Gioachino Rossini (1792–1868)
Moïse et Pharaon ou le Passage de la mer Rouge (1827)
Opéra en quatre actes
Livret de Luigi Balocchi et Etienne de Jouy
Création le 26 mars 1827 à l'Académie Royale de Musique, Paris (Opéra de la Rue Le Peletier)

Direction musicale : Michele Mariotti
Mise en scène : Tobias Kratzer
Décors et costumes : Rainer Sellmaier
Lumière : Bernd Purkrabek
Chorégraphie : Jeroen Verbruggen
Vidéo : Manuel Braun

Moïse : Michele Pertusi
Pharaon : Adrian Sâmpetrean
Amenophis : Pene Pati
Éliézer : Mert Süngü
Osiride / Voix mystérieuse : Edwin Crossley-Mercer
Aufide : Alessandro Luciano
Sinaïde : Vasilisa Berzhanskaya
Anaï : Jeanine De Bique
Marie : Géraldine Chauvet
Danseurs solistes : Martin Angiuli, Guido Badalamenti, David Cahier, Clémentine Herveux, Lou Thabart, Emiel Vandenberghe, Chiara Viscido

Elegyne, princesse syrienne : Laurène Andrieu

Chœur de l'Opéra de Lyon
Chef des chœurs : Richard Wilberforce

Orchestre de l'Opéra de Lyon

Nouvelle production

Aix en Provence, Théâtre de l'Archevêché, Jeudi 7 juillet 2022, 21h30

Moïse et Pharaon ou Le Passage de la mer rouge (on appelait alors l’opéra Moïse) s’est révélé au public d’opéra en France par sa présentation nouvelle à l’Opéra de Paris en 1983, longtemps après sa création en 1827 et après une très longue traversée du désert. Depuis, il ne me semble pas que les directeurs d’opéra aient d’ailleurs eu l’idée de le reprendre : c’est bien connu, les directeurs d’opéra ont une imagination débordante en matière de Rossini, ils découvrent et redécouvrent Cenerentola, Barbiere et depuis quelques années Turco in Italia. C’est donc une excellente idée du Festival d’Aix en Provence que de reproposer cette œuvre, un authentique chef d’œuvre, qu’on va aussi voir à Lyon à la rentrée et dont on a vu une autre production à Pesaro en 2021. Sous la baguette experte de Michele Mariotti, avec un cast dominé par le Moïse de Michele Pertusi, qui promène le rôle depuis plus de deux décennies et dans une mise en scène assez sarcastique de Tobias Kratzer. Cette production promettait beaucoup et elle a tenu pas mal de ses promesses.

Le passage de la Mer Rouge

La production parisienne de 1983 était signée Luca Ronconi et a été reprise sensiblement dans les mêmes termes à la Scala en 2003, une autre production, à Pesaro en 1997, signée Graham Vick, fut proposée avec grand succès (et déjà avec Michele Pertusi), dirigée par un tout jeune Vladimir Jurowski, inattendu aujourd’hui dans ce répertoire, qu’on peut encore voir sur YouTube. Toutes deux misaient sur les aspects religieux d’une œuvre que d’aucuns tirent sur l’oratorio. Pier Luigi Pizzi l’an dernier à Pesaro en faisait une fresque historique élégante, et rapprochait déjà dans l’image finale les hébreux des réfugiés d’aujourd’hui.
La production de Tobias Kratzer, à la différence de toutes les autres, mise non sur le religieux, mais sur la question politique. Il est vrai que derrière les questions religieuses se cachent en embuscade des questions politiques et géopolitiques : c’est le cas des guerres de religion en France, de la création de l’église anglicane par Henry VIII, et c’est évidemment le cas de nos jours de la question de l’Islam, des oppositions des Chiites et des Sunnites entre Arabie Saoudite et Iran et des questions religieuses qui agitent l’Inde en ce moment, sans parler de l’influence des évangélistes sur le parti républicain aux USA  etc… etc…
Moïse et Pharaon met au centre le départ des hébreux d’Égypte pour rejoindre la terre promise, le voyage fondateur, l’errance fondatrice d’un peuple qui va retrouver sa terre.
Une errance qui n’est évidemment pas seulement l’apanage de l’époque de Ramsès II : le juif errant est une figure devenue emblématique, qu’on retrouve dans le terme diaspora (du grec διασπορά (dispersion, dissémination). Origine intéressante d’ailleurs car le mot vient du verbe grec σπείρω qui signifie semer. En somme, toute diaspora est aussi semence pour un futur (cela pour faire peur aux tenants du grand remplacement).

