Giacomo Puccini (1858–1924)
Suor Angelica (1918)

Opéra en un acte
Livret de Giovacchino Forzan
Création au Metropolitan Opera de New York le 14 décembre 1918

Gianni Schicchi (1918)
Opéra en un acteLivret de Giovacchino Forzan, d’après La Divina commedia de Dante
Création au Metropolitan Opera de New York le 14 décembre 1918

Direction John Fiore
Mise en scène de Wilhelm Carlsson
Costumes, scénographie et perruques Marcus Olson
Lumières Markus Granqvist
Dramaturgie Katarina Aronsson

Kungliga Operans Kör
Kungliga Hovkapellet

Distributions :

Suor Angelica
Suor Angelica : Yana Kleyn
La zia principessa : Kristina Martling
La badessa : Annica Nilsson
La suora zelatrice : Miriam Treichl
La maestra delle novizie : Anna Norrby
Suor Genovieffa : Hanna Husàrh
Suor Osmina : Jessica Forsell
Suor Dolcina : Olga Medianova
La suora infirmiera : Louise Reitberger
Le cercatrici  : Maria Matyazova Milder, Anneli Jupither
Le converse : Hanna Wåhlin, Therese Badman Stenius
Novizie Katarina Böhm, Lisa Thor
La Vergine Maria :Margareta Bergius
Il figlio di Suor Angelica : David Francett

Gianni Schicchi
Gianni Schicchi : Jeremy Carpenter
Lauretta : Hanna Husàrh
Zita : Miriam Treichl
Rinuccio : Joel Annmo
Gherardo : Jihan Shin
Nella : Yana Kleyn
Gherardino : Viktor Rydström
Betto : Kristian Flor
Simone :  John Erik Eleby
Marco : David Risberg
La Ciesca : Karolina Blixt
Maestro Spinelloccio : Andreas Lundmark
Amantio : Håkan Ekenäs
Pinellini Mattias Milder
Guccio : Johan Lilja
Buoso Orjan Lönngren

 

 

 

Stockholm, Kungliga Operan, le samedi 7 mai 2022, 15h

En mathématique puccinienne, avec Il Trittico, on doit obtenir l’égalité suivante 1+1+1 = 1. C’est du moins ce qu’avait tenté Tobias Kratzer récemment à Bruxelles ou il y a 5 ans Lotte de Beer à Munich (voir ci-dessous). Mais les théâtres commencent à désosser le Trittico en faisant des dyptiques associant l’un des trois opéras de Puccini à un autre titre, d’un autre compositeur si possible de la même période : Dorny l’avait tenté à Lyon, l’Opéra de Rome le propose la saison prochaine, sur trois ans . L’Opéra Royal de Stockholm tente plus simplement une soustraction de plus pour conserver l’égalité et adapter l’œuvre de Puccini de manière plus souple (comme réserver Gianni Schicchi seul à un public dit scolaire) sans perdre de vue que la production doit rester dans les actifs de l’Opéra, aisément remontable et supportant la représentation répétée les années à venir. En résulte une production de belle facture, inspirée par les tableaux de la Renaissance Italienne, qui sans remuer profondément l’œuvre, complexe sinon compliquée dans ses rapports entre les 3 (ici 2) parties, a le mérite de les illustrer agréablement, de coller à cette atmosphère de tableaux vivants, d’un couvent, et d’une micro société florentine tirée de deux vers de Dante.

 

On ne reviendra pas sur la tentative avortée par Puccini de construire son Trittico sur La Divina Comedia de Dante. Du projet initial, il ne reste que Gianni Schicci que Puccini et son librettiste Forzano vont tirer du chant XXX :

