Alice et autres merveilles

Espace Pierre Cardin, Théâtre de la ville, 15 décembre

Mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota
Scénographie : Yves Collet
Costumes : Fanny Brouste
Lumières : Yves Collet, Christophe Lemaire
Son : David Lesser
Vidéo : Mathieu Mullot
Masques : Annie Leray

Avec :

Suzanne Aubert (Alice)
Jauris Casanova (Le Lori, Le Grand Méchant Loup, Le Valet de cœur)
Valérie Dashwood (La Poupée Barbie, La Chenille, Le Chapelier)
Philippe Demarle (Le Lapin blanc aux yeux rouges, Le Lièvre de Mars)
Sandra Faure (L’Aiglon, L’Archi-Duchesse, La Reine de cœur)
Sarah Karbasnikoff (Le Petit Chaperon rouge, La Souris, La Cuisinière, Deux)
Stéphane Krähenbühl (Pinocchio, Bill le Lézard, Sept)
Gérard Maillet (Le Dodo, Le Chat de Cheshire, Cinq)
Walter N’Guyen (Le Canard, Le Bébé, Le Loir, Le Roi de cœur)

Espace Pierre Cardin , le 15 décembre 2017

Reine de Cœur, lapin, mais aussi Barbie et Pinocchio : cette adaptation et réinvention d’Alice au pays des merveilles s’adresse à un public d’enfants, à partir de 7 ans, et sans limites au-delà, pour peu que l’on accepte d’échapper à la rationalité et à laisser vagabonder une trame narrative parfois trop bavarde.

Ecrit par Fabrice Melquiot, homme de théâtre et auteur de textes pour enfants, mis en scène par son ancien comparse de la compagnie Théâtre des Millefontaines Emmanuel Demarcy-Mota, aujourd’hui directeur du Théâtre de la Ville, cette réinvention d’Alice au pays des merveilles a été créée il y a deux ans, place du Châtelet. Une nouveauté alors pour le Théâtre de la Ville : s’ouvrir aux jeunes spectateurs. Aujourd’hui fermé pour travaux, il a repris cette production à l’Espace Cardin. Scène plus étroite, plus resserrée, plus dense sans doute. Les bruitages y gagnent en présence, l’écrin sonore est captivant, parfois effrayant. Pourtant, les enfants, nombreux dans la salle, n’en ont cure, bercés par une succession de tableaux colorés, espiègles, fantastiques.

Le conte de Lewis Carroll, nous est-il dit, est celui d’une enfant désormais âgée de 152 ans. Elle ne les fait pas. Ainsi se présente Alice, surgissant des fauteuils du premier rang : silhouette frêle, baskets, jean serré, engoncée dans un anorak jaune citron, Suzanne Aubert semble traverser la scène comme suspendue. Bondissante, agile, serpentine et malicieuse, elle est cette candeur désarmante qui donne aux rêves les plus fous leur étrange réalisme. La voici qui s’adresse au public d’un ton d’évidence : ne sommes-nous pas, assoupis dans nos fauteuils, comme elle prêts à dormir, rêver, bref, tout inventer ? Tant de vitalité éblouit. Loin de l’imagerie construite par Disney, elle incarne une fantaisie enthousiaste, acide, une aventure. Il y a du Peter Pan en elle, vivement qu’elle ne soit pas adulte.

 

Des yeux rouges du lapin au QI de Barbie

Sa route croise celle des personnages de Carroll, mais pas seulement. Surgissant aux balcons ou des coulisses, dents de vampires plus que de bouffeurs de carottes, les lapins sont effrayants. L’un d’eux a les yeux rouges (Philippe Demarle, multiple, empressé, parfait), il est en retard. La Reine de cœur, démesurément folle, regard fou, corps désarticulé, cris saignants : « qu’on lui coupe la tête ! ». Et puis d’autres. Comme ces chats, au sourire carnassier, semblable à celui d’un requin à qui ils auraient emprunté plusieurs rangées de dents.

Une poupée Barbie, qui répète fièrement qu’elle a 43 de QI, et profère des absurdités sans nom. Ou des vérités commerciales : le monde des jouets, rude compétition, elle connaît. Alice, tu n’as qu’à bien te tenir… Barbie y a gagné sa place ; elle dévoile le galbe d’une jambe impeccable. A l’inverse, drame de la lucidité, le Petit Chaperon rouge se compare à Alice : « elle est nulle, mon histoire ! » Pinocchio fait du skateboard à plat ventre et Cyrano lui apprend les règles de la séduction. Les références sont multiples, qui titillent les souvenirs et campent un monde multiforme, montrant la connivence du conte avec le théâtre.

Lumière et costumes féériques

Soutenue par une vidéo délicate, la féerie impose ses couleurs. Suspendue, Alice ne cesse de tomber au fond d’un puits ; aérienne, d’en remonter. On en oublie les fils, tant l’image de cette enfant nageant dans les airs est radieuse.  Les acteurs pataugent dans une eau que la magie de l’éclairage transforme en poudre. Une chenille surgit, pareille à une reine des glaces : la costumière Fanny Brouste a cousu des tubes en plastique blanc et noir sur une combinaison de plongée. Le résultat est ébouriffant.

Les décors invitent les personnages à grandir ou rapetisser, les repères visuels éclatent. D’une porte minuscule surgit un bébé gigantesque, en couches culottes, l’acteur est tatoué. Un léger malaise nous saisit. Les rêves d’Alice seraient aussi ceux des adultes ? Ce bébé est frappé, ses cris d’agonie semblent aussi aigus que la voix d’Yma Sumac, entendue auparavant. Car la scène, parfois, emprunte les chemins du musical, avec quelques airs fredonnés par la troupe, qui termine avec le tube des Pink Floyd (« We don't need no education »), mais fallait-il à ce point être explicite ?

De ce spectacle hybride surgissent alors de menues interrogations. Parfois n’est-il pas trop complexe, retors, pour des enfants ? ou trop simple pour des adultes ? Le récit est parfois moralisateur (l’épisode Barbie se traîne), parfois bavard, qui nous égare. On s’y perd et l’on n’écoute pas toujours : les images en soi suffisent à captiver. Le texte alors semble superflu et l’on aimerait simplement se laisser entraîner dans ce flot sonore et visuel, qui est celui du rêve, avec cette relecture joyeuse et désordonnée. Prenant au mot l’interrogation de Carroll, en forme d’évidence : « Si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? »

 

 

 

 

 

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