Avant d’arriver aux réfugiés d’aujourd’hui qui errent et meurent en Méditerranée, en Atlantique (vers les Canaries) et en Manche, on peut penser aussi à ces juifs à bord du paquebot Saint Louis en 1939 refusés de port en port alors qui cherchaient à quitter l’Allemagne nazie, ou à celle, à la fin de la guerre de l’Exodus, refusés quant à eux par les anglais. Dans ces deux exemples, les politiciens ont montré leur courage, leur humanité, et leur droit à séjourner dans les immondices de l’histoire. Dans un cas les juifs cherchaient à fuir la barbarie, dans l’autre, comme le peuple de Moïse, ils cherchaient à rejoindre la Palestine, la terre promise.
J’ai lu de la part de critiques hautement (?) éclairés qu’on en avait soupé de l’actualisation des opéras. Mais si l’opéra n’est pas actualisable, s’il n’est pas en prise avec son temps (quel qu’il soit), c’est une pièce de musée à mettre sous verre sans jamais risquer qu’il parle à nos vies d’aujourd’hui. Préserver l’œuvre, c’est donc la faire moisir, comme ce Moïse et Pharaon que bien peu d’institutions proposent aujourd’hui, alors que c’est un des grands chefs d’œuvre de Rossini que beaucoup cherchent à faire passer pour une œuvre mineure, pour ne pas avoir à l’affronter.
Rien d’étonnant que Tobias Kratzer ait choisi de l’actualiser, comme il le fait souvent – souvenons-nous du Prophète de Meyerbeer à Karlsruhe, de l’Africaine à Francfort et des Huguenots de Meyerbeer à Nuremberg (et à Nice où évidemment la production fut mal accueillie) où il avait su si clairement montrer les enjeux modernes de ces opéras rangés au Musée des « injouables aujourd’hui » pendant des dizaines et des dizaines d’années. Sans oublier Guillaume Tell à Lyon, dont il avait bien plus fait un emblème poétique, politique et musical qu’une simple actualisation.
Mais certains préfèrent sans doute que les Égyptiens marchent de profil comme sur les murs des tombes et que les hébreux ploient sous les jougs, c’est bien plus vrai, de cette vérité du fantasme-cliché qui fera du théâtre tout sauf un réveil des consciences, mais un nid à poussière ; dormez bonnes gens, on pense pour vous.
Pour des raisons qui tiennent à la dramaturgie de l’œuvre, bien plus complexe que celle de Guillaume Tell par exemple, deux ans plus tard, qui tiennent d’abord à son statut hybride d’œuvre reprise d’un original italien, devant conjuguer une musique écrite pour l’italien puis pour un nouveau livret français, avec des ajouts de personnages sans compter que Naples en 1818 n’est pas Paris en 1827. Un statut qui prépare un futur, le Grand-Opéra, qu’on redécouvre aujourd’hui, mais une œuvre qui n’est pas un Grand-Opéra même s’il en a les premiers caractères.
Le Passage de la Mer Rouge, qui en est le titre, est le climax scénique et presque musical de l’œuvre, mais sur un modèle bien connu des opéras baroques, celui de la tempête, tellement affectionné par Rossini : Moïse et Pharaon c’est un grand spectacle qui reprend une vraie tradition séculaire des opéras à machine (ah, comme Rossini a dû bien s’amuser en rêvant aux plaies d’Égypte !), ce que Ronconi avait su si bien rendre et évoquer. Une fois encore, Rossini, tout comme le bel canto, se lit d’abord à l’aune du passé, baroque et ici gluckiste. Aujourd’hui, on chante le plus souvent (et c’est si vrai pour les ténors) le bel canto au mieux comme Verdi au pire comme du vérisme.
D’où la difficulté de distribuer Rossini : c’est un chant complexe, qui nécessite un contrôle stylistique de tous les instants et dans cette distribution Michele Pertusi en est le modèle, et c’est un chant qui doit être sans cesse en écho avec l’orchestre. L’instrumentation rossinienne est souvent un système d’échange plateau-fosse ce qui fait de l’orchestre non un accompagnateur, mais un personnage, un protagoniste, qui offre une palette de couleurs qui correspondent presque à des couleurs vocales. Et ici Michele Mariotti, qui est né dans la marmite rossinienne, ne cesse de nous le rappeler.