L’una giunse a Capocchio, e in sul nodo
del collo l’assannò, sì che, tirando,
grattar li fece il ventre al fondo sodo.
E L’Aretin che rimase, tremando
mi disse : « quel folletto è Gianni Schicchi,
e va rabbioso altrui così conciando. »
« Oh », diss’io lui, « se l’altro non ti ficchi
li denti a dosso, non ti sia fatica
a dir chi è, pria che di qui si spicchi. »
Ed egli a me : «  Quell è l’anima antica
di Mirra scellarata, che divene
al padre, fuor del dritto amore, amica.
Questa a peccar con esso così viene,
falsificando sé in altrui forma,
come l’altro che là sen va, sostenne,
per guadagnar la donna de la torma,
falssificare in sé Buoso Donati,
testando e dando al testamento norma.
E poi che I due rabbiosi fuor passati
sovra cu´io aveva l’occhio tenuto,
rivolsilo a guardar li altri mal nati.
((L’une vint à Cappochio, et lui planta
ses crocs au nœud du cou, si fort
qu’elle lui fit gratter le sol avec son ventre.
Et l’Arétin qui resta tout tremblant, me dit :
« Le follet que tu vois est Gianni Schicchi,
qui s’en va plein de rage en accoutrant les gens. »
« Que puisse l’autre démon », lui dis-je,
« ne pas te mordre et consens à me dire
quel est son nom, avant qu’il ne disparaisse. »
Alors il me répondit : « c’est l’âme antique
de Myrrha la perverse, celle qui devint,
contre le droit d’amoir, l’amante de son père.
Elle parvint à pécher avec lui
en se cachant sous la forme d’une autre
comme fit celui qui court là-bas,
qui pour avoir la reine du troupeau
osa se déguiser en Buoso Donati
et faire testament en forme légale. »

Traduction de Jacqueline Risset pour GF Flammarion.))

Gianni Schicchi, enragé aux Enfers. Gravure de Doré (légèrement recadrée)

De cet épisode, Puccini et Forzani tirent une comédie fort légère, avec des colorations très Commedia dell’ Arte. C’est sur cette composante très italienne, quasi images d’Épinal, avec en arrière fond, l’humus culturel Dantesque, que s’appuie le metteur en scène Wilhelm Carlsson. Il travaille avec des images très visuelles, colorées et pleines de contraste comme l’opposition entre les deux œuvres retenues : le drame Suor Angelica et la comédie Gianni Schicchi. Diptyque de contraste étonnant aussi puisque Suor Angelica est, rappelons-le, uniquement féminin.

L’un des problèmes du Trittico est son abondante distribution. La réserve de voix de la troupe de l’Opéra est certes conséquente mais la production de ce lourd diptyque est aussi l’occasion de puiser dans les réserves du trésor national suédois (rien que pour la Zia principessa, tournent Katarina Dalayman, Anna Larsson, Katarina Leoson et Kristina Martling).

Pour camper le premier tableau de la production, Wilhelm Carlsson (metteur en scène)  et Marcus Olson (costume, scénographie et masques) ont choisi de nimber de gris le couvent de Suor Angelica, là où Gianni Schicchi sera orgie de couleurs vives.

Deux carrés, symbolisant l’ordre, la rigueur et la stabilité, l’un vertical, l’autre posé sur la scène avec en son centre un rond inondé, la fontaine mariale (purification, perfection). C’est peu scéniquement, mais souligne l’ascétisme de la Règle.

Peu de mouvements sur scène, on est dans un ordonnancement général : la vie monotone rythmée par les évènements réguliers (prières, punitions, quête). Sehnen, sehnen… Tout juste souligne-t-on la singularité de Suor Angelica, seul personnage identifiable, par son travail de tri de plantes à jardin.

Dans ce dessin de la vie monacale, on retrouve un peu du statisme en mouvement des Carpaccio Vénitiens, ceux de l’Accademia (Ursule en visite chez le Pape) et de San Giorgio dei Schiavoni (les frères effrayés par le lion de Jérôme ?) : à la fois l’ordonnancement des drapés qui volètent par moments, leurs groupements plastiques, étagés, à la fois orthogonaux et diagonaux.

C’est toute une histoire de l’art italienne qui est conviée ici, de cette Renaissance Italienne dont le point de départ est aussi bien Dante que Giotto (qu’on retrouvera dans les costumes de Gianni Schicchi).

Un moment de détente, au bord de la fontaine, ou l’on pourrait craindre le pire, lorsque les nonnes ôtent une première couche sombre de leur habit mais il ne s’agit que de se relâcher, pour les plus dessalées, se tremper les pieds dans l’eau ! Tout cela reste sage, évidemment, mais pas totalement dénué de tension lors du déshabillage. On sent la détente, réelle, vériste ?, de simples nonnes, les unes gourmandes, certaines distraites et les autres au lourd secret, Suor Angelica, sans visite depuis sept ans…

Détente bien sage

L’arrivée de la Princesse, sa tante, se fait par quelques changements d’éclairage et un simple levé de panneaux qui fait apparaître une croix géante sur le carré levé en fond de scène. Là encore, le pari n’est fait que sur quelques signes scéniques signifiants, chiches. On s’appuie sur la musique pour penser le lieu, ici la lourdeur et la puissance (Croix blanche d’où sort la lumière) de la Règle et de la soumission à laquelle doit se plier Suor Angelica, et les transports des personnages.

