Giuseppe Verdi (1813–1901)

I masnadieri (1847)

Opera tragica in quattro atti
di Andrea Maffei
d’après la tragédie Die Räuber (Les brigands) de Friedrich Schiller

Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

 

Direction musicale                        Daniele Callegari
Mise en scène                                 Leo Muscato
Décors                                              Federica Parolini
Assistant à la mise en scène        Alessandra De Angelis
Costumes                                         Silvia Aymonino
Assistante aux costumes              Virginia Gentili
Lumières                                         Alessandro Verazzi
Chef de chœurs                              Stefano Visconti

Massimiliano, Conte di Moor          Alexeї Tikhomirov
Carlo, figlio di Massimiliano            Ramón Vargas
Francesco, figlio di Massimiliano   Nicola Alaimo
Amalia, nipote di Massimiliano      Roberta Mantegna
Arminio, camerlengo di Massimiliano        Reinaldo Macias
Rolla, compagno di Carlo                 Christophe Berry
Moser, un pastore                              Mikhaїl Timochenko

Production du Teatro Regio di Parma

 

Opéra de Monte-Carlo, dimanche 22 avril 2018

I masnadieri, opéra de Giuseppe Verdi parmi les moins représentés, est à l’affiche de l’Opéra de Monte-Carlo dans une belle édition du Teatro Regio de Parme. Elle entraîne le public dans le climat gothique suggéré par le livret d’Andrea Maffei. Succès personnel de Nicola Alaimo dans le rôle du « méchant » Francesco Moor, élément de référence d’une distribution globalement à la hauteur du défi.

Traduit de l'italien par Guy Cherqui

Carlo : Quando io leggo in Plutarco, ho noia, ho schifo
di questa età d'imbelli!… […]
Coro : Una banda, una banda ; eroi di strada…
Col pugnale ~ e col bicchier
nessun vale ~ il masnadier !
Carlo : Son gli ebbri, inverecondi
miei compagni d'errore!…
Quanto, o padre, mi tarda il tuo perdono
onde por questi abbietti in abbandono ! ((Carlo :  Quand je lis mon Plutarque,  je rougis de nous […]
Coro :  Plus d’entraves Plus d’esclaves
Par le verre et par le fer
Fêtons Lucifer
Carlo : Toujours,toujours l’orgie
Toujours crime et folie ;
Ô mon père pardonne, et vers toi je reviens
Et mon cœur va renâitre en de chaste liens.
(I masnadieri de Andrea Maffei, Acte I, sc. I, paroles de Jules Ruelle, Paris 1870)
))
(I masnadieri de Andrea Maffei, Acte I sc.I)

Ces vers n'ont pas la qualité de ceux de Felice Romani ou Salvatore Cammarano, pour citer deux des librettistes les plus raffinés du XIXe siècle, mais en quelques lignes de récitatif Andrea Maffei pose la thématique autour de laquelle tourne le onzième opéra de Giuseppe Verdi , tirée du drame Die Räuber (Les brigands) de Friedrich Schiller, qui traite d’un conflit générationnel entre pères et fils dans la sphère privée, et entre ordre et rébellion dans la sphère publique.
Ainsi se tissent, comme presque toujours dans l’opéra, l’histoire des passions et des sentiments : « C’est un vrai marécage intergénérationnel fait de douceur et de damnation : le père aime et hait le fils rebelle (quant à lui sincère et aimant, telle la Cordelia du Roi Lear) mais il est hai et trahi (enterré vivant) par l’autre fils, resté en famille, qui hait le frère dont il aime la femme, qui aime elle-même à son tour d’une manière presque maternelle son presque beau père » ((Incomparable synthèse de l’intrigue, tirée de  “Verdi, L’immaginario dell’Ottocento”(Verdi, l’imaginaire du XIXe), Marzio Pieri, Milano, 1981 pag. 87)).
Écrite pour ses débuts au Her Majesty’s Theatre en 1847, après les habituelles et rudes discussions liées à la possibilité de disposer d’interprètes précis,  semées de plaintes sur le climat londonien qui finiront par devenir le thème principal autour duquel tourne la correspondance liée à l’événement, I masnadieri est une œuvre hétérogène, qui perd en cohésion dramatique et vision d‘ensemble par rapport aux œuvres qui précèdent. Et pourtant, l’œuvre est théâtralement plus efficace que pas mal de ses consœurs  plus souvent représentées peut-être, mais qui ne peuvent se prévaloir de pareilles suites de pages brèves mais spectaculaires, aussi directes et immédiates dans la narration.
L’opéra n’est pas choral à la manière de Nabucco et de I Lombardi, malgré la présence massive du chœur qui est seulement un cadre et ne devient jamais, évidemment, expression de sentiments populaires auxquels pouvoir s’identifier. À la fin, les moments triviaux du livret finissent par recréer une atmosphère qui ne sera sans doute pas tant Sturm und Drang au sens des anthologies scolaires, mais qui au moins peut rendre crédible  l’immersion dans un horror show au style gothique de plaine du Pô.
Nous avons apprécié la production intelligente originellement montée au Regio de Parme et judicieusement reproposée pour l’occasion dans la mise en scène efficace de Leo Muscato, avec les jolis costumes de Silvia Aymonino pour des personnages qui évoluent dans des décors assez crédibles constitués de quelques objets (arbres, croix , sièges, caisses en bois, un lit, ou des candélabres) disposés sur un simple praticable de planches grossières créés avec une certaine élégance par Federica Parolini

Carlo Moor (Ramón Vargas) au premier acte

Comme habillage de l’ensemble, la science des éclairages, signés Alessandro Verazzi, les rend indispensables à la réussite globale. Vraies protagonistes du spectacle, les éclairages tantôt chauds, tantôt surréels, tantôt infernaux habillent d’une manière incomparable les protagonistes et illuminent le praticable par le filtre des interstices entre une planche et l’autre en soulignant habilement les états d’âme des personnages et les moments dramatiques. Effet simple, mais particulièrement réussi, surtout  quand il est est bien fait comme c’est le cas ici.