La dramaturgie de Moïse et Pharaon, c’est d’abord un chœur, très présent, c’est ensuite une histoire biblique bien connue, mais c’est aussi une histoire de personnages, assez étrange : Anaï, nièce de Moïse aime Aménophis, le fils de Pharaon. L’œuvre s’ouvre sur le retour d’Eliezer qui a conclu un accord avec Pharaon pour laisser partir les hébreux, qu’Aménophis refusant l’idée de perdre Anaï s’ingénie à faire capoter.
Aménophis est en quelque sorte l’élément perturbateur de cette histoire : il n’a rien d’un héros, ni d’un politique, mettant sans cesse son action au service de ses intérêts personnels, une sorte de Don Carlos instable avant l’heure en quelque sorte. Anaï au contraire qui depuis le départ est écartelée choisit héroïquement de suivre les siens, sans doute aussi parce qu’elle a senti qu’Aménophis n’était pas un refuge très solide ni très fiable.
De l’autre côté Sinaïde, autre figure de femme puissante, femme de Pharaon, choisit de soutenir la raison et l’éthique dans le cadre de son statut politique : c’est une figure d’ouverture et d’humanité qui s’oppose aux soubresauts dangereux de son fils..
Enfin, Pharaon est un pantin, qui balance entre son fragile fils et le puissant prêtre d’Osiris, Osiride, type de figure religieuse à la forte empreinte politique, qui manœuvre sans cesse sous la table.
C’est ainsi qu’on va chercher un mariage assyrien, avec une princesse (dite syrienne ici par les vertus de l’actualisation) Élégyne, au nom du principe bien connu de la diplomatie des mariages. Là aussi, c’est moins évident qu’il n’y paraît : ce mariage Assyrie-Égypte prendrait en étau les hébreux revenus sur leur terre promise… Rien n’est laissé au hasard chez les bons politiques, d’où cette vision de Kratzer de la scène du ballet avec la cour spectatrice qui scelle un mariage qui est en réalité une alliance militaire…

Kratzer choisit donc non d’en rester à l’histoire biblique, mais de montrer les échos possibles de cette histoire dans notre paysage politique. La question des réfugiés est aujourd’hui déterminante, sinon minante, dans les démocraties, qui évidemment y perdent leur fameux sens des principes humains. Sans viser une quelconque communauté, Kratzer va mettre assez douloureusement et cyniquement les mécanismes sous-jacents des attitudes face à cette question.

Michele Pertusi (Moïse)

Évidemment, dans notre monde moderne, les plaies d’Égypte et la vengeance divine sonnent un peu creux, alors Kratzer décide de faire de Moïse un personnage hors sol, une sorte de gourou des temps modernes, dans son habit prophétique, avec son bâton qui rappelle évidemment Les Dix Commandements de Cecil B.de Mille, référentiel pour bien des mises en scène, et que toute personne de ma génération a vu à sa sortie : on imagine mal comme ce film a marqué les esprits par son imagerie. Moïse est donc un personnage à part, d’une autre nature, – après tout comment traiter un prophète biblique ? Et qu’aurait-on dit si Moïse était en jean-baskets ou même en costume civil, comme son frère Eliezer ? – Ainsi, et c’est comme un petit miracle, ce Moïse-là tranche avec les autres personnages, mais ne choque pas, signe d’ailleurs de notre accoutumance à la figure du personnage construite par le cinéma et notre imaginaire.

Partage de l'espace, à gauche, les réfugiés, à droite, le monde du pouvoir

Dans l’espace fixe du théâtre de l’Archevêché, aux possibilités scéniques limitées, Kratzer joue sur un partage de l’espace initial et sur une montée en puissance des données du drame. Le premier acte apparaît assez « paresseux », on ne voit pas vraiment comment le drame va se nouer, cela reste scéniquement assez plat :

  • À Jardin, le camp des réfugiés, baraquements, infirmerie, administration humanitaire minimale
  • A Cour, l’installation politique, costumes cravates, ordinateurs, dossiers qui passent de main en main, agitation qui semble creuse, on bouge beaucoup mais il ne se passe pas grand-chose.

Les deux mondes coexistent, dos à dos comme des parallèles qui ne se rejoindront jamais, même si on voit Eliezer clore la négociation avec Marie et Anaï qui le serrent dans ses bras.
Un seul élément semble faire trait d’union, Aménophis, en tenue de membre d’une ONG qui amène médicaments et viatiques aux réfugiés… Un brave garçon ? Plutôt un petit malin qui en profite pour voir son amoureuse, l’ONG, c’est une couverture. Dès le départ, cet Aménophis ne dit rien qui vaille.
On a l’impression, à ce moment de l’œuvre, que Kratzer fait ce qu’il peut avec ce qu’il a mais qu’il ne retrouve pas son inventivité coutumière.
Mais on le sait, Pharaon qui avait accordé aux hébreux la libération et le départ, revient sur sa décision, manœuvré par un Aménophis qui n’en supporte pas l’idée : deux observations :

  • Ne pas se fier à la parole politique
  • Pharaon est assez malléable et faible, pour changer aussi vite et aussi radicalement d’avis