La Princesse (ici Katarina Leoson)

 

La Princesse est engoncée dans une robe noire de duègne comme dans ses décisions, difficile à mouvoir et à émouvoir donc… Suor Angelica, celle qui a fauté, apprend la mort de son enfant et doit signer le legs de ses biens à sa sœur en vue d’un mariage qui effacera les torts jetés sur sa famille.

La signature forcée (ici Annica Nilsson et Camilla Tilling)

 

Sa connaissance des plantes lui assure la préparation d’un cocktail de fin de vie, dans un calice Graalien, qu’elle absorbe sous la croix géante en se souvenant in fine de son état de lourd péché à cause du suicide, mais, miracle ! (et levé de panneaux), la vierge elle-même intercède en sa faveur.

L’empoisonnement volontaire (ici Camilla Tilling)

 

Ce n’est plus l’apparition virginale du soleil sur la fontaine, mais la Vierge elle-même, non plus italianisante mais celle de Guadalupe, avec un diadème solaire pour imiter la mandorle, non plus symbole de l’art mais œuvre de dévotion. Entourée d’un chœur d’enfants-anges, elle apporte le fils d’Angelica (et on pense un peu au petit Duc Godefroi dans Lohengrin) avec ses bras en oraison. Le tout dans un éclairage blanc irradiant et avec un raz de marée de vaguelettes de fumigènes, assez impressionnant.
Des images d’Épinal donc, d’autres inspirées de l’art renaissant italien, d’autres enfin de pure dévotion. Wilhelm Carlsson joue sur ces trois tableaux pour composer le sien, au premier degré pour conter son histoire de miracle et de grâce.

Ce fut comme une apparition

 

Il était important de finir au Paradis, dans un hors temps et un hors lieu, si bien conté par les Chants finaux de La Commedia de Dante pour retomber, avec Gianni Schicchi, dans ce récit joyeux, très terre à terre, de captation d’héritage, issu de L’Enfer. L’opposition fonctionne donc à plein dans cette production. Si Suor Angelica est une succession de tableaux, de scénettes musicales bien rendues par la levée de panneaux par Carlsson, Ganni Schicchi est une œuvre chorale aussi mais dans une unité de temps et de lieu très stricte avec une caractérisation de personnages plus précis, moins nuageux, éthérés que dans Angelica.

Wilhelm Carlsson réinstalle donc son atelier de peintre. Au fond, une vue des collines de Florence qui pourrait être de Corot. Sur scène, autour du lit en baldaquin, où meurt dans un râle sonore Donato Buoso, c’est un véritable Rittrato di familglia in un interno (comme dirait Visconti) : la famille pose, chacun derrière son cadre, attendant que le petit oiseau sorte (l’âme de Buoso ?) puis s’agite enfin, prenant possession de la maison. Une maison et des possessions rétives, puisqu’au même moment, les cadres disparaissent dans les cintres et les meubles se soulèvent, planant sur la scène, décrivant le caractère incertain (et dangereux) de la succession. Peinture toujours, les tapis rappellent ceux aperçus dans les tableaux des autres grands commerçants de la Renaissance, les Flamands, Van Eyck, etc…

Suivant toujours la pente Renaissante, les avides membres ressemblent aux contemporains de Giotto, que celui-ci a immortalisés dans son œuvre (tout comme Dante), en particulier dans les fresques de son Jugement Dernier à Padoue, dans la Chapelle Scrovegni. D’autres ressemblent aux personnages de Carpaccio, ces arbalétriers de la légende de Sainte Ursule à l’Accademia de Venise. Enfin la Tante porte un pseudo manteau de Fortuny, comme Albertine, comme ceux comme que portait le compagnon de la Calza…

Portrait d’une famille déjantée dans laquelle la femme à la bûche "Lynchienne" devient… l’homme à l’assiette.

