Cent mètres papillon

Idée originale et texte : Maxime Taffanel
Adaptation et mise en scène : Nelly Pulicani
Jeu : Maxime Taffanel
Création musicale : Maxence Vandevelde
Lumière : Pascal Noël
Conseils costumes : Elsa Bourdin
Administration : Léa Fort
Régie lumière et son : Samuel Kleinmann Lebourges
Régie lumière : Michel Albenque
Régie de scène : Jean-Christophe Chavanol
Régie générale : Djamel Djerboua

Création 2018

Production : Collectif Colette
Co-production : Comédie de Picardie, Amiens
Accueils en résidence à la Corpus Fabrique, au Clos sauvage, au théâtre de l’Opprimé et au théâtre de Vanves.

Avec le soutien de la SPEDIDAM et de l’ENSAD de Montpellier

Salle des fêtes 07170 Lussas, mercredi 17 octobre 2018

Créé au cours de la saison dernière, Cent mètres papillon était un spectacle attendu. De ce fait, seul en scène et mis en scène par Nelly Pulicani, Maxime Taffanel a réuni nombre de spectateurs depuis sa création au Théâtre de l’Opprimé jusqu’à la Manufacture où le spectacle est vite devenu l’un des plus remarqués du Festival Off, à Avignon en juillet 2018. Dans le cadre de sa Comédie itinérante sur le territoire de la Drôme et de l’Ardèche, la Comédie de Valence l’a également programmé en ce début de saison. Et c’est dans la petite commune de Lussas, près d’Aubenas, où nous avions rencontré Robin Renucci l’an passé pour un entretien exclusif, que Wanderer s’est rendu pour une exceptionnelle plongée dans l’intimité d’un vécu, mise en scène au sens propre du terme.

Maxime Taffanel

Alors que la salle se remplit, à quelques mètres du public réduit sur l’unique gradin, le comédien est déjà sur le plateau. En tenue de sport, il marche de long en large, jette un œil furtif vers les spectateurs, s’assied sur l’unique chaise pliante au milieu du plateau, boit une gorgée d’eau dans une bouteille posée au sol dont il se saisit. Il se relève, ajuste son pantalon, boit à nouveau. Comme dans ce moment précédant l’effort, requérant calme et concentration. On pourrait se trouver dans la chambre d’appel ou au bord d’un bassin et ce moment pourrait être celui juste avant la compétition. Mais aussi celui qui annonce l’entrée en scène au théâtre, somme toute.

Le comédien s’installe alors face au public, le regard fixe. C’est alors que les paroles jaillissent. Une forme de déclaration insolite à l’élément aquatique d’abord – « Je la sens me glisser entre les doigts. » Là-dessus, la musique monte. C’est un compétiteur qui décrit sa nage au présent – « Pour le moment, je glisse. » Et il reproduit soigneusement les bruits de ses gestes dans l’eau. Le temps du souvenir se fond avec le temps de la salle. Sa main ondule, son corps se positionne  évoluant dans l’invisible, exécutant une nage maîtrisée, à  la verticale. Il dira plus tard « J’étais comme un serpent et je flottais. » Son crawl se précise, les projecteurs jetant une lumière bleutée sur la scène. Le rythme pulsatile de la musique se fait entendre de plus en plus fort, épousant la scansion des mouvements du nageur debout.

« Je m’appelle Larie. J’ai seize ans… » Voilà que nous plongeons alors dans le champ de la fiction d’inspiration autobiographique. Larie n’est pas Maxime mais c’est tout de même lui qui lui prête corps et existence. Et on comprend que cette existence – étymologiquement cette « manifestation de soi » –  celle de ce  garçon qui se dresse, solide sur ses jambes, plein de la maîtrise de ce corps en mouvement,  tire son origine du vécu authentique du comédien en scène, au-delà du simple drame. Larie n’est pas Maxime cependant Larie est bien né de Maxime. Dans la note d’écriture rédigée au seuil du spectacle, on peut lire à ce sujet qu’il a été tout au long de sa scolarité, « un nageur de haut niveau ». Il ajoute également que « la compétition [le] rendait mutique ». On comprend non sans émotion que c’est ce manque de mots si douloureusement ressenti qui est à l’origine de cet acte de parole, à l’origine de cette profération à laquelle le public assiste. Se mesurer continuellement aux autres dans un élément aussi équilibrant par ailleurs, a manifestement contraint Maxime à un silence lourd, douloureux. Celui du nageur qui souffle pour lutter contre ses concurrents, contre le chronomètre. Celui du nageur qui souffle et se dissout dans ce même souffle finissant par s’affaiblir. Vraiment, Cent mètres papillon est le surgissement d’un homme et de sa voix, après une longue apnée. Car il a été cruellement éprouvé par cet éloignement entre « la routine » aliénante de l’entraînement et les sensations toutes poétiques du corps apprivoisant l’élément liquide. Les mouvements finement chorégraphiés par le comédien résultent en effet d’un renoncement salutaire : il faut « apprendre à perdre l’équilibre. Se laisser entraîner et repartir, se laisser entraîner et repartir, se laisser entraîner et repartir… » Récit d’un dénuement, d’un retour à soi grisant, dans un environnement extraordinaire. Celui du nageur se confond ainsi avec celui du comédien. Seul en scène comme on est seul dans sa ligne d’eau, en fin de compte.