Moïse, en communication directe avec le Ciel, plonge alors l’Égypte dans la nuit.
Dans la gradation que construit la mise en scène entre le premier et le quatrième acte, il est essentiel que Moïse garde ce statut prophétique, d’unique moyen de communication avec Dieu, on verra pourquoi lors de la dernière image du spectacle.
Dans cette première partie se met en place la structure, les réfugiés d’un côté, troupe indistincte et diverse, où l’on ne peut voir ni asiatiques, ni maghrébins, ni africains, ni ukrainiens, mais une sorte de vision globale du réfugié. D’ailleurs, ils ne veulent pas s’installer chez Pharaon, mais rejoindre la terre promise, un peu comme ceux qui à Grande-Synthe ou dans la jungle de Calais, veulent gagner la Grande Bretagne, leur terre promise en quelque sorte.

Dos à dos : Anaï (Jeanine de Bique) tourne le dos au monde politique,affairé autour d'un ordinateu

Deux mondes sont dos à dos, celui du pouvoir, presque anonyme, avec un Pharaon qu’on distingue peu des autres, et celui des hébreux, des réfugiés, tout aussi anonyme en quelque sorte, dans une diversité moyenne où seul Moïse se distingue. C’est le constat de ce premier acte.

Les deuxième et troisième acte de la mise en scène et de l’œuvre, se passent dans les espaces de Pharaon, dans les espaces du pouvoir et peu à peu non seulement on constate une sorte de fissure, au-delà des plaies d’Égypte, mais aussi une géographie du politique.

La scène représente à cour l’espace qu’on avait déjà entraperçu, chaises renversées, tables détruites, néons puissants éteints, et à jardin, l’espace s’agrandit et on distingue une longue table poutinienne de négociations (pas si longue que chez Poutine, mais c’est l’idée ; dans la réalité, c’est Poutine qui a la plus longue ‑je parle de la table-).
Moïse arrive et déclenche une agitation forte qui montre implicitement qui est le maître, Pharaon au grand dam d’Aménophis (décidément piètre politique) accepte la libération des hébreux et leur départ. Alors la lumière revient immédiatement.

Au retour de la lumière, et c’est là qu’on voit la finesse du travail de Kratzer, la sortie de la nuit sonne comme un réveil du peuple égyptien, de la foule des fonctionnaires qui se remettent en ordre, se rhabillent, réalisent qu’ils sont sortis du cauchemar et d’emblée le petit monde reconstitue son espace, remet les chaises et les tables en place, retrouve ses marques oublie vite le cauchemar : ce n’est pas un hasard, ni une coquetterie, c’est le signe que tout va recommencer, les jeux politiques, les jeux de pouvoir, les mensonges etc… C’est implicite mais clair. Et à la table de négociation (?), Moïse trône (à la place de Poutine) et Pharaon dispose (à la place de l’interlocuteur, nous ne dirons pas qui). Tout cela semble anecdotique mais du deuxième au dernier acte, ce ne sont chez Rossini et ses librettistes qu’atermoiements entre acceptations et refus, hésitations et palinodies.

Le Ballet

Ainsi, le troisième acte, celui du ballet, n’est pas une fête ordinaire de divertissement de cour, cette fête a une fonction politique à plusieurs niveaux.
Aménophis, comme tous les enfants des rois, doit être marié et ce mariage doit être un mariage politique. Nous avons signalé plus haut qu’épouser une princesse assyrienne, c’est en même temps prendre les hébreux en étau dans leur terre promise, prise entre Assyrie et Égypte (eh, oui déjà à l’époque, l’Orient compliqué…) ; le politique pense toujours au coup d’après… et surtout ne s’avoue jamais vaincu.
Et une fois encore, Kratzer joue des deux faces d’une même médaille. Il y a le mariage politique (les ressorts secrets), et le mariage pour le peuple, celui qu’on va vendre sur les réseaux sociaux, d’où les photos de la princesse assyrienne genre compte instagram.  Il n’y a pas de vie de l’individu, mais seulement une vie pour les autres. C’est justement ce qu’Aménophis ne peut comprendre, il a un statut, il doit obéir, c’est son rôle : et c’est ce que lui rapelle en quelque sorte Sinaïde. Il se soumet donc apparemment. Et c’est alors que Kratzer fait apparaître la princesse qui arrive avec sa valise rencontrer le fiancé, vision ironique, presque sarcastique : la princesse est l’objet muet des négociations, c’est un rôle muet, et fonctionnellement muet.