 

Tout pour nous dire : ils sont tous là. Y compris les personnages de la Commedia del Arte dans leur dernières incarnation : Pantalone en Simone, Arlequino en Schicchi, le médecin napolitain en Spinelloccio, les deux amants Colombina/Lauretta et Lelio en Rinuccio… Plus de scène(s), il s’agit d’interactions de personnages bien (en)cadrés, c’est ce que souligne la mise en scène.

C’est l’Italie éternelle, sublimée et conviée par petites touches de sources différentes qui s’incarne sur scène pour cette intrigue comique d’héritage.

On soupire pour de faux, on commente les on dit (dicono a Signa) d’un héritage laissé en totalité aux moines (lien entre Angelica/Schicchi) mais surtout on s’affaire pour dénicher un testament introuvable, en fait dans un tiroir d’un meuble flottant. Tout est léger, rappelons-le…

On le dit où ? À Signa.

 

Un peu de sentiment dans ce monde de brutes, Rinuccio chante son amour pour Lauretta, fille du paysan Schicchi, homme nouveau de Florence, certes pécore mais malin et apte, sans doute, à débrouiller l’affaire. Au passage, Puccini et son librettiste, en véristes vacanciers, n’oublient pas, lors de ce seul air amoureux mais aussi politique, de décrire les changements sociaux dont le duché est agité et citent, entres autres roturiers, et la référence picturale n’échappe pas au metteur en scène, Giotto venu de Mugello. L’entrée dans la Renaissance se fait par la dualité Dante/Giotto et ce dernier n’oublie pas d’inclure le premier dans sa fresque du Jugement Dernier, côté Paradis.

Les amoureux Lauretta et Rinuccio (Hanna Husáhr et Joel Annmo) : oiseaux blessés.

 

Côté Enfer, voilà justement Gianni Schicchi qui débarque sur scène, accompagné de sa fille Lauretta, via une trappe dissimulée sous un tapis. L’homme contemporain de Dante, personnage intégré pour la postérité dans son Enfer, utilisé par Puccini, est ressorti donc directement de son 8e Cercle infernal (10e bolge, celle des falsificateurs) par le metteur en scène qui souligne la dualité Paradis/Suor Angelica, Enfer/Gianni Schicchi.

Schicchi est ici plus qu’un Florentin malin, un Mephisto de théâtre (le faussaire…), tout de rouge vêtu et coiffé : on est ici dans le registre bouffe pur.

Jeremy Carpenter peint en ce diable de Gianni Schicchi

 

Bouffe toujours, le jeu avec le cadavre, enroulé dans un tapis, qui se déroule, que l’on transporte. Le tapis comme image, plane ou plutôt plate, qui illustre ou cache, toujours symbolique et ironique comme celui illustrant le Ponte Vecchio qui se soulève pendant l’air amoureux de Rinuccio : image d’Epinal qui illustre les images culturelles tout aussi décoratives du texte. Tout est moquerie et légèreté.

Un cadavre que l’on cache (Buoso), un corps (Schicchi) que l’on dissimule, derrière d’autres corps (familiaux) ou d’autres images (tapis) pour la plus grande joie du public qui s’amuse follement pendant la visite du médecin Spinelloccio pendant laquelle Schicchi s’essaie au rôle de Buoso avant la convocation du notaire pour rédiger un nouveau testament.

Carlsson suit assez méticuleusement le livret pour le déguisement de Schicchi en Buoso (y compris la mentonnière) pendant que les membres de la famille essaient de corrompre Schicchi pour l’attribution des fameux moulins de Signa, la meilleure mule de Toscane et la maison de Buoso.

La rédaction du nouveau testament est encore un moment de pure bouffonnerie dictée par un Schicchi/Buoso encapuchonné, alternativement mourant sur son lit ou bondissant pour tonner ses avertissements à la famille lorsqu’il s’arroge les meilleures parts pour lui-même. L’illusion théâtrale fonctionne à plein : entre le déguisement volontairement chargé (réalisme) et les mouvements agités de Schicchi (bouffonerie) illustrant scéniquement les changements de voix et donc de personnage, on accepte tout, même l’inconcevable, autant que les témoins et notaires dupés… et les membres de la famille de Buoso Donati tenus par leur pacte, la menace d’exil et de la punition de la main tranchée (moignon, main fermée, exhibé régulièrement par Schicchi).

