JARDINS

Un concert de l'édition 2017 du Festival de Royaumont
Dans le cadre du week-end Éclats

Ensemble Multilatérale
Nicolas Crosse contrebasse
Keiko Murakami flûte
Alain Billard clarinette
Hélène Colombotti percussion
Lise Beaudouin piano
Aurélie Saraf harpe

PROGRAMME
Franck Bedrossian Edges pour piano et percussion
Georges Aperghis Fidélité pour harpe
Yann Robin Symétriades pour contrebasse et électronique
Brian Ferneyhough Mnémosyne pour flûte basse et électronique
Raphaël Cendo Décombres pour clarinette contrebasse et électronique

SALLE DES CHARPENTES

Un concert de l'édition 2017 du Festival de Royaumont
Dans le cadre du week-end Éclats

Juliet Fraser soprano
Ensemble Multilatérale
Quatuor Tana
Léo Warynski direction


SALLE DES CHARPENTES

Un concert de l'édition 2017 du Festival de Royaumont
Dans le cadre du week-end Éclats

Quatuor Tana
Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun violons
Maxime Desert alto
Jeanne Maisonhaute violoncelle

Ce concert a été enregistré par France Musique , il sera diffusé le 27 septembre à 20h.

PROGRAMME
Alex Mincek Quatuor n°3 lift – tilt – filter – split
Yann Robin Quatuor n°3 Shadows
Edwin Hillier Soliloquies création – commande de la Fondation Royaumont
Béla Bartók Quatuor n°4

Abbaye de Royaumont, 9 septembre 2017

Le programme Voix Nouvelles fait partie des étapes que nombre de musiciens cherchent à franchir pour consolider à la fois leur parcours et leur reconnaissance académiques. Depuis qu’il en a repris en 2016 la direction artistique, le chef d’orchestre Jean-Philippe Wurtz a souhaité que les interprètes viennent côtoyer à l’Abbaye de Royaumont les compositeurs, tant il est vrai que les uns ont de plus en plus à apprendre des autres. Ouverte au public, la phase de restitution du travail effectué lors de cette académie était étendue pour cette session à un week-end « Éclats » en forme de mini-festival.

Après le concert inaugural du vendredi soir, donné justement par les instrumentistes stagiaires réunis pour l’occasion en un Ensemble Voix Nouvelles, c’est un « Drame au jardin », menacé jusqu’à la dernière seconde par une météo capricieuse et finalement assez clémente, qui permet au public du samedi d’arpenter côté jardin le beau domaine qui accueille les stagiaires et formateurs. Après une première partie dans l’une des bibliothèques de l’Abbaye, dont l’acoustique sera à plusieurs reprises saturée par le duo piano et percussion Edges, pièce qui témoigne justement du versant le plus saturationniste de la production de Franck Bedrossian, on se dirige vers le cloître de l’abbatiale. Là, le théâtre musical de Georges Aperghis tranche avec le ton dominant du concert. Impliquant « une harpiste seule regardée par un homme », Fidélité repose en partie sur un texte passé à la moulinette (« Sion u toi moutible es lui dur rien non », etc.) dont le degré d’intelligibilité fluctue. Cette pièce de 1983 fait son âge, mais la harpiste Aurélie Saraf, à l’aise dans ce rôle et forte de sa présence scénique, lui donne corps.

On gagne ensuite le potager-jardin, où un dispositif de diffusion permet de redécouvrir dans un espace large, dense et particulièrement confortable, où s’invitent oiseaux et avions, trois pièces pour instrument solo et électronique. Tirant respectivement parti des qualités acoustiques de la contrebasse et de la clarinette contrebasse, Symétriades de Yann Robin et Décombres de Raphaël Cendo, pièces jumelles composées en 2006, bénéficient du plein air et d’une projection spatiale exemple des parasites acoustiques que peut engendrer une salle de concert. On se concentre dans le premier cas une un geste formel simple – une sensation de décollage, fortuitement en phase avec cet environnement aéroportuaire – reposant sur la fluidité et la continuité, dans le second sur une dynamique plus discursive. Dans les deux cas, la configuration soliste permet le plein déploiement du potentiel virtuose des fins connaisseurs de cette musique que sont Nicolas Crosse et Alain Billard. De façon inattendue, c’est Mnemosyne (1986) de Brian Ferneyhough, compositeur auquel on associe volontiers densité extrême et hyperactivité du discours musical, qui ménage une période médiane de sérénité. La partie de flûte basse, démultipliée par l’électronique, se ramifie tantôt en une mélodie principale portée par un sous-bassement harmonique, tantôt en une hétérophonie flottante, d’autant plus fluide que Keiko Murakami privilégie douceur et plénitude du timbre.

Les données biographiques des compositeurs de l’académie soulignent une fois de plus la forte mobilité de ces jeunes musiciens, installés pour la plupart, au moins provisoirement, hors de leur pays natal. Selon une tendance qui peut sembler paradoxale mais tend à s’installer, elles révèlent aussi qu’aucun compositeur français ne participait cette année, comme si le prestige international des institutions qui enseignent la composition dans l’Hexagone agissait surtout à l’extérieur de ses frontières. Les pièces achevées pendant l’académie, dont on entend une première moitié ce samedi, relèvent d’esthétiques très diverses. Confirmant après un passage par le cursus de l’Ircam et le festival ManiFeste son penchant pour une musique sous-tendue par une construction dramaturgique, Sivan Eldar, originaire d’Israël et résidant actuellement à San Francisco, charge le minimalisme de Any bed but one’s (pour voix, violon et percussion) d’un remarquable potentiel expressif.

Juliet Fraser

Elle fait évoluer la soprano Juliet Fraser – que l’on connaît par ailleurs dans le cadre de l’ensemble vocal Exaudi – entre parole, voire murmure, et chant, jouant avec beaucoup de finesse sur le seuil du voisement. Le violon d’Antoine Maisonhaute, qui sera lui aussi traité à la frange de l’harmonique et de l’inharmonique ne se mêle quasiment pas avec la voix, et laisse à la percussion (cloches, plaques métalliques et waterphone, utilisés bien davantage pour leur résonance que pour des impacts ponctuels) le rôle de médiateur. De la concomitance de la voix et de l’alto naît au contraire dans Attics de Cengiz Eren (Turquie) une interdépendance harmonique. Si la vocalité balance là encore entre parlé et chanté, les deux états sont clairement différenciés. Sur une écriture en accords vient plus tard se greffer un début de lyrisme, avant que ne se fassent entendre des fragments chuchotés de la célébrissime Lorelei de Heine. Intégrant le trio des pièces les plus convaincantes de cette première journée, le solo pour piano Radius de l’Australienne Annie Hsieh, née à Taiwan et résidant elle aussi en Californie, trahit plusieurs influences probables dont celle du pionnier Henry Cowell. Claudia Chan se partage avec une telle aisance entre clavier et jeu debout, dans les cordes, que sa prestation prend par moments un tour quasi chorégraphique. On regrette cependant que le climat poétique qui naît de la sobriété du matériau et de la clarté se disperse finalement en une plus banale exubérance du clavier. Spécifiquement destiné au Quatuor Tana, formation invitée de l’académie, laugh radish de Jonah Haven semble attester du fait que l’esthétique de la saturation, liée à un bruitisme post-lachenmannien, a déjà fait école. Malgré ses qualités, cette pièce directement tributaire d’accessoires – peignes et archets préparés entre autres – reste cependant trop proche d’une démonstration de modes de jeu dont les effets peinent à s’articuler en un discours directionnel. Par contraste, les passages où émerge une composante harmonique projettent une luminosité plus séduisante.

Quatuor Tana

C’est aussi au Quatuor Tana que revient le concert du soir. L’acoustique de cette même « salle des charpentes » qui tend à matifier les cordes, n’entame pas l’énergie des musiciens, qui livrent ici un de ces programmes copieux et électrisants qu’ils affectionnent. Ils impriment d’abord au Quatuor No 3, lift – tilt – filter- split d’Alex Mincek un élan qui en souligne la palette dynamique, décisive dans l’articulation du discours. On en perçoit ainsi clairement la matière stratifiée, qui tout en suscitant de forts contrastes et de nombreuses ruptures, laisse entrevoir au moins de façon sporadique la stabilité cachée de ces strates. Si on peut leur reprocher un léger manque d’articulation, au sens phonétique du terme, et donc une diction légèrement estompée, on admire en revanche leur nuancier de sons harmoniques et leur façon de moduler la luminosité. Après un Quatrième quatuor de Bartók à la modernité toujours éclatante et dont les Tana expriment toute la vitalité, la sophistication qui caractérise Soliloquies d’Edwin Hillier peut d’abord paraître affectée. Le tournant bruitiste que semble prendre la production du jeune Britannique peut certes facilement s’expliquer par le fait que les dédicataires, qui créent la pièce lors de ce concert, sont notoirement passés maîtres dans ce domaine. Beaucoup des modes de jeu inharmoniques, dont certains impliquent des accessoires – blocs de polystyrène arrimés aux pupitres, cartes en plastique –, et auxquels viennent s’adjoindre le parlé/chanté/sifflé, tendent vers un effet de catalogue et perdent à plusieurs reprises, comme chez Jonah Haven, leur capacité à s’agglomérer en un geste qui les englobe. Derrière cette tendance démonstrative se cache pourtant une intéressante focalisation sur un mezzo-tinto se situant sur une ligne de crête entre spectre harmonique et inharmonique, dont l’apport le plus appréciable réside dans la décorrélation de la saturation et du trop-plein énergétique. Judicieusement placé en fin de concert, le Quatuor No 3 de Yann Robin, Shadows, montre quant à lui que les modes de jeu saturés peuvent se faire oublier en tant que tels pour nourrir une forme large propice à leur offrir un cadre dramaturgique. Les Tana, qui connaissent cette musique pour avoir été dès le début impliqués dans son élaboration, en ont intégré non seulement les implications gestuelles, voire physiologiques, profondes, mais aussi la dynamique discursive. Particulièrement ductile, le résultat emporte sous les charpentes une forte adhésion dont il ne serait guère étonnant que les prochaines œuvres de certains des jeunes compositeurs présents ne gardent quelques traces.

 

 

Pierre Rigaudière
Collabore en tant que critique musical au magazine Diapason depuis 2001 et L’Avant-Scène Opéra depuis 2009. Il est par ailleurs l’auteur du « Parcours de l’œuvre » de nombreux compositeurs pour la base « Brahms » de l’Ircam. En tant que producteur à France Musique, il a fait partie entre 2009 et 2016 de l’équipe des « Lundis de la contemporaine », émission pour laquelle il a réalisé de nombreux reportages et portraits de compositeurs. Il est titulaire d’une agrégation de musique et d’un doctorat de musicologie (Ircam/ehess), et enseigne en tant que maître de conférences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne.

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