Pour plus de précision et pour rafraichir la mémoire, nous invitons le lecteur à lire le compte rendu du Barbiere de 2024 par la même équipe.
Acte I : Les Nozze, Barbiere II : la piste de la commedia dell’arte et la dégradation du Conte.
Dès le premier acte, on reconnait les signes de la précédente mise en scène du Barbiere par Fellbom. Un rideau de soie : signe du spectacle, ça brille, ça froufroute, c’est un peu clinquant. Il est vert maintenant, on est à la campagne : au château d’Aguas Frescas.
À l’ouverture du rideau, on retrouve non plus le château d’Aguas Frescas mais la maison boîte du Barbiere toujours dans son économie de décor, d’ailleurs les cintres sont toujours à nu. Le temps a passé, Rosina et Almaviva se sont mariés mais le fond des choses reste. Est-ce un reste du passé (au même titre que le podium devant le trou du souffleur où Almaviva chantait la sérénade à son amante) ?
Premier indice : les personnages sont toujours habillés en ersatz de la commedia dell’arte, dans des tons grisâtres, signe que tout cela n’est, quand même, pas très gai (droit de cuissage, trahison, tromperies en pagaille, possibilité d’inceste sans le savoir, mensonges évidemment…) et les seuls rehauts de couleur sont des éléments de jaune à la fois criards et pisseux : la jalousie rôde.
Les personnages semblent quasi inchangés mais nous ne sommes plus dans le même tempo, ni le même relief : Figaro a perdu ses carreaux gris foncés et Bartolo est passé des rayures verticales au violet, avec plus de dentelles.

L’opposition entre Marcellina et Susanna est soulignée par le même costume gris/jaune avec robe à panier mais les formes sont plus enrobées pour souligner l’empâtement et l’importance de Marcellina. On n’échappe pas au comique bouffon plus ou moins bien venu : la toise de Figaro servant à Susanna pour mimer « les honneurs » du Conte, ou encore l’entrée dans la maison, soit la sortie de Marcellina, encombrée par sa largeur de panier. Nous sommes dans une commedia dell'arte bouffonne, outrancière, d’où vient Figaro.
Plus étonnant, et déjà se montre le regard du metteur en scène, le Conte est traité lui aussi comme un bouffon. Il était l’amoureux de Colombine/Rosina, il est aujourd’hui une sorte de Matamore, avec moustaches énormes, déculotté en pantoufles et avec une sorte de robe de chambre qui doit autant à son passé d’amoureux qu’à son embourgeoisement. Fellbom l’exclut des rôles seria : il est totalement dégradé, réduit à un matamore, de la gent guerrière mais pas noble, aux manières finalement de hussard, tout de velours rouge sang, courant la gueuse et donc rejeté dans le gang de la commedia dont il n’est pas sorti et dont il a seulement pris un autre rôle.
Cherubino lui aussi, habillé de gris et de jaune, s’inscrit donc dans la pléiade des amoureux. Fellbom souligne quasi toujours l’abstraction des arie en jouant de ses lumières tamisées qui changent l’apparence de la scène pour montrer l’hors temps de l’aria. C’est bien vu, avec notamment une Susanna qui s’assoit dans un fauteuil comme épuisée, en tout cas bien pensive. Comme les agitations de l’amour semblent loin pour elle qui va se marier ce jour… L’éclairage est donc double et dit quelque chose sans être trop lourd.
On se souvient que dans le Barbiere, les airs étaient marqués par le chanteur qui s’installait sur l’estrade. Ce sera encore le cas mais, ici, ce seront des éclairages qui donneront du relief à l’air. On est bien dans une épaisseur autre. Le Barbiere n’est pas les Nozze, Rossini n'est pas Mozart.
Les bouffonneries continuent avec le Conte et Cherubino planqués comme il se doit avec un Basilio espion/entremetteur idoine et il faut attendre l’entrée en scène de Figaro avec le chœur des jeunes filles pour retrouver un autre éclairage du metteur en scène.
