La nouvelle est tombée ce matin, Eva Kleinitz n'est plus. L'Opéra National du Rhin a donc annoncé la nouvelle que beaucoup d'entre nous redoutaient, nous qui la savions luttant jusqu'à ses dernières forces contre la maladie. "Qui est-ce qui va mourir ? Est-ce moi ?" semble-elle nous dire – empruntant à Mélisande ce commentaire à la fois incrédule et innocent au moment où cette mort qui s'avance semble décidément faire erreur.

La brutalité de cette annonce fait ressurgir à notre mémoire le souvenir de cette poignée de main, dont l'énergie et la fermeté contrastait avec la fluidité du geste et ce bras si léger. Quelque chose d'un oiseau et d'un capitaine de navire. Un geste que soulignait la netteté lumineuse de cette voix avec laquelle elle vous disait dans un sourire : "merci d'être là".

Elle avait posé ses bagages à Strasbourg, il y a tout juste deux ans ; en provenance de l'Opéra de Stuttgart où elle avait su en tant que directrice adjointe, faire rayonner son amour du théâtre et du spectacle vivant. On lui doit d'avoir porté un ambitieux projet Opera Europa pour diffuser les productions de quelque 160 théâtres lyriques et festivals sur tout le continent.

Diplômée en musicologie, psychologie et littérature, elle nous disait dans un entretien son regret d'avoir dû choisir entre la mise en scène et l'administration artistique. Son esprit volontaire lui avait ouvert les portes du festival de Bregenz et du Théâtre royal de la Monnaie. Elle avait développé l'idée que l'opéra ne doit pas fonctionner comme marqueur social mais donner un sentiment de curiosité et de liberté au public.
C'est dans cette perspective qu'elle a proposé à Strasbourg la formule atypique du festival Arsmondo, rendez-vous interculturel où l'opéra occidental dialogue avec des horizons très éloignés, aussi rares que passionnants, comme le Pavillon d'Or de Mayuzumi ou Béatrix Cenci de Ginastera et bientôt Until the lions, échos du Mahabharata, un nouvel opéra de Thierry Pécou.

Eva souhaitait l'opéra comme une invitation au voyage, avec l'imaginaire pour seul passeport. Un imaginaire qui permette à la musique de régner sur un monde libéré des frontières politiques et sociales. En découvrant il y a quelques jours le petit programme bleu turquoise annonçant la nouvelle saison de l'OnR, je souriais en lisant cette citation d'un technicien lumières sur la couverture : "J'éteins la lune et j'allume les étoiles".

Puissent le souvenir de ces quelques mots accompagner Eva Kleinitz dans son long voyage.

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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