Pour fêter le mariage, la cour se réunit, et assiste au ballet.
On sait que le ballet est un passage obligé de tout opéra à Paris : il s’agit de le rendre fonctionnel, lui aussi, c’est à dire lui enlever sa fonction de divertissement, et lui donner celle de paravent, qui cache les tractations et petits complots : on voit le Pharaon s’agiter, le prêtre d’Osiris intervenir car c’est un élément fondamental : devant un Moïse tout puissant, il risque de perdre le job, il lui faut donc intervenir pour garder son autorité « spirituelle » (?!) et donc tout son pouvoir sur Pharaon. Dans l’agitation Moïse est amené et on exige de lui pour la libération des hébreux qu’il reconnaisse l’autorité des Dieux égyptiens : il refuse bien évidemment, mais le peuple égyptien s’agite devant de nouvelles plaies possibles… Pharaon est pris entre sa crainte de Moïse et sa crainte de perdre son pouvoir… Il choisit de ne pas choisir : les hébreux partiront dans le désert, mais enchainés – autant dire condamnés… mais les hébreux ont le soutien du Ciel…
Jolie vision de Kratzer : devant de désordre général, la jeune princesse (as)syrienne prend vite sa valise, ses cliques et ses claques et prudente, s’en va à la sauvette "vivre entre ses parents le reste de son âge"…

Comme on le voit, la mise en scène accentue fortement l’image politique, voire politicienne du livret, on y trouve des comportements habituels du monde politique, on y trouve aussi des allusions assez cocasses à l’actualité (la table poutinienne) on y trouve enfin les manipulations habituelles des peuples. Accablés par la nuit imposée par Moïse, dès que le jour réapparait, réapparaissent avec lui les manœuvres, les petitesses, les mauvaises habitudes.
C’est le dernier acte, alimenté fortement par les trois actes précédents, qui donne les clés de l’ensemble ; c’est aussi, depuis la création de l’œuvre, le moment qu’on attend. Le spectateur se dit « comment rendre le passage de la mer rouge ? », il y a donc un peu de suspens à tous les étages…

Sur la plage abandonnée, les hébreux malmenés

Première vision, une plage, abandonnée, lit de plage et chaise longue en jachère, tour de surveillance abandonnée, bacs à ordures… En bref un paysage désolé, qui est la plage à partir de laquelle les hébreux vont partir, un peu comme ces plages désertes d’où partent les réfugiés. Dans ce paysage sinistre, la première partie va régler tous les comptes : Anaï « harcelée » par Aménophis va devoir choisir entre les siens et les autres. Elle garde sa liberté de choix, une liberté assez orientée par Moïse quand même du genre, Moi ou le chaos : face à Moïse, quel poids peut avoir Aménophis l’agité ? C’est irrémédiablement une figure de vaincu et pas du tout celle d’un héros romantique (le héros aurait sans doute fui avec les hébreux…). Aménophis ne sert qu’un seul discours à Anaï, c’est « Suis-moi ou j’fais un malheur ! ». Anaï, hésitante depuis le début, sait bien qu’elle n’a rien à gagner auprès de cet amoureux-là, et son choix est fait. Elle suivra le peuple élu.

Barques, Zodiacs, gilets de sauvetage : le manuel du parfait réfugié, mais Moïse (Michele Pertusi) à leur tête, c'est leur garantie.

Dès lors, se met en place la scène, que Kratzer construit d’abord dans le respect de la tradition : prière (magnifique) de Moïse reprise par les hébreux, avant la traversée, approche de barques et Zodiacs et de gilets de sauvetage orange, signes particuliers du réfugié. La mer, est devant eux, ce sont les spectateurs. Le rideau s’abaisse et sur l’écran apparaît une image à la Cecil B.de Mille, la mer qui s’ouvre…
Mais c’est alors que tout change, les réfugiés (le chœur) passe en salle, au milieu des spectateurs et s’installe au sec (nous sommes la mer, puis le rivage d’en face) en regardant ce qui se passe, et nous voyons tous sur l’écran le monde politique, en costume cravate et en tailleurs talons aiguille, pris au piège de la mer qui monte, courir à perdre haleine (c’est très drôle) et se noyer, corps engloutis, talons isolés qui coulent, comme ces chaussures des victimes qu’on voit souvent lors de catastrophes (Ground Zero à New York, mais aussi camps de concentration) : se met alors en place tout un imaginaire catastrophique hélas connu.

Noyade

Dernière image (qui suit la musique qui s’apaise) des vestes de costumes flottant, traces résiduelles de la noyade et de la mort.
Ce n’est évidemment pas anecdotique : les réfugiés au sec regardent la mort des politiques : c’est à dire l’image inverse de ce que vivent les sauveteurs des ONG ou les policiers en méditerranée et en Manche ou ailleurs ou les téléspectateurs des journaux TV : habituellement, les corps flottants sont ceux des réfugiés, ici les corps flottants sont ceux des politiques : tout est inversé. Tout est dérangé dans l’ordre habituel et attendu des choses qui est cyniquement « le réfugié doit mourir pour qu’on puisse le pleurer – et donc le respecter… ». Le réfugié est plus grand mort que vivant.

