Deux soirées très contrastés et virtuoses nous attendent au Théâtre de la Renaissance à Oullins, avec pour le premier concert, l’Ensemble Court-circuit qui interroge la notion de processus et de continuum, notamment avec Amplification/propagation 3 (2006), une pièce de Jean-Luc Hervé pour trio à cordes et piano. La spatialisation et la trajectoire sonore est au cœur de cette partition, avec des interventions qui naissent dans la résonance grave du piano et progressivement se déploient en lignes tantôt frottées et tantôt percussives entre les instruments du trio à cordes. On navigue ici au cœur d'un flux spectral qui place le timbre au centre de la structure générale de la pièce. À l'inverse, Spur (1998) du compositeur autrichien d'origine suisse Beat Furrer donne à l'impact et à une rythmique ostinato très jazzy la prééminence des éléments musicaux qui s'y agrègent. Le piano impose au quatuor à cordes une répétition de cellules qui progressivement, contaminent par touches nerveuses tout le discours avant de disparaître dans un horizon ponctué de pizzicatos.
Compositrice franco-iranienne et spécialiste du santour, instrument traditionnel, Farnaz Modarresifar propose avec Silences inouïs une forme libre où s'interpénètrent des vortex qui tantôt étirent, tantôt réduisent le temps musical à des écrasements de texture et de timbres, comme une couleur saturée projetée sur une toile. Plus explicitement articulé autour d'une mécanique instrumentale traversée de lignes vibrées et volumineuses, le vaste et génial Cinemaolio de Francesca Verunelli se déploie avec la dureté fantasque et agitée d'une sculpture de Tinguely. L'amplification bruitiste et virtuose du piano conduit à une déformation obstinée d'une matière sonore avec cordes et vents, à la manière d'une compression de César dont on observerait tout le processus d'élaboration.
La seconde soirée déroule un généreux programme dirigé par le compositeur et chef d'orchestre Bruno Mantovani à la tête de l'Ensemble orchestral contemporain dont il assure depuis 2020 la direction artistique et musicale, à la suite de son créateur Daniel Kawka. La soirée débute avec Ti,ci,ti,ti, timptru de Marc Monnet, œuvre dont la plastique magistrale et subtile s'inscrit dans un titre qui, souvent chez ce compositeur, résonne comme une signature stylistique et l'annonce d'un contenu. Sur la base d'une allusion aux chants d'oiseau, Monnet développe une forme qui pourrait surprendre par l'élégance et la simplicité de la construction des tutti et des interventions solistes. Au-delà de la légèreté, on trouve ici la profondeur réflexive d'un opera seria, avec l'étrangeté d'un instrumentarium où surgit parfois un accord de banjo ou un sifflet à roulette. La précision de la mise en place est redoutablement difficile – défi surmonté de belle manière par les instrumentistes de l'Ensemble orchestral contemporain secondés par le piano de Jean-Marie Cottet remplaçant au pied levé le pianiste de l'EOC porté pâle pour cause de covid.
Richiamo d'Ivan Fedele est une pièce qui repose sur des unissons qui s'écartent en donnant naissance à des accords parfois très consonants et harmoniques. L'électronique se greffe sur ces accords en guise d'ornementation qui viendrait envelopper l'écoute comme l'écho d'une voix qui formerait l'écrin d'un texte lu ou chanté. Cette écriture en nappes et en irisations se développe dans un espace acoustique souligné par un ensemble de cuivres. Ballata n°8 de Francesco Filidei reprend un thématique romantique, inspirée davantage par le Liszt des poèmes symphoniques que par les Ballades de Chopin. En forme de large fresque de sons et de perspectives, on retrouve ici l'univers acousmatique propre aux qualités d'organiste du compositeur italien. La matière sonore est séparée du corps physique de l'instrument qui la produit, comme l'organiste demeure invisible aux yeux du spectateur. L'écrin strictement mécanique de l'instrument – orchestre est également présent dans cette pièce prolixe et mobile. L'auditeur est au cœur d'une machine musicale dont les instruments sont les éléments organiques d'une exploration du son.
La soirée se conclut avec Nei rami chiari de Lara Morciano, avec un orchestre très proche dans sa dimension et sa composition avec la pièce précédente. Attention à une sonorité solistique, même si l'intention est de travailler à une sonorité globale. À l'instar d'une pièce comme la symphonie de chambre de Schoenberg, cette œuvre manifeste des qualités d'écriture surabondantes au point de troubler l'écoute et de ne plus savoir en définitive si l'aspect polyphonique est le résultat d'une globalité ou bien si l'oreille doit se focaliser sur telle ou telle intervention d'un instrument saisi comme instrument soliste. L'intérêt se porte en alternance sur des sonorités parfois cristallines et pures, ou bien au contraire des sons écrasés, hétérogènes ou pulvérisés. La partition privilégie une ligne musicale très directionnelle où l'énergie est mise en avant avec un relief et une agressivité totalement assumés. L'électronique intervient en temps réel pour enrichir le spectre sonore et donner du relief à une articulation instrumentale déjà vigoureuse et engagée.