Reste pour la famille à sauver les meubles : en pillant ce qui peut être volé des fameux biens (im)mobiliers en l’air pendant que Schicchi désormais maître chez lui poursuit les Donati en les chassant. Les amoureux, réunissant les deux familles, sont désormais libres et heureux. Tout est bien qui finit bien, même si Schicchi rappelle la triste fin infernale qui lui est réservée et appelle les circonstances atténuantes en se dirigeant vers l’arrière scène avant un retour brusque vers les spectateurs. Il s’agirait, sans doute, non pas de conclure l’opéra, comme Shakespeare dans certaines de ces pièces, en brisant l’illusion théâtrale et la barrière personnage/spectateur mais de réinscrire Schicchi dans sa trajectoire de personnage voyageant d’œuvre en œuvre et de l’arrêter dans sa course, comme un instantané.

Ainsi ce serait la signature finale de la proposition de la production, qui oppose d’une manière générale au statisme de Suor Angelica, le mouvement ininterrompu de Gianni Schicchi. On le voit, il ne s’agit pas d’une mise en scène révolutionnaire du Trittico ‑1 mais les propositions sont fouillées, offrent des images plaisantes, pétries de culture : idéales donc pour une production amenée à ressortir régulièrement.

Évidemment, elle fait la part belle à la distribution et prouve que la forme de la troupe de l’Opéra et ses réserves dans le vivier de chanteurs et chanteuses suédois est profond.

Ainsi le plateau exclusivement féminin de Suor Angelica est fort homogène. En sort la soprano russe Yana Kleyn dans le rôle de Suor Angelica qui brille par ses beaux volumes, sa voix bien projetée, ses aigus clairs et ses mediums chauds mais aussi la Comtesse de la mezzo Kristina Martling à la voix enveloppante, aux registres bien liés mais qui sait aussi être coupante et glaciale.

Même si là encore, c’est l’homogenéité de la troupe qui ressort, il est plus facile de distinguer les voix dans Gianni Schicchi. Le baryton anglais Jeremy Carpenter dans le rôle-titre est évidemment très à l’aise dans ce personnage énaurme : là encore les volumes sont impressionnants, les basses gouleyantes mais c’est surtout sur la caractérisation qu’il insiste : la diction, le jeu outré. C’est le centre incandescent, sinon calciné de l’opéra.

Plus attendue, la soprano Hanna Usáhr en Lauretta, qui fut dans les même lieux Gilda dans le dernier Rigoletto, est l’exact pendant vocal de Yana Kleyn dans Suor Angelica. Même incarnation du personnage dans un champ juste, puissant et velouté, tout de fraîcheur et d’amour.

En contrepoint, le ténor Joel Annmo, en Rinuccio, démontre qu’il est toujours un amoureux agissant, bondissant à la voix claire, bien posée, véritable acteur sachant capter l’attention sans jamais être fade (il est un excellent Tamino, Chevalier de la Force, Lenski mais aussi Il Conte des Nozze). Le voir ironiser sur Florence devant son tapis est fort amusant.

Miriam Treichl en Zita, excelle dans le rôle de la tante acariâtre (elle était aussi…la Sœur Zélatrice), avec une voix bien projetée, vive, cassante et insinueuse.

L’américain John Fiore, habitué des planches de l’opéra notamment cette année (il dirigeait Iolanta en ouverture de saison) est ici comme chez lui. Nous assistions à la dernière série de représentations et tout était extrêmement bien en place. Suor Angelica lui donne l’occasion de faire ressortir toute une gamme variée de timbres et de couleurs, avec une véritable attention aux détails, retouchant chaque scène tout en gardant l’unité de l’opéra. Finesse avant tout donc. Fiore est un grand musicien, et il montre ses qualités dans tous les répertoires.

Gianni Schicchi est plus enlevé, nerveux dans le sens de vif, attentif à ne jamais couvrir les voix, centrales ici (y compris les apartés des Donati à Schicchi), débordant dans les effusions amoureuses, faisant ressortir l’ironie avec légèreté. C’est visiblement l’accord parfait entre l’orchestre et John Fiore, la sauce prend et le spectacle vit d’une même énergie qui le parcourt. C’est du grand spectacle et on ressort comblé, autant touché (Suor Angelica) que diverti (Gianni Schicchi). On n’a qu’une envie : le revoir, et surtout le réentendre.

Avatar photo
Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici