Wolfgang Amadé Mozart (1756–1791)
Cosi fan tutte (1790)

Dramma giocoso in due atti
Livret de Lorenzo Da Ponte
Créé le 26 janvier 1790 au Burgtheater de Vienne

Mise en scène : Jean Liermier
Décors et costumes : Rudy Sabounghi
Lumières : Jean-Philippe Roy
Costumes : Cécile Kretschmar

Valentina Naforniță (Fiordiligi)
Joel Prieto (Ferrando)
Stéphanie Guérin (Dorabella)
Robert Gleadow (Guglielmo)
Susanna Cordón (Despina)
Bruno de Simone (Don Alfonso)

Orchestre de Chambre de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne
Direction musicale : Joshua Weilerstein

 

 

Opéra de Lausanne, novembre 2018 (streaming Arte concert)

Enregistré à l’opéra de Lausanne en 2018, ce Così fan tutte ne parvient pas à susciter totalement l’adhésion malgré une mise en scène intelligente et transposant habilement l’action dans le monde de la téléréalité. Si les Don Alfonso et Despina de Bruno de Simone et Susana Cordón sont enthousiasmants, le reste de la distribution pose en revanche davantage problème et montre des faiblesses vocales que la direction élégante de Joshua Weilerstein ne parvient pas à compenser. La soirée reste donc en demi-teinte et laisse au spectateur une certaine déception devant une production qui n’a pas tenu ses promesses.

 

Valentina Naforniță (Fiordiligi) et Stéphanie Guérin (Dorabella)

Vidéo accessible :
https://www.arte.tv/fr/videos/084160–000‑A/cosi-fan-tutte-a-l-opera-de-lausanne/

Il n’est pas rare d’entendre dire que Così fan tutte est une comédie dont Don Alfonso serait le metteur en scène. De là à en faire le présentateur d’une émission de téléréalité, il n’y a qu’un pas que Jean Liermier a allègrement franchi : le pari entre Don Alfonso, Guglielmo et Ferrando visant à mettre à l’épreuve la fidélité des femmes n’est ainsi plus un jeu entre amis – avec tout ce qu’il peut avoir de cruel et de cynique ; c’est sous l’œil des caméras que Fiordiligi et Dorabella vont être piégées.

Voilà une idée qui fonctionne tout à fait bien parce qu’elle respecte l’idée d’un Alfonso tirant les ficelles de l’action. Elle conserve également cette ambiguïté entre la vérité et le jeu, entre la sincérité et le mensonge qui se trouvent au cœur du livret, puisque la téléréalité filme des individus réels réagissant à des situations écrites et prévues. Un autre élément central dans le texte de Da Ponte est le fait que les personnages s’observent les uns les autres : Guglielmo et Alfonso assistent par exemple, cachés, au duo où Fiordiligi cède aux avances de Ferrando ; ils se trouvent également à l’arrière-scène et l’écoutent lorsque celui-ci chante son désespoir d’avoir été trahi (« Tradito, schernito »). Il y a dans le livret des regards inquisiteurs, indiscrets que la présence de caméras illustre de manière tout à fait intelligente.

Bruno de Simone (Don Alfonso) et Susanna Cordón (Despina)

Le metteur en scène n’abuse pas pour autant des vidéos ; celles-ci sont présentes ponctuellement, à des moments clés de l’action : soit pour un effet émouvant (les visages des deux jeunes femmes dans « Come scoglio » et « Un’aura amorosa »), soit pour un effet dramatique (lorsque les images servent de preuve à l’infidélité des deux jeunes femmes), soit pour un effet comique (Don Alfonso adressant ses maximes directement à la caméra, ou les images floutées de Guglielmo et Dorabella lorsque leur duo deviendrait inconvenant à la télévision à une heure de grande écoute…)

Finale acte I ; Bruno de Simone (Don Alfonso), Susanna Cordon (Despina), Robert Gleadow (Guglielmo, au sol), Joel Prieto (Ferrando), Valentina Nafornita (Fiordiligi), Stéphanie Guérin (Dorabella)