Figaro, qui s’agite devant le chœur pour encourager et diriger les jeunes filles heureuses de remercier le Conte abolisseur du droit de cuissage, rappelle, avec un bel effet de miroir, le baron de La Chesnay, chef d’orchestre d’une belle machinerie dans le château de la Colinière dans La Règle du Jeu de Renoir. Dalio s’agitait pareillement, foulard en main, devant son automate et le geste semble ici le même. Renoir s’inspirant de Beaumarchais et de Mozart/Da Ponte, le coup est beau.

Le foulard, c’est la couronne de virginité que doit remettre le Conte à Susanna… comme on le découvrira plus tard mais pour le moment, Figaro l’agite tant qu’il est difficile de faire le lien. On reconnait en tout cas la même agitation de joie diabolique de La Chesnay chez Renoir devant sa machine/orchestre : Figaro grand manitou.
Apparition de Barbarina, premier pardon du Conte (à Cherubino), forcé par la jeune fille, maîtresse des cartes à son insu au grand jeu de la jalousie et expédition de Cherubino hors du château des rêves… ou du cauchemar car il reste obstinément fermé, embastillé si on me permet.
Jeu d’écho toujours avec le Barbiere pour l’air Non piu andrai… : Figaro ramène sa boîte-dépliante-nécessaire à Barbe pour raser les boucles du jeune homme avant son envoi à la guerre. Et on retrouve le costume de militaire, toujours aussi gris et carré. Exit les couleurs de la vie. (N.B. : le rasage de Cherubino, nous apprend le programme de salle, est inspiré de Hair et de Full Metal Jacket.)
Et Figaro tire le rideau (cette fois par le haut) comme il concluait le Barbiere, signe de liens entre les deux mais comme si un bond était franchi et que l’on basculait vers autre chose.
Acte II : La maison de poupée ou la solitude de la Contessa
De fait, le deuxième acte nous montre l’épouvantable maison aveugle, cette fois-ci pivotée vers le public avec deux pans ouverts laissant voir la désormais Contessa (Rosina n’est plus, comme elle le dira au Conte), toujours, finalement, recluse dans sa boîte devenue bonbonnière car le Conte n’est pas Bartolo… Elle repose, comme un joyau dans sa cassette, sur une pile de coussins-matelas brodés, envahie de boîtes de cadeaux éventrées, contenant des chaussures. Et là encore, on repense à la piste cinéma, avec le Marie Antoinette de Sofia Coppola, qui montrait aussi l’enfermement dans l’ennui de la reine avec une scène de monceaux de boîtes à chaussures (dont des Converse, la chaussure adolescente moderne de l’époque)…
Isolement de la Contessa, dans cette boîte faussement ouverte mais bien fermée, dans l’immensité des cintres, débordant de vieux rose, couleur d’une jeunesse fanée, dans sa robe, les rideaux surchargés, emmêlés, obscurcissant les fenêtres, les murs. Une maison/prison pour Barbie… vieillie.
Et tout ceci met encore plus en valeur la cavatine seria, Porgi Amor qui vient clore le chapitre de la comédie bouffonne qui inondait le premier acte et recentrer l’opéra sur le personnage de Rosina qui éclaire l’œuvre, comme elle éclairait le Barbiere de Fellbom.

Notons que Fellbom, toujours dans son parti pris d’éclairage (et, on le verra, de coupes et donc de choix) a supprimé au premier acte l’air de la Vendetta de Bartolo… d’un coup de coude de Marcellina à son ex-employeur/amant. C’était déjà un adoucissement, une volonté d’éclairer les bonnes âmes et de montrer que les femmes, du moins d’un certain âge, font preuve de douceur, sont moins brutales et prévoient le pardon.
Susanna arrive dans le boudoir prison en apportant une nouvelle boîte de chaussures à la Cendrillon étouffée sous des preuves d’amour qui n’en sont pas et la Contessa jette le présent avec les autres.
On parle, avec Figaro et Cherubino, de prendre le Conte à son propre piège suivant le livret et Cherubino entonne sa canzonetta, sur le petit podium, pour le mettre en valeur et en représentation. Rien que de très classique mais bien mis en scène avec un Adrian Angelico en Cherubino, tout à fait plastique dans son rôle de travesti, gaillard empoté qui renoue avec l’esprit bouffe du premier acte.
