Philippe Boesmans (1936) Création mondiale
Opéra sur un livret de Joël Pommerat
d'après Carlo Collodi
Commande du Festival d'Aix-en-Provence
et du Théâtre Royal de la Monnaie

Direction musicale : Emilio Pomarico

Mise en scène : Joël Pommerat
Décors et lumière : Éric Soyer
Costumes, maquilleage, perruques : Isabelle Deffin
Vidéo : Renaud Rubiano
Collaboration artistique à la mise en scène : Gilles Rico*, Jane Piot
Assistant musical : Nicolas Chesneau*
Chefs de chant : Frédéric Calendreau, Nicolas Royez*
Assistante aux décors : Marie Hervé
Assistante aux costumes : Marie Szersnovicz
Assistant à la lumière : Gwendal Malard
Le directeur de la troupe / premier escroc / deuxième meurtrier / le directeur de cirque : Stéphane Degout*
Le père / troisième meurtrier / le maître d’école : Vincent Le Texier
Le pantin : Chloé Briot*
Deuxième escroc / le directeur de cabaret / le juge / premier meurtrier / le marchand d'ânes : Yann Beuron
La chanteuse de cabaret / le mauvais élève : Julie Boulianne
La fée : Marie-Eve Munger*

Figurantes
Jilan Al Hassan, Charlène Girin, Camille Lucas, Garance Rivoal, Claudine Sarzier
Musiciens de troupe
Fabrizio Cassol (saxophone / coordinateur de l'improvisation), Philippe Thuriot (accordéon), Tcha Limberger (violon tzigane)
Klangforum Wien
*Ancien.nes artistes de l'Académie

EN COPRODUCTION AVEC LA MONNAIE / DE MUNT, L'OPÉRA DE DIJON, L'OPÉRA NATIONAL DE BORDEAUX
AIDE À L'ÉCRITURE D'UNE ŒUVRE ORIGINALE DU MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION

ÉDITEUR DE LA PARTITION : ÉDITIONS JOBERT

Festival d'Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 9 Juillet 2017

Deuxième collaboration de Joël Pommerat et de Philippe Boesmans après Au monde (2014),  Pinocchio est une création mondiale, même si Pommerat a déjà présenté Pinocchio précédemment au théâtre (voir Odéon Théâtre de l’Europe en 2015–2016). L’événement est suffisamment important que pour que d’une part il ait ouvert le Festival 2017, qu’il ait lieu au Grand Théâtre de Provence, seul lieu permettant sans doute les effets scéniques et lumineux spécifiques nécessaires, et que d’autre part une distribution de très grande qualité ait été réunie, et l’un des ensembles de musique contemporaine les plus prestigieux d’Europe (Le Klangforum Wien) ainsi que l’un des chefs les plus familiers du répertoire d’aujourd’hui, Emilio Pomarico.

 

 

