Richard Wagner (1813–1883)
Die Walküre (1870)

Opéra en trois actes
Première journée du festival scénique "Der Ring des Nibelungen"
Livret du compositeur
Création le 26 juin 1870 au Hoftheater de Munich

Direction musicale : Patrik Ringborg
Mise en scène : Staffan Valdemar Holm
Scénographie et costumes : Bente Lykke Moller
Lumières : Torben Lendorph
Dramaturgie : Stefan Johansson

Wotan :  James Rutherford
Brunnhilde :  Ingela Brimberg
Fricka :  Katarina Leoson
Siegmund :  Michael Weinius
Sieglinde : Marita Sølberg
Hunding :  Lennart Forsén
Helmwige : Angela Rotondo
Gerhilde : Anneli Jupither
Ortlinde : Henriikka Gröndahl (scène) Carolina Sandgren (pupitre)
Waltraute : Miriam Treichl
Siegrune : Marie-Louise Granström
Rossweise : Matilda Paulsson
Grimgerde : Karolina Blixt
Schwertleite : Kristina Martling

Kungliga Hovkapellet/Orchestre de l’Opéra Royal

Stockholm, Kungliga Opera, Vendredi 18 avril 2025, 15h

Énième retour de la production de Die Walküre de Staffan Valdemar Holm datant de 2006 (dernière en date en 2022) qui commence à épuiser le public, pourtant avide de Wagner. Alors si on souffre un peu devant une production vue et revue, on revient encore, comme des zombies et des drogués, pour se confronter une fois de plus à la partition et pour entendre de nouvelles ou anciennes voix et chef wagnériens venir se coltiner aux rôles ou à la partition. On se souvient d’une très belle Cornelia Beskow en Sieglinde, particulièrement vibrante en 2017, ou d’une Dalayman en Fricka, très digne en 2017 comme en 2022. L’atout de ce soir réside, une fois de plus, en Michael Weinius, impérial en Siegmund, délicat et très humain, leçon de chant et de diction incarnée mais on a été également surpris du Wotan de James Rutherford, un peu léger et clairet mais très attentif au texte. Plus de réserves en revanche sur la Brünnhilde d’Ingela Brimberg et la Sieglinde de Marita Sølberg qui pourtant déchaînent les applaudissements (comme toujours pour ces rôles). Enfin, c’est la direction de Patrik Ringborg, remplaçant au pied levé d’Alan Gilbert, maître des lieux malade ce jour-là, qui surprend par sa clarté et sa luminosité.

Pour un compte-rendu très détaillé de la production de Staffan Valdemar Holm, on se reportera à notre article de 2022.

C’est avec un peu de lassitude qu’on retrouve la production de Staffan Valdemar Holm, qui malgré tout fonctionne, si bien que l’on s’étonne presque d’apercevoir un geste ou un autre dans une production que l’on croyait connaître par cœur et où l’on ne cesse de découvrir de nouveaux (maigres) détails à chaque fois. On retrouve donc pour les trois actes un dispositif en trois salles, trois étages où s’étale le gourbis ou même le fatras XIXe avec au choix et dans le désordre : psychanalyse, lutte des classes, révolution industrielle bourgeoise, romantisme finissant…

Au premier acte, c’est la petite tambouille des hommes, avec un Hunding, maître chez lui comme le charbonnier du proverbe, chef de bande dans une salle à manger où trônent les couverts. Les instincts bas de l’homme moderne, déjà bourgeois mais encore fort préoccupé des désirs du corps. On s’aperçoit que les fenêtres sont hautes, inaccessibles au pauvre Siegmund qui aimerait peut-être prendre la fuite et on se dit qu’on est sans doute dans cet inframonde, celui des cuisines, sous l’étage des véritables maîtres du jeu. On pense aux images du bar dans le film de Murnau, City Girl, ou bien sûr aux scènes de cuisine, où les valets jouent aux maîtres dans La Règle du Jeu de Renoir.

Tambouille et embrouilles. Sieglinde : (Marita Sølberg) et Hunding (Lennart Forsén)

Cette idée d’élévation sociale est d’ailleurs bien mise en lumière lors de l’irruption du printemps, duo d’amour Siegmund Sieglinde : la vidéo des arbres de la forêt derrière les fenêtres monte vers le haut et on arrive vers la lune et ses nuages annonciateurs de biens mauvais fils tressés par les Nornes. Le spectateur a l’impression de prendre un ascenseur (ou un Stairway to heaven)… vers l’échafaud à venir. L’amour et ses transports…

Au deuxième acte, 2e étage, boiseries, billard et tableaux de maîtres. Autres désirs, autres apparats. Le vent de l’Est s’engouffre de la droite vers la gauche. Au loin (fenêtre) : une montagne enneigée. Olympe, Olympe…. Ce qui justifie d’ailleurs l’arrivée de Siegmund et Sieglinde, montés in fine dans les étages paternels comme des sales gosses qui auraient dû rester chez les servants qui s’occupent d’eux.