Idem pour l’irruption du Conte. On retrouve l’esprit du Barbiere avec la maison-meuble qui abritait des fausses trappes et ouvrait vers l’extérieur : ici le cabinet de toilette est une armoire (finalement pas bien large pour accueillir tout ce monde et, d’ailleurs, l’espace factice du spectacle est ici étiré à l’envie par Fellbom. Lors de la fuite de Cherubino par la fenêtre, sa chute, criée, semble durer autant qu’une chute de plusieurs centaines de mètres.
Effet démultiplicateur du regard scénique sur le réel.
On est bien entré dans une autre dimension. Rappelons que, sous les dehors bouffons, l’acte II est, outre une tromperie quasi bourgeoise, loin d’un esprit galant à la Louis XV, l’union des valets contre le maître avec le concours de Madame, et qu’il y va, entre autres, d’un quasi viol annoncé, sans cesse reporté (le forçage de la serrure du cabinet, où se trouve Susanna, en est le symbole).
Toujours dans l’étirement du regard, l’arrivée d’Antonio, se fait par les cintres à jardin avec un jardinier armé d’une longue échelle blanche (rappelons que la fenêtre est à 1m de hauteur !) zigzaguant sur la scène à l’arrière avant d’arriver lui aussi par la fenêtre.
Notons aussi que le Conte, qui était à moitié nu sous sa robe de chambre au premier acte, est cette fois ci en pantalon mais en bras de chemise au II, toujours donc, amputé de sa superbe : noble incomplet et impuissant.
Détail qui compte : lorsque Figaro arrive à sauver l’affaire de prime abord, Susanna rembobine le ruban que Cherubino avait dérobé comme pour souligner que l’affaire est dans le sac, retour à la situation initiale… avant l’épisode de la patente !
Je souligne ces détails qui dévoilent le regard de Fellbom sur le Nozze sans décrire par le menu l’action bouffonne de cet acte qui montre un sens aigu du théâtre, joyeux et qui fonctionne parfaitement avec l’arrivée de Bartolo et Marcellina pour conclure face public, en rang d’oignons, un acte foisonnant à souhait : théâtre et représentation de la représentation toujours.
Acte III : le dévoilement des ressorts.
La maison est à nouveau au centre de la scène mais vide et dénudée. C’est un squelette voire un crane. Tout est mis à jour (et le Conte opèrera d’ailleurs une mise au point des enjeux dans la 1re scène). Au centre, une sorte de lustre énorme et voilé. Il y a comme une réorganisation des voiles qui couvraient l’affaire (et la chambre de la Contessa). On va y voir plus clair : on va d’ailleurs tirer les ficelles (et chacun essaiera de tirer son fil du jeu).
C’est le duo/jeu de dupes Susanna/Conte, encouragé par la Contessa avec ces si et no trompeurs, d’une Susanna qui court d’un côté à l’autre et s’enfuit vers les cintres lointains à cour (superbe effet d’éloignement bien réel cette fois ci, c’est plutôt une nouveauté de mise en scène) pour déclarer à Figaro qu’elle a vaincu sans procès… mais le Conte, malgré l’éloignement, a entendu.
Il Conte a gagné en superbe, il est habillé de pied en cap cette fois-ci, et peut chanter son air seria… de colère bourgeoise Vedrò mentr’io sospiro. Et du coup, c’est très ironique car il était amoureux et devient amant/trompé vengeur en deux scènes : il ne peut que rester bouffon, matamore, sans cesse rejeté dans sa perte de statut. D’où un costume finalement bouffon, de noble de pacotille, là où la Contessa porte perruque haute fin XVIIIe et un vêtement qui doit autant au siècle passé, avec ses cols hauts et rigides : ils ne sont pas du même bois, ni de la même étoffe…

Nous évoquions la symbolique du décor qui outre le lustre, si central dans les maisons d’opéra, est également symbole des fils tirés mais aussi des voiles qui se lèvent (sur les motivations), des révélations : Marcellina et Bartolo, père et mère de Figaro, ont donc été « amants » avec en filigrane, encore, les abus de pouvoir employeur/employée). Le décor peut être vu aussi, lorsque les bandes se tirent et s’écartent, comme un utérus géant, avec les deux trompes de Fallope, puisqu’in fine, il s’agit d’évoquer la naissance de Figaro et plus généralement la matrice de toute chose, l’origine du monde et son désir profond (sexe et génération).