Tout était réuni pour que ce Pinocchio soit une réussite. Et les choses ont bien fonctionné. Le travail en commun effectué par Philippe Boesmans et Joël Pommerat a permis de donner voix à une production esthétiquement splendide, et musicalement suffisamment accessible à un large public, faisant appel à des citations, à des genres multiples, avec beaucoup de relief et de brillant. Il est clair qu’il fallait garder à l’ensemble son allure de conte accessible à des enfants (il y en avait beaucoup en ce dimanche après-midi) mais qui puisse être aussi partagé par des adultes. La structure en est donc très lisible, très accessible, mais en même temps le spectacle n’a rien d’un conte pour enfants : on est plutôt dans ce qu’on appelle en littérature le roman d’apprentissage, où un enfant devient un homme après des épreuves longues et difficiles. Dans Pinocchio, c’est le pantin qui devient un « vrai » enfant, c’est à dire un humain, mais la métaphore est claire.
Il n’y a rien dans cette histoire de moralisant : les différentes aventures de Pinocchio sont données telles quelles et le « récitant » (magnifique Stéphane Degout) se contente d’enchainer les scènes, sans jamais donner de leçons. Il suffit de voir : le spectacle lui-même constitue la leçon.
Pommerat travaille ici une pâte qui est sienne, qu’il a déjà travaillée au théâtre, pas tout à fait avec la même équipe, mais son esthétique reste la même, avec sa science raffinée des éclairages et des images, qui doit donner une impression de simplicité : on se souviendra évidemment des scènes sur la mer (réalisées quand même avec le laser), de l’apparition de la fée, quelquefois fée, quelquefois passante banalisée, qui elle aussi ne donne pratiquement jamais de leçons, du départ en camion, et d’une ambiance souvent tendue, mais jamais violente, notamment dans les rencontres avec les brigands.
Car il y a une tension permanente, même si on sait le happy end. Peu de dialogues, des images frappantes, peu de personnages en scène ensemble : tout cela invite à la concentration, et le noir permanent en scène, taché du blanc du/des masque(s) n’est pas vraiment apaisant, mais plutôt inquiétant. Pinocchio est de loin en loin protégé, mais l’histoire le fait en quelque sorte aller jusqu’au bout, sans que la tendresse inhérente à l’histoire apparaisse sinon en toute fin.
Car l’histoire nécessite une narration, c’est un récit continu d’aventures, un peu épiques, et Pommerat pour rester dans une esthétique de la simplicité, travaille lui-aussi (après Sivadier, après Tcherniakov) sur le théâtre dans le théâtre, donnant à voir une histoire de tréteaux, de troupe qui va voyager dans les villages et les campagnes pour donner l’histoire de Pinocchio comme on donnait autrefois Roger la Honte. D’où l’importance du récitant-directeur de troupe au masque inquiétant, qui ressemble à celui du Pantin, comme s’il racontait sa propre histoire.
Le tout est parfaitement construit, avec une musique qui épouse le récit, tantôt en le commentant tantôt en le prévenant, comme peuvent le faire les musiques de films, avec un côté quelquefois chambriste et intimiste qui rend bien toute l’étendue de l’aventure individuelle, et un côté circassien ou tsigane avec ces trois merveilleux musiciens sur scène (Fabrizio Cassol, philippe Thuriot et Tcha Limberger) qui accompagnent le récit. Un travail accessible et vivant, plein de citations dont le célèbre air d’Ambroise Thomas (Mignon), « connais-tu le pays.. »  qui ne ravira pas les adeptes de créations plus novatrices, mais qui au moins a le mérite de ne pas effaroucher le public. Une réflexion sur la création lyrique aujourd’hui s’impose, et sur le devenir des œuvres créées. Celle-ci tournera à Dijon, Bordeaux et Bruxelles, c’est une excellente nouvelle.
La présence du Klangforum Wien, avec une composition réduite, et d’Emilio Pomarico à leur tête garantissait une qualité notable à l’entreprise musicale, faisant ressortir les instruments, donnant un vrai relief à certaines scènes, dans une ambiance qui trouve des échos  lointains dans « La Strada » de Fellini ou dans certains films d’Emir Kusturica.
Il faut saluer aussi le grand soin donné à la distribution, où les chanteurs embrassent différents personnages, où chacun est à sa place. Aussi bien Vincent Le Texier, père un peu perdu, mais bienveillant et chaleureux, et instituteur dépassé avec un timbre légèrement voilé qui convient très bien aux deux personnages, Yann Beuron, excellent notamment en brigand, timbre clair, belle diction (indispensable dans ce travail) qui parodie Mignon d'Ambroise Thomas avec entrain et justesse ainsi que Chloé Briot, le pantin, tour à tour très émouvant ou un peu agaçant, qui s’affirme de plus en plus comme une chanteuse avec qui l’on doit compter, belle personnalité, voix très bien projetée et posée. À suivre. Notable aussi la fée de Marie-Eve Munger, soprano colorature aux aigus assurés et bien contrôlés, en route vers une douce stratosphère et Julie Boulianne, chanteuse de cabaret vraiment aussi remarquable en chanteuse de cabaret qu'en mauvais élève .
C’est évidemment sur Stéphane Degout que repose l’essentiel de la dramaturgie puisque ses interventions rythment le récit. Tantôt chanteur, tantôt diseur, Stéphane Degout a cette distance légère du narrateur pas tout à fait neutre, avec une expressivité notable. La chaleur du timbre, qu’il soit chanté ou parlé, la diction parfaite dans toutes les situations font penser que Degout, outre à être le chanteur remarquable que nous connaissons, pourrait être un magnifique diseur de poésie. C’est l’incontestable référence de cette production. Exceptionnel.

 

Avatar photo
Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici