Richard Wagner (1813–1883)
Die Walküre (1870)
Livret du compositeur

Mise en scène : Dieter Dorn
Décors et costumes : Jürgen Rose
Dramaturgie : Hans-Joachim Ruckhäberle
Lumières : Tobias Löffler
Expression corporelle : Heinz Wanitschek

Wotan : Tómas Tómasson
Fricka : Ruxandra Donose
Hunding : Alexey Tikhomirov
Siegmund : Will Hartmann
Sieglinde : Michaela Kaune
Brünnhilde : Petra Lang
Waltraute : Lucie Roche
Gerhilde : Katja Levin
Ortlinde : Marion Ammann
Schwertleite : Ahlima Mhamdi
Helmwige : Karen Foster
Siegrune : Heloïse Mas
Grimgerde : Rena Harms
Rossweisse : Roswitha Christina Müller

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Richard Wagner (1813–1883)
Die Götterdämmerung (1876)
Livret du compositeur

Mise en scène : Dieter Dorn
Décors et costumes : Jürgen Rose
Dramaturgie : Hans-Joachim Ruckhäberle
Lumières : Tobias Löffler
Expression corporelle : Heinz Wanitschek

Siegfried : Michael Weinius
Gunther : Mark Stone
Hagen : Jeremy Milner
Alberich : Tom Fox
Brünnhilde : Petra Lang
Gutrune : Agneta Eichenholz
Waltraute : Michelle Breedt
1e Norne : Wiebke Lehmkuhl
2e Norne : Roswitha Christina Müller
3e Norne : Karen Foster
Woglinde : Polina Pastirchak
Wellgunde : Carine Séchaye
Flosshilde : Ahlima Mhamdi
Deux chasseurs : Rémi Garin & Peter Baekeun

Chœur du Grand Théâtre de Genève
Chef de Chœur : Alan Woodbridge

Orchestre de la Suisse Romande
Direction musicale : Georg Fritzsch

 

 

 

Grand Théâtre de Genève, 6 et 10 mars 2019

Lors de la première édition de ce Ring, je n’avais pu voir La Walkyrie. Cette fois-ci, je n’ai pu revoir Siegfried. Les destins sont quelquefois contraires. Je renvoie donc le lecteur au texte sur Siegfried publié naguère dans Le Blog du Wanderer .
Il est cependant possible de tirer quelques leçons de cette second présentation pour trois cycles du Ring de Dieter Dorn et Jürgen Rose qui a marqué la réouverture du Grand Théâtre dans ses habits rénovés, et l'impression au total un peu contrastés, n'est pas négative.

Die Walküre scène finale : Tómas Tómasson (Wotan), Petra Lang (Brünnhilde)

Tout d’abord, il faut souligner le courage, sinon la témérité de proposer pour inaugurer le bâtiment rénové trois cycles du Ring. Le défi a été relevé et le pari réussi, alors que les bruits les plus inquiétants circulaient. Le Grand Théâtre de Genève est le seul théâtre suisse à présenter un Ring actuellement, c’est un signe de solidité.
La production en est connue, c’est celle de Dieter Dorn et Jürgen Rose vue en 2013 et 2014, deux noms importants de l’histoire de la scène allemande des cinquante dernières années : mon premier spectacle dans des décors de Jürgen Rose, fut en 1973 (Parsifal, opéra de Paris, production August Everding) et ma première mise en scène de Dieter Dorn, c’est en 1979 (Ariadne Auf Naxos, Salzburger Festspiele, Karl Böhm, Behrens, Gruberova, King…)

Même si ce spectacle dans son ensemble ne m’a pas vraiment convaincu, force est de reconnaître, dans une esthétique un peu passée de mode, d’authentiques moments de théâtre, même si là aussi ce théâtre a un peu vieilli. Mais la production n’est pas indigne, elle reste cohérente, avec les signes qu’elle distribue çà et là, comme de petits cailloux qui nous rappellent dans quelle histoire nous sommes. Le principal reproche qu’on pourrait lui faire, c’est que peut-être tout cela manque-t-il de force, de moments clés imprimés dans notre mémoire : tout se ressemble, et les personnages évoluent peu. Alors on se lasse peut-être de ces Nornes qui roulent leur pelote géante, au début de chaque journée, de ces nains qui rampent, de ces Dieux dont les effigies sont présentes en scène dans Götterdämmerung. Götterdämmerung est d’ailleurs plutôt bien mené, avec des chanteurs bien engagés dans le jeu, élément essentiel dans cette œuvre riche de vrais moments de théâtre (ce que Boulez appelait ferblanterie) et à la trame proche du mélodrame, avec ses philtres, ses retournements de situation, ses trahisons.

Walküre Acte I : Michaela Kaune (Sieglinde), Will Hartmann (Siegmund)

Die Walküre est à ce titre moins riche et plus banale, le jeu théâtral reste assez conventionnel, il est vrai qu’elle est lourdement lestée du Siegmund particulièrement insuffisant de Will Hartmann (quand Götterdämmerung a le très bon Siegfried de Michael Weinius). Que le public ne puisse s’identifier par insuffisance d’adéquation au héros le plus positif du Ring est tout de même très problématique…
Ainsi donc Die Walküre n’a pas été convaincante, l’absence de Siegmund crédible et vocalement à la hauteur pesant lourdement sur les deux premiers actes : jeu problématique, pas de projection vocale, aigus le plus souvent difficiles ou même ratés, tout cela évidemment ruine le premier acte, malgré une Michaela Kaune vaillante en Sieglinde (beau phrasé, diction claire), mais qui ne peut que chercher un relatif équilibre avec son collègue pour éviter les contrastes trop criants. C’est Hunding (Alexey Tychomirov) qui s’en sort le mieux pour la puissance et la présence scénique, mais aussi pour le timbre.

Petra Lang (Brünnhilde), Tómas Tómasson (Wotan)

Walkyrie, c’est aussi l’entrée en scène de Brünnhilde et une présence importante de Wotan. Un Wotan (Tómas Tómasson) qui réussit à construire un personnage plutôt intéressant, jamais tout à fait cynique, souvent torturé, au ton acéré, mais dont l’autorité n’est jamais assise. Le texte est dit de manière exceptionnelle, chaque mot est vraiment sculpté, et coloré, l’émission est impeccable. On connaît Tómasson comme un méchant de caractère (Telramund ou Klingsor), comme acteur exceptionnel, qui embrasse les grands rôles de basse wagnérienne (Hans Sachs). Il montre dans Wotan toute l’ambiguïté du personnage engagé dans un processus irrémédiable qui conduit vers la fin (das Ende, Acte II), mais qui en même temps de réussit pas à s’y résoudre. À lire le texte de Wagner, tout est déjà écrit du crépuscule prévisible des Dieux, dès l’acte II de Walküre, et même dès l’intervention d’Erda dans Rheingold, aussi toute velléité d’action est-elle par définition tragique, et (comme Castorf l’a si bien montré), Wotan est l’acteur conscient d’une mécanique qui conduit à la ruine, comme un joueur qui n’a plus rien à perdre. Les autres personnages, que ce soit Brünnhilde ou même Fricka (remarquable et puissante Ruxandra Donose) ignorent que toute décision, tout pas plus avant ne fait que précipiter la fin ; Wotan lui le sait.Ainsi Tómasson, chanteur très intuitif et intelligent, sait faire percevoir cette ambiguïté qui se joue du monde et préfère le tout pour le tout, mais qui n’arrive jamais à être vraiment antipathique.
Petra Lang, au jeu aussi irrégulier que la voix, a des moments émouvants en Brünnhilde. Mais sur scène, elle est tantôt conforme à l’attendu, tantôt très juvénile et fraîche, mais souvent peu naturelle, jouant plus qu’incarnant. La voix est irrégulière au sens où elle est souvent, notamment dans les passages, sur le fil du rasoir et la justesse en pâtit. La voix reste puissante mais plus convaincante peut-être dans Götterdämmerung que dans Walküre à la vocalité tantôt plus héroïque, tantôt plus discursive. Il reste que son troisième acte est plutôt réussi et l’un des moments les plus tendus (les échanges Brünnhilde/Sieglinde du troisième acte, ne manquent ni d’émotion ni de vibration). Un bilan contrasté pour une Walküre théâtralement irrégulière avec quelques moments réussis, dont l’utilisation des miroirs au deuxième acte. Dieter Dorn se souvient du jeu du Wotan de Chéreau avec le miroir et démultiplie l’effet en créant avec Jürgen Rose un univers esthétique assez convaincant.

Götterdämmerung Acte II : le chœur et Jeremy Milner (Hagen)

Après un Siegfried qui semble avoir été plutôt réussi, notamment grâce au Siegfried de Michael Weinius qui a séduit le public, Götterdämmerung est sans doute musicalement et scéniquement le plus réussi des quatre. L’opéra conclusif du Ring est le plus riche en intrigue, en tractations, en discussions (cette « ferblanterie » dont il était plus haut question) et bien moins en épopée. C’est le monde des manœuvres et des petitesses, un monde que Siegfried ne peut comprendre (ce que Kriegenburg à Munich avait si bien montré) et tout à l’opposé de ses valeurs, d’où la valeur délétère du philtre qui rend Siegfried dépendant de ce monde-là. Michael Weinius campe un Siegfried jeune, vigoureux, qui devrait compter parmi les Siegfried qui méritent l’attention, avec un engagement scénique notable,  une voix qui jamais ne faiblit, et un joli timbre.
Les images mêmes du décor et les idées de cette mise en scène la rendent sinon totalement convaincante, du moins digne d’intérêt, pelote réduite des Nornes qui vont perdre le fil des destins, têtes statufiées des Dieux, à jardin, où les personnages se crispent sur/contre celle de Wotan, la chute finale des Dieux, et des corbeaux qui dans cette mise en scène ont figure d’ombres humaines, la « boite » où se situe toute l’intrigue, sorte de figuration du monde étriqué des hommes où ceux-ci se confrontent, est une bonne idée soulignée par de très beaux éclairages de Tobias Löffler.
Le duo initial avec Brünnhilde est intense, et parfaitement soutenu par un orchestre plus intéressant et coloré que précédemment. Petra Lang a peut-être ici plus d’assurance, la voix ne sonne pas toujours aussi juste qu’on souhaiterait, mais il y a de la présence, il y a de l’engagement, et il y a surtout de l’émotion. Sa scène finale est réussie. Sans être une Brünnhilde de légende, Petra Lang « assure » avec vaillance la représentation, et sa prestation est plutôt supérieure à ce qu’on avait pu entendre d’elle dans le rôle précédemment.
Et le niveau général de la distribution est plutôt enviable, à commencer par l’excellente Gutrune d’Agneta Eichenholz, qui n’est pas l’oie quelquefois caricaturale qu’on nous présente. Le personnage a une certaine subtilité, plus profond que d’habitude, et c’est le mérite d’Eichenhols de très bien défendre ce regard moins ironique sur Gutrune.
L’Alberich de Tom Fox, version noire du Wotan plutôt clair des épisodes précédents, reste problématique à l’aigu, comme dans Rheingold, mais son apparition dès le début de Götterdämmerung,  avant les Nornes est une bonne idée de mise en scène et il défend le personnage. À côté d’Eichenholz, Mark Stone campe un Günther lui aussi moins ridicule, un brave type de bonne foi livré tout cru aux manœuvres de Hagen, avec une voix notable et une émission excellente, non plus qu’une projection enviable. Le Hagen de Jeremy Milner est surprenant parce que jeune, mince, assez séduisant et sans le format massif des Hagen habituels. Cependant la voix de basse est moins impressionnante que ce à quoi on s’attend habituellement dans Hagen, et cela enlève au personnage un poids notable : c’est dommage parce que le chanteur est intéressant, mais son Hagen a besoin d‘acquérir plus de poids. Michelle Breedt est une Waltraute correcte qui ne saurait rivaliser avec les grandes Waltraute du moment. Il lui manque un peu d’expressivité, et pour tout dire là aussi un poids qu’elle ne possède pas pour un rôle qui apparaît brièvement, mais qui compte fortement.

Götterdämmerung : Les filles du Rhin (Polina Pastirchak, Carine Séchaye et Ahlima Mhamdi )ont retrouvé l'Or

Bien en place les trois Nornes, Wiebke Lehmkuhl, Roswitha Christina Mülleret Karen Foster, et les trois filles du Rhin, Polina Pastirchak, Carine Séchaye et Ahlima Mhamdi bien modulées dans leur air mélancolique du dernier acte. Au total, un Götterdämmerung plutôt bien distribué et honorable, avec une prestation chorale vraiment réussie : Alan Woodbridge réussit à faire de l’intervention di choeur un moment puissant, avec beaucoup de vaillance, mais aussi des passages plus en sourdine du plus bel effet.
Georg Fritzsch n’est pas un chef très connu hors des frontières d’Allemagne et il est depuis une vingtaine d’années Generalmusikdirektor à Kiel. Sa direction montre et ce depuis Rheingold, un souci de transparence particulièrement marqué, voire surprenant (prélude de Rheingold) c’est du côté des rythmes et du tempo que les choses sont plus irrégulières, mais au fur et à mesure, la direction se fluidifie et celle de Götterdämmerung, attentive aux chanteurs, accompagnant le plateau avec bonheur, est particulièrement dramatique. Les pièces orchestrales comme le Voyage de Siegfried sur le Rhin ou surtout la Marche funèbre  sont exécutées en mettant en valeur une palette de couleurs qui montre que l’orchestre est totalement à la hauteur de l’enjeu, sans scorie aucune, avec un engagement de tous les instants, et le résultat est vraiment de grand niveau. Ce Ring se termine mieux qu’il n’avait commencé.

On pourrait discuter à l’infini sur l’opportunité ou non de remonter ce Ring. La salle était enthousiaste à la fin du Götterdämmerung et ce succès est déjà une. Le risque était marqué d’inaugurer un outil rénové avec un défi pareil. Il a été relevé, et sans heurts (sinon une malencontreuse chute de revêtement de verre d’une des loges), et au total, le résultat même un peu contrasté, reste positif. Le Grand Théâtre de Genève est en état de marche, Aviel Cahn peut arriver tranquille.

Götterdämmerung acte I : Petra Lang (Brünnhilde)
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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