C’est ainsi sous cet organe géant que chantent les jeunes filles toutes de rose vêtues, avec Barbarina, déjà sur la voie du devenir femme (il Conte en embuscade, Cherubino désiré…). On remarquera les robes ballons, qui annoncent à la fois leur forme encore informe et leur futur de mère. Elles portent d’ailleurs de charmants lampions, tout aussi larges, soulignant la lumière enfermée.
Figaro a lui aussi retrouvé de sa superbe et donc des couleurs dans son costume d’Arlequin désormais rehaussé d’orange, de teintes de rose…
Couleurs donc et lumières avec le déchirant air de la Contessa Dove sono i bei momenti. Les lumières gris bleues zèbrent l’espace comme autant de flèches qui s’abattent sur un Saint Sébastien et qui s’effacent progressivement pour virer délicatement en un brouillard vert (« L’espoir de changer ce cœur ingrat »). Fellbom est un expert des lumières et c’est ici une belle réussite.
Belle réussite aussi le final dansé, les échanges de billet et d’une manière générale tous les ensembles qui font de ces Nozze une vraie fête du théâtre avec une belle animation de plateau qui tranche singulièrement avec certaines productions locales (Walküre pour ne pas la nommer).
Acte IV : L’antre et les méandres
Après le dévoilement et la reconfiguration des intrigues, vient le temps de faire tomber les ultimes masques et d’abattre ses cartes.
Nouvelle reconfiguration du décor avec le retour du rideau de soie verte (c’est la forêt..), ici démultiplié en autant de couches et sous-couches, en entonnoir, équivalent à la multiplication des travestissements, des chausse-trappes et des rôles joués les uns pour les autres. C’est le retour du théâtre dans le théâtre, avec un jeu de miroir en spirale et d’opposition deux à deux. Une fois de plus, on pense à l’image de la matrice et de ses replis : on est au cœur du jeu, dans l’obscurité, où les désirs vont s’exprimer de manière plus ou moins voilés.

Auparavant, cette nouvelle scène/décor accouche de Barbarina derrière le rideau de soie verte, en siège (signe néfaste : Richard III est né comme cela), pour chanter son malheur et montrer son postérieur puisqu’il est l’objet du désir d’au moins deux des hommes (d’ailleurs, plus tard, l’acte sexuel Figaro/Susanna, déguisée en Contessa sera mimé de la sorte, « troussage de soubrette », comme disait Jean-François Kahn, mais inversé).
Éclairage de Fellbom toujours, l’air de Basilio est coupé (mais pour les happy few, une allusion finale accompagnera le baisser de rideau) mais pas celui de Marcellina. Donc les airs des hommes sont retranchés (on rappelle que celui de Bartolo a été coupé directement sur scène par Marcellina justement) mais on garde celui de Marcelline : qui plus est, c’est un hymne à la solidarité féminine. Fellbom œuvre donc politiquement de manière subtile.
C’est le grand final des femmes, celles qui reprennent leur destin en main en reléguant le malin Figaro au rang de factotum et même de floué (un temps) avant la grande demande de pardon devant un Conte buté… et enfin mis à genoux.
Les masques tombent, et ici, les rideaux, laissant apparaître la Contessa près de sa maison nue, dans la grande solitude et obscurité des cintres. Les rideaux roses sortent des fenêtres vers l’extérieur comme autant de larmes…
La Contessa, grande et lointaine, est décidée à agir dans la lumière débarrassée des oripeaux du mensonge (un côté statue du Commandeur sans le feu de l’enfer), dans une intercession non plus divine mais des plus humaines : la compassion dont Parsifal devra faire son miel car il est le premier pas des vertus théologales… et sur le chemin du Graal.
