Ruy Blas (1838)
de  Victor Hugo

Mise en scène : Yves Beaunesne

Avec Thierry Bosc, François Deblock, Zacharie Feron, Noémie Gantier, Fabienne Lucchetti, Maximin Marchand, Guy Pion, Jean-Christophe Quenon, Marine Sylf, Anne-Lise Binard et Elsa Guiet

Dramaturgie : Marion Bernède
Scénographie : Damien Caille-Perret
Création costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières : Nathalie Perrier
Création musicale : Camille Rocailleux
Maquillages, coiffures et masques : Cécile Kretschmar

Assistanat à la mise en scène : Paulien Buffet, Jean-Christophe Blondel et Laure Roldàn
Maître de chant : Haïm Isaacs

Production : La Comédie Poitou-Charentes / Centre dramatique national, avec le soutien de la DRAC Nouvelle-Aquitaine, de la Région Nouvelle-Aquitaine et de la ville de Poitiers

Coproductions : Théâtre de Liège, Théâtre de la Ville de Luxembourg, Théâtre Montansier, Théâtre d’Angoulême / Scène Nationale

Avec la participation de l’ENSATT et du Studio-Théâtre d’Asnières

Création au Château de Grignan, juillet 2019

 

Château de Grignan, jeudi 25 juillet 2019

Le festival d’Avignon touchant à sa fin, il est temps pour Wanderer de remonter la vallée du Rhône vers un autre lieu riche en événements théâtraux : Grignan qui organise chaque été ses Fêtes Nocturnes depuis plus de trente ans. Ce rendez-vous de la belle saison a la particularité de proposer une création inédite jouée pendant près de deux mois au pied du château, devant sa façade précisément. C’est dans ce cadre hautement pittoresque que nous avons vu et chroniqué l’an passé Noces de sang, qui avait suivi Lorenzaccio en 2017. On se souvient aussi de l’audacieuse mise en scène de Lucrèce Borgia par David Bobée avec Béatrice Dalle, au cours de l’été 2014, et qui avait fortement marqué les esprits. Cette année, le théâtre de Victor Hugo est une fois de plus à l’honneur avec Ruy Blas que met en scène Yves Beaunesne, directeur de la comédie Poitou-Charentes, Centre Dramatique National. Faisant la part belle à la musique et au chant, cette création sur le célèbre drame romantique hugolien réunit chaque soir de nombreux spectateurs. À peine rafraîchis par une brise balayant le village en hauteur, nous étions le jeudi 25 juillet au crépuscule, dans les rangs pour assister à la représentation.

 

Ruy Blas (François Deblock) sur le plateau en plan incliné

Pour les habitués, pénétrer derrière les gradins qui occultent en grande partie la façade permet de découvrir le décor. Il est vrai que la scénographie s’ancre dans l’espace de la cour du château et intègre nécessairement sa présence monumentale. Une fois installé, on l’observe attentivement. Outre quelques accessoires laissés à vue, c’est un plateau nu en plan incliné qui part du degré le plus haut de l’escalier devant la porte centrale, et descend au pied des gradins, séparé des premiers spectateurs par une étroite coursive permettant de circuler. Bien que dépouillé et imitant une sorte de parquet, ce dispositif massif recèle une machinerie qui se laisse aisément deviner : les treuils de part et d’autres de la scène permettent assurément de faire apparaître pour les escamoter ensuite, plusieurs éléments cachés. Ce sont des cubes faisant office de siège ou de coffre, des trappes dissimulant d’autres accessoires, des pans qui, une fois relevés, dissimulent certaines actions à la vue du public. Recherche et ingéniosité que l’on doit à Damien Caille-Perret.

Dans sa préface, Hugo abordant la chute imminente d’un régime monarchique, apporte quelques explications au contexte historique de la pièce : « tout va être englouti, le temps presse », couvrant ici « des ténèbres d’un crépuscule » le règne de la maison d’Autriche sur l’Espagne, affirme-t-il. Sans doute, que cet espace constitué pour jouer en pente – certes douce – renvoie à cette idée d’imminence de la chute. À la fin du XVIIème siècle, dans une royauté rendue vulnérable, l’équilibre est menacé. La corruption de la noblesse castillane  pèse lourd dans cette disharmonie politique et sociale. On peut d’ores et déjà signaler le début de l’acte III dans la mise en scène d’Yves Beaunesne, ancré à la frontière du fantastique. Par la porte du château, sortent les conseillers, grands du royaume en manteaux d’apparat, tous avec un masque à tête animale : ours, loup, sanglier, bouc, oiseaux. L’univers inquiétant de la fable surgit – peut-être Les Animaux malades de la peste cherchant une victime expiatoire pour sauver leur tête justement. Ruy Blas, le « petit » promu Premier Ministre par les bons soins de la Reine, les réprimande vivement et condamne sans appel leur pillage de l’État, à l’agonie par leur inconséquence et la recherche du profit exclusif de leur classe.

Revenons à l’ouverture de la pièce. Depuis une fenêtre dans les étages du château, on jette sur le plateau une livrée. C’est la partie de l’uniforme du valet, celui qui définit socialement de manière nette : les personnages vont l’utiliser à de multiples reprises pour se dissimuler ou au contraire, à la fin, pour s’affirmer. Un jeune homme longiligne portant des vêtements d’aujourd’hui ramasse cette livrée et l’enfile. On va vite découvrir qu’il s’agit du héros éponyme de la pièce, Ruy Blas – François Deblock engagé notablement dans son rôle.

Ruy Blas (François Deblock) et Don Salluste (Thierry Bosc)

Il est au service de Don Salluste – Thierry Bosc en vieux et puissant manipulateur, cynique à souhait. Ce dernier veut se venger de la Reine qui l’a disgracié. Pour ce faire, il va instrumentaliser son valet qui ne saura résister à la proposition. Car Ruy Blas aime la Reine. « Jaloux du Roi, oui, j’aime sa femme. » Jean-Christophe Quenon campe pour sa part, Don César de Bazan, cousin rocambolesque de Salluste dont le valet va prendre la place pour exécuter la machination de son maître, lui permettant de se rapprocher de sa bien-aimée. César dira d’ailleurs à Ruy Blas « Je t’envie autant que je te plains ». Phrase prémonitoire qui met en lumière les effets du drame sur celui qui y assiste. À ce propos, dans sa préface, Hugo rappelle ce qui fait « la troisième grande forme de l’art » ainsi : « les deux électricités, opposées de la comédie et de la tragédie se rencontrent et l’étincelle qui en jaillit, c’est le drame. »  Il est donc bien question de friction entre deux catégories théâtrales opposées, de la réaction qu’il en résulte, des mouvements que cela engendre. Le romantisme est jeune, échevelé, plein de force et la mise en scène d’Yves Beaunesne traduit fidèlement ce souffle de renouveau qui balaie la scène européenne au début du 19ème siècle, avec cette génération d’artistes en rupture, farouchement opposée à une tradition jugée sclérosante et obsolète.

Loin de son pays natal et délaissée par un mari-monarque lui préférant la pratique de la chasse – le Roi reste le grand absent autant sur scène que dans son royaume – la Reine Doña Maria de Neubourg a déjà succombé à Ruy Blas-Don César. Noémie Gantier tient le rôle de cette jeune femme renonçant à sa propre raison autant qu’à la raison d’état pour s’abandonner à ses sentiments, oscillant entre la gravité imposée par la situation et une légèreté de comédie confinant même au burlesque – signalons également à ce sujet le jeu de Zacharie Feron, pantin désarticulé, tout en drôlerie.

Le plan machiavélique de Salluste se referme sur les deux amants et aurait abouti à la déchéance de Doña Maria sans une réaction vive et irréversible de Ruy Blas. Les masques tombent, la livrée revient sur les épaules du valet autrefois promu aux plus hautes fonctions de l’État à la faveur d’une supercherie, à la faveur de son mérite à les exercer néanmoins. À la faveur surtout de celle qui l’aime éperdument. Acculé, il absorbe dans un geste ultime le poison qui le délivre de ses tourments et affranchit la Reine d’une disgrâce assurée. Tandis qu’il agonise, le drame s’achève sur la reconnaissance : elle l’appelle par son nom et il la remercie en expirant. Les comédiens se trouvent au creux d’une légère dépression dans le sol du plateau. Comme la marque du tombeau. En pleine lumière et au son de la voix du contre-ténor Maximin Marchand, conférant à cet instant toute son intensité dramatique.

La Reine (Noémie Gantier) soutenant Ruy Blas (François Deblock) à l'agonie

La démesure dans l’exercice du pouvoir a raison de tout et de tous finalement. Pour reprendre les termes d’Yves Beaunesne, « le point Icare » est atteint. La cassure n’épargne personne même si c’est le personnage éponyme qui en paye le plus lourd tribut. Le drame n’est pourtant pas larmoyant, il y a quelque chose d’apothéotique dans cette fin. C’est certes la trajectoire funeste d’un « ver de terre amoureux d’une étoile » mais Ruy Blas s’héroïse et devient finalement, une sublime comète déchirant le ciel.

Au terme de sa note d’intention, le metteur en scène insiste sur la capacité du texte à « ôter quelques peaux de saucissons de nos yeux ». L’Histoire cyclique qui se répète par-delà les siècles ? Il reste que c’est à chacun de se faire sa propre opinion quant à un écho à notre présent. Ce Ruy Blas est bien entendu réussi, en cohérence avec le texte d’Hugo. Il aurait pu toutefois être plus hardi afin de pousser davantage au dessillement, par exemple. Il est vrai que le public des Nocturnes est populaire : cela n’implique naturellement pas son incapacité à prendre du plaisir – le drame romantique l’autorise largement – tout en usant de sa faculté de réflexion. Mais il importe certainement de lui faire apprécier aussi la solidité de propositions artistiques résolument originales, s’écartant des conventions.
Rappelons une fois encore le succès – très mérité – de la mise en scène de David Bobée pour Lucrèce Borgia, à Grignan déjà. Il y a là sans doute un esprit d’audace à faire souffler encore.

Scène irréelle du conseil des grands d'Espagne
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Thierry Jallet
Titulaire d'une maîtrise de Lettres, et professeur de Lettres, Thierry Jallet est aussi enseignant de théâtre expression-dramatique. Il intervient donc dans des groupes de spécialité Théâtre ainsi qu'à l'université. Animé d’un intérêt pour le spectacle vivant depuis de nombreuses années et très bon connaisseur de la scène contemporaine et notamment du théâtre pour la jeunesse, il collabore à Wanderer depuis 2016.

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1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour, j'ai assisté à la représentation de Ruy Blas hier soir à Aix en Provence . Un régal… Magnifique et je recherche désespéramment les airs chantés pendant le spectacle.je sais que c'est une création musicale de Camille rocailleux . Pouvez vous me dire si je peux les trouver et les entendre quelque part. Merci d'avance et belle journée.

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