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En 2010, le Musée d’Orsay se réjouissait d’accueillir, grâce à l’entregent de son directeur, Guy Cogeval, cinq grandes toiles de William Bouguereau venues compléter les collections nationales peu riches dans ce domaine. En effet, le peintre académique par excellence, encensé en son temps, avait surtout vendu ses œuvres à une riche clientèle américaine, et les musées français présentaient finalement assez peu d’exemples de sa production. Parmi les cinq nouvelles acquisitions, la plus remarquable était peut-être Les Oréades (1902), immense envol de chairs féminines roses vainement poursuivies par quelques satyres.

Dans le panorama de la musique française du XIXe siècle, César Franck fait parfois un peu figure d’équivalent de Bouguereau. Si sa Sonate pour violon et piano reste un tube, beaucoup de ses grandes œuvres orchestrales et chorales sont aujourd’hui délaissées. Mort en 1890 de manière presque aussi stupide que son disciple Ernest Chausson en 1899 (d’un accident de fiacre à 67 ans, contre un accident de bicyclette à 44 ans pour Chausson), Franck traîne après lui sa réputation d’austère organiste, de Pater seraphicus, sorte de Jean-Sébastien Bach belge gratifié de favoris en côtelettes typiquement Troisième République. Et lorsqu’on découvre un titre comme Les Eolides, inspiré d’un poème à sujet mythologique de Leconte de Lisle, on pense trouver un homologue musical des Oréades, un morceau tout aussi « pompier » que la grappe de cuisses et de seins dont le Musée d’Orsay s’enorgueillit depuis dix ans. Erreur, car cette œuvre créée en 1875 est toute de transparence aérienne et de légèreté papillonnante, en écho aux brises, filles du dieu Eole, qui lui donnent son nom. Dominic Wells a raison de souligner, dans le texte d’accompagnement, la parenté possible avec le Mendelssohn du Songe d’une nuit d’été, dont on retrouve ici toute la féerie.

Chef français régulièrement convié dans diverses maisons d’opéra de par le monde, Jean-Luc Tingaud a récemment dirigé Fernand Cortez de Spontini à Florence et L’Ange de Nisida de Donizetti à Bergame, mais le répertoire symphonique tient aussi une grande place dans sa carrière. Pour le label Naxos, il a déjà eu l’occasion d’enregistrer plusieurs grandes œuvres de musique française, avec l’Orchestre de la radio-télévision irlandaise (Bizet, Dukas, Poulenc) ou avec l’Orchestre nation d’Ecosse (Symphonie n°2 de Vincent d’Indy), disques qui ont été largement salués par la critique internationale. Ne voulant pas s’arrêter en si bon chemin, Naxos a donc confié à Jean-Luc Tingaud le soin de graver un disque César Franck, toujours avec le RSNO. Idée tout à fait judicieuse, car le résultat s’avère à la hauteur des espérances, surtout en ce qui concerne l’orchestre, car le chœur, on le verra, peut susciter au moins une réserve.

S’il n’a jamais atteint la popularité de L’Apprenti sorcier, Le Chasseur maudit fut longtemps au programme des concerts symphoniques et s’appuie également sur un poème romantique allemand. En 1897, Dukas trouvera son inspiration chez Goethe, en 1882 César Franck la trouva chez Gottfried August Bürger, dont la Lenore avait suscité en 1875 un poème symphonique de Duparc, dédié à Franck, justement. Le climat gothique est ici traduit sous la forme d’un cauchemar savamment organisé, et l’on pense cette fois au Liszt des Préludes ou de Mazeppa. On sait gré à Jean-Luc Tingaud de savoir fort bien canaliser l’énergie et contrôler la rutilance, afin d’éviter tout débordement de mauvais goût.

Mais le morceau de résistance du disque est aussi l’œuvre la plus tardive, Psyché (1887), dont on trouvera ici l’intégralité – près de cinquante minutes de musique – et non la suite d’orchestre bien plus souvent été gravée, réduite à quatre fragments alors que l’œuvre compte trois parties et huit tableaux en tout. Héritier d’une tradition orchestrale allemande, César Franck s’inscrit aussi dans le prolongement de Berlioz, un des rares symphonistes français dont la postérité daigne se souvenir. La forme du poème symphonique avec chœur peut d’ailleurs faire penser à Lelio ou à Roméo et Juliette, mais elle fut également illustrée par des compositeurs aujourd’hui un peu oubliés, comme Félicien David, et allait connaître dans toute l’Europe un grand développement au tournant du siècle. Là encore, c’est à juste titre que Dominic Wells rapproche l’œuvre d’une partition de ballet de Tchaïkovski. Si l’on était tenté de revenir à Bouguereau, ce serait pour l’érotisme discret de cette Psyché, mais la sensualité de cette musique n’a pas la mollesse racoleuse du peintre français et évoquerait bien plutôt le raffinement des couleurs et la fermeté du dessin d’un maître du néo-grec britannique comme Leighton. On retrouve le recours aux vents déjà noté dans Les Eolides, et l’on reconnaît le chromatisme de la symphonie en ré mineur, composée à la même époque, avec ces phrases comme surlignées par les cuivres.

La présence du chœur est liée à l’unique réserve qu’on pourra formuler à l’encontre du disque : malgré l’internationalisation qui a marqué la deuxième moitié du XXe siècle, il est encore possible de faire prendre à un orchestre étranger un son « français », mais l’articulation de la langue pose d’autres problèmes encore aux chœurs dont ce n’est pas l’idiome maternel. Sur les trois interventions des RCS Voices (RCS comme Royal Conservatoire of Scotland), la deuxième est assez incompréhensible, faute de consonnes assez nettes quand seules les sopranos se font entendre. Même si les trois poèmes dus à messieurs Sicard et Louis de Fourcaud sont loin d’être d’une qualité exceptionnelle, on aimerait ne pas avoir à consulter le livret imprimé pour le comprendre. Cela dit, il s’agit peut-être aussi en partie d’une question de prise de son, car le chœur semble un peu lointain et comme nimbé d’une brume.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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