Il reste à finir dans la joie de l’unité retrouvée de la communauté (Corriam tutti) avant le baisser de rideau qui laisse Basilio énigmatiquement seul sur scène à jardin… drapé dans la cape du Conte. Le fameux manteau d’âne, de l’imbécilité dont il professait vouloir se couvrir dans son air ici retranché mais dont la morale apparaîtrait scéniquement ?
Figaro Divorce est annoncé pour la saison prochaine. Peut-être est-ce une amorce… Après tout, pour divorcer, il faut un avocat…
En conclusion, dans un monde où chacun se doit de relever, quotidiennement, des « défis » ou des challenges, nous dirons que le pari de Fellbom est plus que gagné. Les éléments de son Barbiere sont agréablement réemployés et démultipliés, à l’image du décor réemployé et de tous les voiles qui envahissent, se déplient et ouvrent l’espace comme les intrigues sont multipliées du Barbier au Mariage de Figaro.
D’autres éléments sont repris de manière assez discrète comme l’image arrêtée du charivari militaire à la Goya qu’on voyait dans le Barbiere et qui repointe le bout de son nez dans l’acte II au moment où Susanna déchaîne ses premiers coups sur Figaro. Il y a une sorte de suspension de la violence qui est ainsi scandée d’une production à l’autre et celle-ci est, dans les Nozze, toujours l’œuvre de la femme, d’où les airs supprimés ou surtout interrompus alors qu’on garde celui de Marcellina, pourtant moins amusant que celui de l’âne Basilio à l’acte IV ou que celui, attendu et aimé, de la Vendetta de Bartolo à l’acte I. Ce sont donc des choix politiques et les Nozze di Figaro, malgré les évidentes autocensures de Da Ponte, sont et restent éminemment politiques, plus centrées que jamais sur la guerre des sexes (toujours en cours) et du genre (Cherubino).

Si on perd un peu en profondeur dans cette réorganisation clownesque, avec ce Conte passé irrémédiablement dans la troupe bouffonne (et bourgeoise) sans espoir de retour, on gagne en légèreté et c’est ce qu’il faut sans doute pour une production appelée à rester dans le catalogue des opérations tiroir-caisse. Et la solitude, et la grandeur de la Contessa n’en est que plus magnifiée.
Comme pour le Barbiere, on remarque que Fellbom s’amuse à décentrer le propos : qui est le personnage central du Barbiere ? Almaviva (premier nom du livret de Rossini) a priori mais chez Fellbom c’était déjà la Contessa, qui est encore dans les Nozze l’hors cadre voire la surcadrée.
C’est donc à une troupe de bateleurs que l’on doit cette fête de la représentation avec sa star, une prima donna, la Contessa qui ne veut qu’une chose : se remettre dans la collectivité. On perd un peu des ambiguïtés de l’amour (avec ce Cherubino, chouchou de ses dames, peut-être un peu trop dans le livret pour Susanna et la Contessa), de l’affrontement des classes mais on est charmé par les agaceries de la troupe et par une élégance visuelle, qui repose certes sur une économie de moyens (l’école "Folkoperan" dont est issu Fellbom) mais aussi une utilisation très esthétique et avec force de symboles dans le décor et les lumières. C’est, en tout cas, la meilleure production des Nozze (et pas que) vue à Stockholm : efficace, drôle et imposant un vrai regard sur l’œuvre.
Le Plateau
Le plateau est solide et ne souffre pas de déséquilibre trop important malgré la Contessa de Camilla Tilling et la Susanna de Johanna Wallroth de renommée internationale mais qui ont des voix assez légères et donc n’écrasent pas l’ensemble. Le Cherubino d’Adrian Angelico, déjà vu et apprécié sur cette scène en Octavian, un rôle d’ambiguïté de genre dans lequel iel excelle, tient parfaitement son rôle. Aigus brillants, facilité d’émission, légèreté, c’est surtout aussi un corps en action, aussi féminin que masculin avec un engagement scénique réel. Dans ce festival de bouffonneries, Adrian joue de son corps et surtout de ses mimiques. Belle performance, malgré quelques très légères scories dans les montées extrêmes des aigus mais les registres sont généralement bien liés. C’est un des atouts de poids de cette production comme iel l’était dans la production du Rosenkavalier.