Le dispositif général de cette production fonctionne donc bien, servi par des décors sobres : un loft à la décoration minimaliste (un canapé et une chaise, ou un lit), un balcon, les coulisses d’un plateau de télévision… En revanche la direction d’acteurs est en demi-teinte. Le personnage de Don Alfonso a l’ironie et la décontraction attendus, Ferrando et Guglielmo campent des hipsters caricaturaux sans être totalement absurdes, vifs dans le sérieux comme dans la farce, et Despina est particulièrement réussie, hissée sur ses talons et de léopard vêtue, légèrement vulgaire mais d’un abattage comique sans faille. Mais comme, à côté d’eux, Fiordiligi et Dorabella peuvent sembler insipides ! La première est une mariée abandonnée le jour de ses noces par son fiancé partant à la guerre, se lamentant sans énergie et qui, même armée d’un revolver pour chasser de chez elles les intrus, ne ferait peur à personne. Dorabella trouve heureusement un regain d’énergie dès lors qu’elle se décide à tromper Ferrando et a le « Smanie implacabili » au premier acte pour lui donner un peu de présence, car comme elle peut être inconsistante par moments ! Les deux personnages ne semblent dotés d’aucune volonté, vivant chaque événement avec la même absence d’intensité ; c’est étonnant qu’elles aient si peu d’épaisseur alors que l’action et leurs airs leur donnaient une telle palette d’émotions et de telles possibilités d’évolution !

Joel Prieto (Ferrando) et Stéphanie Guérin (Dorabella, en vidéo)

Voilà qui explique sans doute une partie des faiblesses musicales de cette production ; car si Valentina Naforniță a sans conteste un timbre riche et profond dans le medium, et possède tout à fait les moyens du rôle, elle est très souvent dans la retenue. Sans doute est-ce l’effacement de son personnage qui ne l’aide pas à apporter l’engagement vocal nécessaire ; mais elle chante parfois comme sur la pointe des pieds, ne laissant pas la voix se déployer vraiment et souffrant de quelques soucis d’intonation, notamment dans le quatuor « Come par che qui prometta ». Du côté de Dorabella, Stéphanie Guérin possède une voix peu brillante qui ne lui permet pas d’être mise en valeur dans les ensembles. Elle maîtrise son rôle, mais sans lui apporter beaucoup d’éclat vocal ni de richesse dans les couleurs ou les nuances.

Robert Gleadow (Guglielmo) et Joel Prieto (Ferrando)

Robert Gleadow, habitué des rôles mozartiens, fait preuve de davantage d’expressivité et d’impact, même si sa surarticulation du texte peut surprendre par moments ; mais il campe un Guglielmo dynamique, comique, déterminé et qui porte en grande partie le spectacle, ne s’économisant pas. Son « Donne mie » démontre ainsi autant la beauté du timbre que les talents dramatiques du baryton. Le bât blesse en revanche chez le Ferrando de Joel Prieto, avec beaucoup de sons appuyés, un ou deux aigus escamotés, et un « Tradito schernito » où il semble à la peine. Le ténor est cependant convaincant scéniquement.

Ce quatuor peu enthousiasmant vocalement trouve heureusement face à lui un duo assez irrésistible, avec le Don Alfonso de Bruno de Simone, parfaitement à son aise tout au long de la partition, et la Despina de Susanna Cordón qui est sans doute la plus grande réussite de la soirée : assurée vocalement, et parvenant à lier la musique aux exigences du texte et de l’action.

Joshua Weilerstein offre à la tête de l’orchestre de Chambre de Lausanne une diction raffinée, élégante, sans heurts, qu’on aurait sans doute davantage goûtée avec une distribution vocale plus unanimement convaincante. Le spectacle ne tombe donc pas tout à fait à l’eau, mais ne laisse pas un souvenir inoubliable.

Vidéo accessible :
https://www.arte.tv/fr/videos/084160–000‑A/cosi-fan-tutte-a-l-opera-de-lausanne/

Joel Prieto (Ferrando) et ValentinaNaforniță (Fiordiligi)
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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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