Enfin au 3e acte, on bascule dans un autre lieu, hors temps, plus abstrait/classique/antique, on pense à l’Olympe des Dieux dans le film Jason & The Argonauts : un pur espace abstrait. Est-on une fois de plus monté ? A‑t‑on basculé vers un autre espace/temps ? Sans doute, puisque le retour des dieux habillés XIXe ne correspond plus à cet espace mythique. Les images se mélangent…

On peine à se souvenir de toutes les fois où l’on a vu cette production et pourtant on trouve encore des ajouts scéniques (par les acteurs improvisant ?) ou des actions qui nous avaient sans doute échappé (on se demande comment). Ainsi on remarque l’opposition frontale, bras croisés de Hunding et Sieglinde, avant la soumission finale de l’un ou de l’autre… On note que Siegmund avale sa tranche de jambon avec les mains comme un animal. On s’étonne de ne pas avoir gardé le souvenir de  Fricka allongée face contre le sol, bras écartés devant Wotan en oraison, comme les rois de France sur le sol des cathédrales avant leur couronnement.

Bourgeoisie jouisseuse et décadente.Brünnhilde( Ingela Brimberg) et Wotan (ici John Lundgren)

Et on s’amuse de Siegmund balançant un coup de pied dans la lance/queue de billard brisée juste avant par Wotan dans sa colère, ce qui est plutôt bien vu. On suppose qu’il s’agit d’une improvisation de Weinius, car si la queue devait bien être brisée sur la table, le débris atterrit où il peut et disons qu’ici, il est bien tombé. On remarque aussi une attention, nous semble-t-il un peu plus appuyée, sur le point de l’inceste. Chez Siegmund/Sieglinde et Wotan/Brünnhilde comme il se doit mais, au 2e acte, les œillades Brunnhilde/ Siegmund étaient plus brûlantes au moment du jeu sur le regard-magique qui doit permettre à Brünnhilde d’emmener Siegmund. Ici, il s’agissait aussi d’un regard d’amour, un autre coup de foudre du destin en somme.

Les voix et la direction

Pas de Walküre sans Walkyries. Comme toujours les forces locales assurent un ensemble plutôt homogène et très correct car on sait que ce moment choral est difficile à gérer. Il était un peu bancal ce soir-là car la Ortlinde de Henriikka Gröndhal, souffrante, était remplacée par Carolina Sandgren au pupitre, sur le devant de la scène d’où un effet-choral un peu déstabilisé par la disposition scénique mais tout à fait honorable.

Walkyries en ordre de bataille

Le Hunding à grande et forte carrure de Lennard Forsén est bien connu, quasi marmoréen sur cette scène, avec ce timbre pas toujours très agréable mais le texte est très bien dit. Mêmes remarques pour la Fricka de Katarina Leoson, à qui le rôle semble presque appartenir sauf exceptions notables (Dalayman en 2017 et 2022).

La Brünnhilde d’Ingela Brimberg, déjà présente en 2022, est tout à fait correcte également. Une projection impeccable, de beaux aigus mais, pour tout dire, un spectre un peu étroit et une incarnation assez limitée, sans être fausse ni empruntée, et qui ne touche pas. Il faut dire qu’on lui demande peu sur scène et que tout doit passer par le chant et la présence, honorable pour une Brünnhilde, mais qui ne laisse pas un souvenir impérissable.

De même pour la Sieglinde de Marita Sølberg, le spectre est un peu étroit, avec malgré tout de belles couleurs chaudes qui la font tirer vers une future Brünnhilde, ce qui trouble un peu lors des duos avec Siegmund ou avec Brünnhilde. Elle semble ce soir-là avoir des problèmes dans le registre medium et surtout dans les passages piano. Difficultés aplanies lors des passages à fort volume (ce qui est assez étonnant) avec une belle projection. La Rédemption par l’amour en impose mais pour toute la scène de rencontre avec Siegmund, on reste très en deçà des attentes du rôle. C’est le printemps, certes, le temps des gorges lourdes… À revoir dans d’autres circonstances !

Le Wotan de James Rutherford est une des bonnes surprises de la soirée. On craint un peu en découvrant un timbre de baryton plutôt léger mais cela colle avec ce couple Wotan/Fricka, d’éternels jeunes dieux, et un couple Siegmund/Sieglinde, plombé par le malheur avec des voix plus chargées de douleurs (Sieglinde) ou fines pour lieder mélancoliques (Siegmund).