En accomplissant cette traversée inédite du bassin vers le plateau de théâtre, Maxime Taffanel a clairement perçu les multiples « sources de fiction qui [le] mettent en jeu, et [l’] engagent corporellement. » Ainsi est né Larie, ainsi sont nés aussi les personnages des concurrents que le comédien incarne : trop grands, trop sûrs d’eux, trop résignés. Tous soumis à leurs excès, dignes des grandes comédies de caractère. On voit surtout le personnage récurrent de l’entraîneur, somme de plusieurs autres que Maxime a eu l’occasion de croiser au fil de ses expériences de jeune compétiteur. « Va falloir se faire violence », répète-t-il menaçant. Oscillant entre le burlesque de la caricature et une inquiétante gravité parfois, le coach reste celui par qui la dépossession de soi s’accélère, celui par qui l’eau appelle le sacrifice, le doute. Liquide chloré et désespérément ordinaire, si insuffisamment organique. Si loin de l’humanité des êtres. Seul, le célèbre Michaël Phelps semble épargné par ces turpitudes. Il est la figure héroïque, celui à qui Larie veut ressembler. Une sorte de divinité parmi les nageurs en compétition qui, semble-t-il, parvient exceptionnellement à garder ce prodigieux contact charnel avec l’eau. La touchant avec justesse, il ne la transforme pas en écœurant  « bain de sang » où des créatures assoiffées de victoire qui ne la ressentent plus, ne vivent que pour la course contre les Autres, la course contre le temps, la course vers les marches du podium. Et Larie ira jusqu’à ses propres limites. « Elle me refuse » lâche-t-il dans un râle. « Qu’est-ce que je veux faire ? Qu’est-ce que je dois faire ? » S’interroger en ces termes fait distinctement retentir le signal que la descente apnéique s’achève. Et que le besoin immédiat de souffle vital est atteint. Terriblement humain.

Au fil d’une heure de spectacle, Maxime Taffanel poétise délicatement ce rapport particulier avec l’eau, faisant pénétrer chacun dans ses souvenirs, reconstituant ce cheminement qui l’a conduit de la piscine au théâtre, revendiquant sur scène l’ouverture d’un « espace d’expression » qu’il avait perdu en tant que compétiteur. La mise en scène de Nelly Pulicani souligne avec justesse l’harmonie de ses mouvements de glisse, à la fois aquatiques et aériens – mémoire d’un corps aussi gracieux qu’émouvant – sculptés par un travail efficace sur la lumière. Saluons d’ailleurs ici l’engagement des techniciens qui œuvrent dans l’ombre, au rythme des montages et démontages multiples, pour que ces représentations en itinérance se déroulent sans que le public n’ait à déplorer la moindre insuffisance.

Voilà un spectacle original et abouti. Il est heureux qu’après les premiers succès de la saison précédente, le public ait eu la possibilité d’y assister aussi dans les territoires de la Drôme et de l’Ardèche, sous l’impulsion de la Comédie de Valence.  À ce propos, la rencontre qui a suivi a confirmé l’enthousiasme de ceux qui étaient présents dans la salle, certains y percevant souvent l’écho d’une expérience personnelle familière dans le sport ou même la pratique artistique. Maxime Taffanel est chaleureusement entré dans l’échange et a rappelé une fois encore sa démarche de « réconciliation avec l’eau » en créant Cent mètres papillon. Pour terminer, il a ajouté avec insistance « Quand je suis sur le plateau, je me laisse tomber. » Et pour cette saison encore, le public semble tout à fait prêt à l’accompagner, suivant avec lui le chant de ses Sirènes.

Maxime Taffanel
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Thierry Jallet
Titulaire d'une maîtrise de Lettres, et professeur de Lettres, Thierry Jallet est aussi enseignant de théâtre expression-dramatique. Il intervient donc dans des groupes de spécialité Théâtre ainsi qu'à l'université. Animé d’un intérêt pour le spectacle vivant depuis de nombreuses années et très bon connaisseur de la scène contemporaine et notamment du théâtre pour la jeunesse, il collabore à Wanderer depuis 2016.
Crédits photo : © Romain Capelle

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