mais vite rattrapé) jusque dans les aigus finaux, éthérés et angéliques, le Cantus in Memory of Benjamin Britten, œuvre sœur de Fratres, dans laquelle la percussionniste abandonne sa grosse caisse pour le jeu de cloches tubulaires. À la sècheresse de Fratres, répond l’élégiaque Cantus et c’est toujours la précision et la profondeur de Kaljuste et de son Tallinn Chamber Orchestra qui nous emportent dans cet océan de sons choisis qui s’ouvre, encore un peu plus devant nous, gagne le registre le plus en grave pour s’abîmer dans le soudain silence. On nous a demandé de ne pas applaudir entre les parties. Sage décision.

Si les premières pièces appelaient l’esprit mystique d’une manière sinon profane du moins universelle, les deux dernières rappellent l’engagement chrétien d’Arvo Pärt. Mais ce soir, c’est Kaljuste et le Tallinn Chamber Orchestra qui ont la grâce. Le froid des enregistrements ECM est ici contrebalancé par un engagement et une chaleur qui lorgne vers la ferveur.

Sur Trisagion, triple invocation trouvant son origine dans le chant des anges rapporté par Isaïe (6,3) et par Jean (Apocalypse 4,8), le spectre s’élargit encore : les aigus des violons sur les graves des violoncelles produisent des sons qu’on croirait sortant d’orgues. Puissant.

Maria Listra ; la star de la soirée

Enfin L’abbé Agathon s’habille d’un air de Poulenc et offre à la musique de Pärt un supplément d’âme incarné par la soprano Maria Listra. Point de chœur ni de baryton mais une certaine mise à nu de la foi mise à l’épreuve par un ange déguisé en lépreux. Au désert des cordes toujours tranchantes et sèches, jamais dans l’épanchement, répond la voix humaine, à la fois fragile et assurée, soit la condition humaine du chrétien. Maria Listra pèche un peu sur certains accents du texte français mais doit-on (peut-on ?) lui en vouloir tellement elle chante cette musique avec foi.

Une pause plus tard, on reprend avec Spiegel im Spiegel avec Leho Karin au violoncelle et Marrit Gerretz-Traksmann au piano. On évite le douloureux passage de la scie musicale en se plongeant dans la métronomique ponctuation du piano, Marrit Gerretz-Traksmann, imperturbable, toujours aussi efficace dans sa simplicité, et dans le violoncelle expressif de Leho Karin sans verser dans le tire-larmes. Toute la difficulté de l’exécution de Pärt est là. Créer l’émotion sans trop faire vibrer la corde sensible. Cela réclame de la mesure et une interprétation au cordeau et concentrée. Dont acte.

Harry et Robert Traksmann croisant et taillant

Tabula rasa, œuvre pivot de Pärt et qui a initié la collaboration avec Manfred Eicher de ECM, est évidemment le grand moment du concert dont les principaux protagonistes animent l’œuvre en famille puisque les deux violons solo et la pianiste sont père, fils et mère. Marrit Gerretz-Traksmann a basculé vers le piano préparé à jardin pour un concert de tonnerre à la main gauche versus des tintinnabulements de la main droite. On pense aux anciennes lectures d’Alain Caux et à la plongée passée dans la musique minimaliste. Après le premier mouvement Ludus, avec Harry et Robert Traksmann au diapason et véritablement habités et aux cordes scintillantes et cinglantes, on se plonge dans le Silentium, apaisé et dont l’épuration progressive des thèmes ne laisse finalement à nu que les solistes. Une fois encore, l’interprétation scénique hyper concentrée d’instrumentistes pétris  de musique de Pärt décuple la puissance de la pièce et on voudrait vibrer longuement avec l’air sur le bois clair de Berwaldhallen (l’accord piano-cloches/contrebasses est à tomber). Énorme ovation (méritée).

Comment finir ? Par un simple Vater Unser, Notre père, prière essentielle de la liturgie chrétienne, et dédiée a posteri au pape démissionnaire, a posteriori aussi, Benoît XVI. Comme pour L’Abbé Agathon, c’est une nouvelle orchestration (cordes supplémentaires et voix féminine) qui est proposée ici. C’est sans doute le versant le plus pop de Pärt, avec des cordes très onctueuses et une Maria Listra, toujours dans la foi claire et naïve. Borgès écrivait finement et de manière amusante que In C de Terry Riley devrait être la musique la plus populaire du monde, Pärt prend aisément et plus sûrement, vu le  public relativement jeune ce soir, sa place. Vater Unser pourrait très bien avoir été écrit pour (par ?) Radiohead ou Anne Brun (puisque celle-ci reprend avec succès sur scène le Lamento della Ninfa). Ce n’est pas ce que l’on préfère chez Pärt mais la légèreté et la courte durée de la pièce allège sacrément les esprits après l’âpre concentration de Tabula rasa. L’air et l’esprit sont purifiés. C’est efficace.

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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

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