Quoi qu’il en soit, Rutherford est un diseur, au même titre que Forsén, et c’est finalement une qualité essentielle pour le Wotan de Walküre. Son récit rétrospectif, allongé sur la table, dans les jupes de sa fille, est un petit bijou de diction avec des pianissimi parfaits. Projection impeccable, belles couleurs, registres liés mais comme pour la Brünnhilde de Brimberg, il ne touche guère et reste aussi engoncé dans son rôle que dans son grand manteau. Des Leb Wohl, corrects certes mais on ne sent rien du tragique, de l’adieu déchirant à sa fifille chérie.

L'astre noir de la soirée : Siegmund : de Michael Weinius (et la Sieglinde de Marita Sølberg)

Tout le contraire de Michael Weinius, dont on ne se lasse pas. Après un Otello magnifique à Göteborg cette année, il est une fois de plus un très beau Siegmund et de loin l’incarnation de la soirée. Outre la diction impeccable, on savoure chaque mot coloré à bon escient, aussi à l’aise dans des pianissimi que dans les notes lancées à pleins poumons. Dans cette Walküre où la Sieglinde de Sølberg et la Brunnhilde de Brimberg roulent des mécaniques dans la puissance et les aigus, ce sont les pianissimi de Weinius qui touchent notre petit cœur de wagnérien. Weinius excelle dans la scène de rencontre avec une voix posée exactement, toujours juste pour ce Siegmund, humain jusqu’à la moelle, souffrant, se battant contre les éléments, les sentiments, les évènements, les hommes et les dieux. Il est le centre de ce jeu de massacre, le cœur incandescent du spectacle. Et puis, il se balade dans le rôle comme s’il était Siegmund avec, par exemple, ce coup de pied dans la queue/lance brisée, tellement juste, symptomatique de cet écorché vif qui lutte contre les pouvoirs abusifs et tout ce qui se met sur son chemin. Évidemment l’arrivée du printemps est un moment attendu et apprécié, avec ce chant bien lié très italien, idéal pour ce ténor qui est puissant mais toujours léger et une fois encore c’est l’incarnation totale de toutes les facettes de Siegmund qui frappe. Et son refus de tout miser sur la puissance pour faire ressortir au contraire les faiblesses du personnage. Superbe.

Enfin Patrik Ringborg remplace dans la fosse Alan Gilbert dont nous avions apprécié la Walküre de 2022. C’est un remplacement au pied levé, pour une lecture de partition pas touchée depuis 2006, dit-on dans les couloirs. Il nous avait enthousiasmés avec sa Salomé à Malmö il y a quelques mois et on retrouve quelques-unes de ses qualités ce soir-là. Certes, il y a quelques départs un peu hasardeux, et quelques cuivres qui bavent, le tout hors fosse, mais pour une reprise au pied levé, il faut saluer la performance. Hormis ces quelques scories, très relatives, on reste enthousiasmé par une lecture finalement assez claire de la partition, avec beaucoup d’air, des pupitres bien identifiés. Exit, la puissance et l’épaisseur auxquels certains veulent absolument résumer Wagner. Dès l’ouverture de l’orage nocturne, on est saisi par la direction très aérée de Ringborg, vive sans excès de rage, avec une grande attention aux couleurs notamment des bois (les clarinettes seront tout au long de cette Walküre, un atout de poids). Les cordes sont bien dessinées, tissent et structurent le discours et Ringborg porte une grande attention aux silences, aux instants suspendus d’où émergent çà et là un solo (violoncelle, impérial). Ainsi, les grands moments de bravoure, nécessitant un lourd travail de préparation (orage du début et chevauchée au 3e), sont plutôt bien gérés, plutôt dégraissés, et là où on perd en velours ou épaisseur (dont il est capable, cf. sa Salomé incroyable), on gagne en clarté.

Tout le premier acte, avec un Weinius tout en subtilités, est remarquable de douceur et de délicatesse. Idem pour le 2e dans les moments les plus retenus du Wotan-diseur de Rutherford. Enfin le 3e pétille de mille feux pour l’endormissement de Brünnhilde mais on est moins emporté parce que le chant ne suit pas, ou peu. En revanche, on imagine, voire on devine, ce que cette direction aurait donné avec des répétitions d’orchestre et non un remplacement au pied levé. Ringborg sera au pupitre pour un Lohengrin à Malmö l’an prochain et on trépigne déjà d’impatience d’y être.

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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

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