Mais ce n’est pas terminé puisque Moïse et Pharaon se clôt sur un chœur d’actions de grâces, chanté par le chœur de la salle.

Le rideau s’ouvre, sur une plage où cette fois les gens bronzent au soleil, sous l’œil bienveillant d’un gardien sur sa tour de guet le chœur d’actions de grâce sonne terrible devant cette image, qui semble en être le produit.
Après la souffrance, la terre promise. Dans la Bible, il y a d’abord l’épisode du Veau d’Or : c’est ici c’est son substitut, une plage où l’on se dore au soleil, où traîne le bâton de Moïse, sans Moïse : le prophète a disparu, englouti lui aussi par notre culture du plaisir et de la mémoire courte, et le bâton n’est même plus une relique, il n’est plus rien.

Tout ça pour ça, pour montrer que peuple, élu ou non, nous sommes tous des oublieux…
Oublieux ? Non, les parasols sont aux couleurs ukrainiennes, notre tribut à leur guerre, celui qui nous rachète… pour combien de temps cette guerre sera la nôtre ?
Chœur d’actions de grâces ? Non, vision terrible et cynique d’un Kratzer qu’on reconnaît bien là …
Cette image n’est pas hors sol : elle montre simplement l’ordre ordinaire des choses, une version grinçante du thème « Les héros sont fatigués ».

Comme on le voit, les dernières scènes sont la clef de voûte de l’ensemble, où personne ne se sauve : Moïse n’a plus sa place parmi nous, les réfugiés ont vécu l’horreur, mais une fois sauvés, ils se « normalisent » de la manière la plus ambiguë qui soit. Conclusion amère qui laisse peu d’espoir à l’humanité.

Ce travail détaillé, complexe, qui se sort de la dramaturgie de l’œuvre avec un sens aigu de sa relation à nous, de sa relation au monde tel qu’il est ou tel qu’il va. Une vision non biblique, non épique, mais une vision spéculaire qui raconte avec noirceur quelque chose de notre monde.

Il n’y a pas de contradiction avec la thématique de l’œuvre, il y a un regard sans concession sur ses possibles dans un monde où seuls survivent les faux prophètes et où les vrais sont morts.

En cohérence avec la vision scénique, la vision musicale a donné une fois de plus la preuve que Rossini est immense : j’ai eu la chance en trois jours d’entendre un chef d’œuvre des débuts (Il Turco in Italia, 1814) et un chef d’œuvre de la fin de carrière à l’opéra, complètement différent, de 1827. Rossini avait ce caractère versatile et divers que peu de compositeurs ont su maintenir, regard malicieux, et regard grave, jeu subtil de la profondeur et de la superficie, mais science incroyable de l’orchestration et du jeu instrumental, d’un côté comme de l’autre.La distribution était solide, même si discutable par certains aspects, mais rien de scandaleux, bien au contraire, tout le monde était au rendez-vous, d’abord l’Aufide élégant à la voix claire d’Alessandro Luciano, et puis la Marie vraiment excellente de Géraldine Chauvet. Marie n’est pas un rôle facile parce qu’elle apparaît surtout dans les ensembles où il lui faut une vraie présence vocale, la prestation est très réussie parce qu’elle se remarque dans ce rôle quelquefois trop discret. Comme toujours Edwin Crossley-Mercer émerge par sa voix chaude, son émission claire, son phrasé impeccable, et une certaine autorité dans Osiride (et dans la voix mystérieuse). Comme Géraldine Chauvet, il garantit un très bon niveau dans les rôles de complément.
Moins convaincant l’Eliezer de Mert Süngü : la voix est claire, le français bien dominé, mais l’ensemble manque de présence et de personnalité et le son n'est pas très agréable. Il faudrait sans doute une once d’agressivité et un sens de l’interprétation plus développé pour affirmer une voix qui peine à exister.
Pene Pati, dont le milieu lyrique fait grand cas depuis peu, peine aussi à s’affirmer en Aménophis : certes, le ténor sortait à peine du Covid, et on peut concevoir à la fois sa fatigue et ses problèmes connexes pour un rôle difficile et stylistiquement encore plus périlleux. Alors, on sentait chez lui la volonté de vérifier la présence de la voix, la possibilité de monter à l’aigu, on sentait qu’il tentait de se remettre en selle après avoir dû rater les dernières répétitions.
La voix est claire, le français maîtrisé, mais il renonce à certains aigus au premier acte, avec quelques problèmes d’homogénéité dans les passages, même si la voix prend de l’assurance de plus en plus tout au long de la représentation. Je reste très prudent car on sent bien qu’il était loin du mieux de sa forme, mais l’ensemble ne m’a pas paru cependant stylistiquement maîtrisé ou en place. Il faut pour ce type de rôle un contrôle qui lui manquait (en 1983 à Paris, c’était un stupéfiant Chris Merritt (en alternance avec Keith Lewis, à mon avis moins brillant, mais solide) et en 1997 à Pesaro, un grand Charles Workman). Pene Pati a une présence vocale indiscutable, mais pas encore la maturité requise pour ce style de chant.