Amalia et Francesco Moor (Roberta Mantegna, Nicola Alaimo) au second acte.

Le soin mis dans l’écriture se perçoit dans le prélude orchestral initial, qui voit un solo de violoncelle confié ici au virtuose Alfredo Piatti et qui confirme que Verdi, même si ce n’était pas une création dans sa chère Paris, n’a pas pris ce contrat à la légère.

Sur le podium de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, aux interventions précises et aux sonorités homogènes, la direction de Daniele Callegari est plutôt monocorde dans le choix des tempi, des couleurs, et souvent mécanique dans l’accompagnement, en particulier des moments rapides de l’œuvre . Mais Callegari est cependant attentif à soutenir les chanteurs et on doit apprécier le choix de proposer une version intégrale de l’opéra sans les ennuyeuses coupures.

Le splendide Francesco Moor de Nicola Alaimo est sans discussion le protagoniste de la soirée, qui atteint son climax avec le songe qui ouvre le quatrième acte de l’opéra, où chant précis, technique sûre et jeu chauffé à blanc fusionnent pour donner vie à une scène qui provoque le frisson de toute la salle. Mais Alaimo centre déjà le personnage dès le début, avec un récitatif parfaitement calibré, avec une voix à l’émission techniquement sans failles dans les basses et dans les aigus, aussi bien dans la mezzavoce que dans le chant pur, au timbre et à la diction  particulièrement clairs. Boitant et appuyé à un bâton, avec la tache qui lui barre la moitié du visage, voilà ce qui marque la contrepartie physique de la méchanceté morale de son personnage, à qui il ne restera qu’à se poignarder à l’arrivée des brigands après le duo avec le berger.

Francesco Moor (Nicola Alaimo) dans le songe du début du quatrième acte.

La jeune palermitaine Roberta Mantegna, née en 1988, est Amalia après avoir déjà interprété le rôle à L’Opéra de Rome en début de saison (voir notre article ci-dessous), dont elle faisait partie du « vivier », et où elle s’est diplômée dans le cadre du projet Fabbrica  – Young Artists Program.
Douée d’une belle présence scénique qui en fait une protagoniste crédible, il faut néanmoins signaler que la voix, qui résulte agréable et sûre à la première octave, perd de l’épaisseur et du moëlleux a mesure qu’elle monte à l’aigu. Il en va de même dans le manque de grâce et de maîtrise dans ces agilités que Verdi écrivit, ayant à disposition Jenny Lind ((Jenny Lind (1820–1887) fut un célèbre soprano suédois. Sa maîtrise de l’exécution d’agilités stratosphériques lui valut le surnom de rossignol suédois.)) Ainsi passent, corrects et sans émotion particulière et l’air du deuxième acte Tu del mio Carlo al seno, et à la sauvette et mécaniquement, le duo du troisième acte avec Carlo qu’elle retrouve.

Amalia et, au fond, Francesco Moor (Roberta Mantegna, Nicola Alaimo) au premier acte .

Débutant dans le rôle de Carlo, Ramón Vargas s’en est plutôt bien sorti dans l’ensemble, avec son phrasé net et précis dans les récitatifs, et une voix correcte et sûre dans les airs. C’est dans le final du troisième acte, dans la confrontation avec son père, interprété avec une voix douce et un timbre précieux par Alexeї Tikhomirov que le ténor trouve ses meilleurs moments en sachant rendre de manière crédible, et vocalement et scéniquement, le côté dramatique du rôle.

Carlo Moor (Ramón Vargas) à la tête des brigands .

Les interventions de Reinaldo Macias, Christophe Berry et Mikhaїl Timochenko dans les rôles d’Arminio, Rolla e Moser sont importantes et loin de la simple routine, tout comme celles du chœur de l’Opéra de Monte-Carlo vraiment remarquable et très bien préparé par Stefano Visconti

À la fin du spectacle, succès pour tous les interprètes avec des applaudissement particulièrement nourris pour Alaimo, Mantegna et Vargas

 

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Paolo Malaspina
Paolo Malaspina est né en 1974 e fréquente le monde de l’opéra depuis 1989. Il pris des cours privés de chant lyrique et d’histoire de la musique, en parallèle avec des études en ingénierie chimique. Il obtient son diplôme en 1999 auprès de l’Ecole polytechnique de Turin avec une thèse réalisée en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Toulouse. Ses intérêts en matière musicale s’orientent vers le XIXème et XXème siècles, avec une attention particulière à l’histoire de la technique vocale et de l’interprétation de l’opéra italien et allemand du XIXème.
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