Mention spéciale aussi à Jeremy Carpenter en Conte, vraiment à l’aise dans les rôles bouffons dans lesquels il brûle les planches. Outre sa voix chaleureuse ici avec une émission pas toujours très puissante mais conséquente, c’est surtout pour ses pitreries qu’on le remarque et, avec cette production, il est servi. Là encore un vrai acteur/chanteur des pieds (en pantoufles) à la tête.

Idem pour le Figaro d’Erik Rosenius, avec une très belle voix de basse aux graves profonds, tout en rondeurs, avec des couleurs parfois osées (Se vuoi ballare signor contino) mais qui donnent du volume et jouent la magie de l’instant : il se met en danger et c’est aussi, pour le coup, un Figaro ancré dans le moment (Wanderer l’avait entendu en Nachtwächter en 2019 et avait écrit : « Soulignons enfin un autre très jeune membre du Studio, le Nachtwächter d’Erik Rosenius, jeune artiste suédois, qui fait entendre un timbre magnifique malgré un trac évident. »
On retrouve aussi avec bonheur la troupe : Kristian Flor en Bartolo, Jonas Degerfeldt en Basilio et Johan Edholm en Antonio, tout à fait en place dans des rôles de caractère dans lesquels ils s’en donnent à cœur joie.
La Barbarina de Mathilde Hylander est aussi à remarquer, surtout dans l’excès du jeu, avec peut-être quelques petites acidités dans la voix ce soir-là mais on lui demande beaucoup comme de se trainer à quatre pattes pendant son morceau de bravoure et de jouer la jeune écervelée un peu pompette, donc aux antipodes de son désespoir d’ambassadrice segreta (encore une). L’émission est belle et les volumes sont là. À réentendre.
Miriam Treichl ne nous a pas spécialement marqués dans son interprétation de Waltraute dans le récent Walküre alors qu’on avait noté sa performance en Zina et en Suor Zelatrice du Diptyque (Trittico de Puccini ‑1) en 2022.
Elle est ici tout à fait adéquate en Marcellina, capable de rivaliser de fraîcheur avec la Susanna de Johanna Walroth, en pleine possession de ses moyens lors de l’acte I et de s’imposer en défenseuse de la gent féminine plus matoise dans son ultime air. Elle s’impose avec sa voix élégante et puissante et capable des grands écarts de caractérisation.
Enfin, dans cet opéra où les femmes prennent d’assaut le devant de la scène, on ne saurait départager la Contessa de Camilla Tilling et la Susanna de Joanna Wallroth. La première s’impose par sa maîtrise, toujours au service de la clarté et des couleurs, avec une voix restée fraîche et ductile, qui convient au rôle mais qui en impose aussi par son humanité, c’est le sens de l’œuvre et notamment de cette production qui lui confère un rôle central.

Quant au jeune soprano suédois Johanna Wallroth, elle explose en Susanna, rôle fait pour elle avec sa jeunesse, sa beauté, ses aigus brillants, une ductilité à toute épreuve et évidement une souplesse dans le jeu scénique qui en fait l’attraction solaire même si, on l’a dit, le plateau est solide et reste équilibré.
Direction et orchestre.
James Hendry, Erster Kapellmeister au Staatstheater Hannover, assume le pupitre en duo avec Alan Gilbert, maitre des lieux. Il le fait avec fougue et énergie, assumant des volumes importants et des tempi plus aérés (le 1er air de Cherubino, haletant ou plus suspendu), s’offrant (ainsi qu’au plateau) souffle et respiration.
Il retrouve même des couleurs Don "Giovannesques" voire "Flutistes" (second air de la Contessa, où il la suit pas à pas avec une belle attention) tout à fait bienvenues ici, dans un opéra faussement léger et ou les implications sourdes abondent.
En conclusion, une très belle nouvelle production des Nozze qui fait la part belle au jeu, au spectacle avec, en plus, une excellente gestion des ensembles qui permettra de la revoir avec joie et d’approfondir dans les années à venir la lecture de ces Nozze aussi guillerettes que plastiquement réjouissantes.