 

Jeanine de Bique (Anaï), Michele Pertusi (Moïse)

Nous connaissons bien Jeanine de Bique pour ses interprétations baroques, nous avons entendu d’elle notamment une magnifique Poppea à Genève, un très bel Annio à Genève et Amsterdam. Elle abordait Rossini pour la première fois à Aix, et elle a affronté le rôle difficile d’Anaï avec cran. On reconnaît son timbre clair, ses aigus solides, et le contrôle. Il lui manque peut-être une science du phrasé encore à cultiver. Elle se sort de son air « Horrible destinée » du quatrième acte avec grand succès auprès du public, elle en maîtrise les agilités, la dynamique (l’air est redoutable), mais la voix garde une certaine « verdeur », elle manque de cette rondeur qui fait les grandes rossiniennes. Le timbre est très clair, trop peut-être pour le rôle. Il reste qu’elle construit un très beau personnage, émouvant, discret, et dont on lit sans cesse les hésitations. Là encore, il faudra attendre une plus grande familiarité avec ce répertoire, mais c’est déjà intéressant.
Même si le rôle est court, il est étourdissant et seule une chanteuse douée d’un immense talent peut en faire quelque chose : Vasilisa Berzhanskaia, peu connue en France, parvenue en peu de temps au sommet du chant rossinien, est de celles-là. Car elle a le style voulu, le phrasé voulu, le contrôle voulu. Si on y ajoute des agilités parfaitement maîtrisées et stratosphériques, évidemment dans l’air Ah, d'une tendre mère, on tient là, avec Pertusi, deux parfaits représentants qui défendent le style de Rossini.
Berzhanskaia a aussi d’autres qualités, dont l’absence totale de volonté démonstrative, et l’art de se fondre dans un ensemble avec le souci de défendre un texte, même si les agilités étourdissantes le font quelquefois passer au second plan. C’est la référence de la soirée.

Pharaon, c’est Adrian Sâmpetrean : est-ce parce que la mise en scène en fait un personnage fade et manœuvré que le chant nous est apparu tout aussi fade et peu captivant. La voix est homogène, mais l’ensemble ne passionne pas. Il est vrai que le rôle est difficile : il doit s’opposer à Moïse, en affichant une autorité qu’on sait à l’avance sapée, et on a le choix entre une grosse voix qui tourne à vide (Erwin Schrott par exemple) et une voix plus contrôlée, mais qui semble ne pas tourner…

Autour de la table "poutinienne", Michele Pertusi (Moïse) et Adrian Sâmpetrean (Pharaon) : qui commande ?

Enfin, Michele Pertusi, qui continue de chanter Moïse après ses débuts dans le rôle en 1997, il y a 25 ans… Il reste le styliste hyper-contrôlé qu’on a toujours connu, et malgré le poids des ans, ce Moïse est encore puissant. Certes, le volume n’est plus ce qu’il était, certes, la voix a perdu un peu de bronze, mais parce qu’il y a derrière une technique, parce qu’il y a derrière une respiration, un sens du phrasé et du mot, Pertusi affirme une présence que bien des collègues plus jeunes lui envieraient. La technique, c’est une assurance-vie de la voix qui lui assure une durée notable (nous avons eu récemment l’exemple de Gregory Kunde, autre très grand chanteur doué d’une technique imparable) et Michele Pertusi peut dominer les rôles ardus avec cette garantie-là : c’est admirable de constater que de Rossini à Verdi, Pertusi reste une des références du chant italien : il le prouve encore ce soir, sans être spectaculaire, mais avec une vibration incomparable.

Vibration aussi, assez forte par la prestation du chœur de l'Opéra de Lyon, dirigé par Richard Wilberforce, très sollicité dans cette œuvre au parfum, on l'a dit, d'oratorio par son côté religieux. On en connaît depuis longtemps la qualité et dès le lever de rideau il s'impose, mais on peut citer aussi dans le concertato final de l'acte III et enfin dans la prière qui précède l'ouverture de la Mer Rouge, qui est l'un des moments les plus grandioses de l'opéra. Mais justement, la vibration, on la perçoit fortement quand, dispersé dans les travées, il chante le chœur d'actions de grâce final : sa présence parmi les spectateurs nous immerge (le mot est choisi à dessein vu la situation) dans la musique et le chant, comme si le public était au sein de l'action et l'effet est d'autant plus fort que l'image qui nous est offerte (la plage et les parasols ukrainiens) est terrible par son cynisme. L'effet sera-t-il le même à l'Opéra de Lyon avec une salle construite très différemment ?

On a souvent tendance, chez Rossini et aussi dans le bel canto donizettien et bellinien, à considérer l’orchestre comme un simple accompagnateur de voix. Alors on le confie à des chefs qui accompagnent bien, qui soutiennent les voix, mais qui ne créent rien en fosse, qui ne donnent aucune couleur, aucune présence « en soi » à l’orchestre.
Or, Rossini est un compositeur qui fait de l’orchestre une voix, qui fait de l’orchestre un personnage : c’est très lisible dans les opéras bouffes où très souvent, il construit une sorte de dialogue, de système d’écho entre une voix et un instrument, comme si un échange se construisait.
C’est pourquoi on est toujours désolé de voir l’orchestre aplati par des chefs passables, dans un ronron qui finit par tuer l’originalité de cette musique et ses qualités intrinsèques.
Dans Moïse et Pharaon, vous pouvez installer l’orchestre par sa présence puissante et affirmée, en une sorte de couleur pré-Grand Opéra, ce que faisait Georges Prêtre de manière tellement incroyable (et bouleversante) à Paris en 1984. Vous pouvez aussi affirmer sa présence en fouillant la partition dans ses recoins pour en sortir des moments étonnants, des phrases singulières, des couleurs nouvelles, et en faisant de cette pièce un chef d’œuvre de souplesse, quelquefois de délicatesse, sans négliger le théâtre, mais tirant l’œuvre non plus vers le spectaculaire mais vers l’intime et la force intérieure.
C’est ce choix qu’effectue Michele Mariotti, qui dirige l’œuvre pour la première fois et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon (excellent dans une œuvre qui sollicite de nombreux instruments solistes, bois et cuivres notamment ) pour la première fois également. Mariotti est d’abord un « concertatore », c’est à dire qu’il agence les choses, construits des ponts, fait dialoguer les instruments, en valorise d’autres jusqu’à les rendre presque des voix solistes.
Il dirige Moïse et Pharaon pour la première fois, mais son expérience rossinienne est telle (il est tombé dedans dès sa plus tendre enfance, puisqu’il est né à Pesaro et qu’il est fils du fondateur du Festival…) qu’il se souvient sans cesse de l’expérience accumulée par Rossini, qu’il sait que l’un des secrets du rendu rossinien, c’est la souplesse et la fluidité, c’est l’absence de heurts, – ce qui ne veut pas dire absence de théâtre d’ailleurs. Cette expérience-là, Mariotti la met aussi au service de son Verdi, de son « jeune Verdi » si frais, si fluide et si théâtral, mais aussi on l’a entendu dans un Orfeo e Euridice de Gluck surprenant par sa souplesse et sa délicatesse à la Scala, où ce rossinien de naissance montrait où le cygne de Pesaro avait pris ses leçons.
Et dans Moïse et Pharaon, la leçon de Gluck est présente, tout comme celle de l’oratorio apprise chez Haydn que Rossini a beaucoup fréquenté dans sa formation. Et Michele Mariotti livre une leçon de musique, une leçon de théâtre aussi, en suivant avec attention les chanteurs, et leur assurant un écrin délicat. Dans les parties symphoniques, et elles sont nombreuses (y compris le ballet), il met le théâtre en fosse, sans être démonstratif, mais livrant au public une leçon de dynamique et d’urgence qui rend l’ensemble de cette approche exemplaire.
Berzhanskaia, Pertusi, Mariotti, le trio du grand style rossinien si rare aujourd’hui et que Tobias Kratzer a su rendre si contemporain, et si musical aussi dans sa manière d’aborder en crescendo la vérité théâtrale de l’œuvre. Alors, si vous trainez dans le Sud jusqu’autour du 20 juillet, n’hésitez pas : c’est une leçon de lumière.

 

à revoir sur le site ARTE : https://www.arte.tv/fr/videos/108549–000‑A/moise-et-pharaon-de-rossini/

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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2 Commentaires

  1. Bonjour
    Vous parlez de Chris Merrit à Paris en 1984, or dans l’enregistrement live audio daté 1 er octobre 1983, le rôle de Aménophis est tenu par Keith Lewis ? Y‑a‑t-il eu une double distribution ?
    Bien à vous
    Gérard Lattuati

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