Richard Wagner (1813–1883)
Tristan und Isolde (1865)
Handlung in drei Akten
Livret du compositeur
Créé au Königlisches Hof-und Nationaltheater de Munich, le 10 juin 1865

Direction musicale :  Semyon Bychkov
Mise en scène : Thorliefur Örn Arnarsson
Décor : Vytautas Narbutas
Costumes :  Sibylle Wallum
Dramaturgie : Andri Hardmeier
Lumières : Sascha Zauner

Tristan :  Andreas Schager
Roi Marke :  Günther Groissböck
Isolde :  Camilla Nylund
Kurwenal :  Olafur Sigurdarson
Melot :  Alexander Grassauer
Brangäne :  Ekaterina Gubanova
Ein Hirt :  Daniel Jenz
Ein Steuermann : Lawson Anderson
Ein junger Seemann :  Matthew Newlin

Chœur du Festival de Bayreuth (Der Festspielchor)
Chef de chœur : Thomas Eitler de Lint
Orchestre du Festival de Bayreuth (Das Festspielorchester)

Bayreuth, Festspielhaus, dimanche 3 août 2025, 16h

Deuxième année de la production de Tristan und Isolde dans la mise en scène de Thorleifur Örn Arnarsson qui l’an dernier avait semblé cryptique et lointaine, malgré l’interprétation musicale de haut niveau signée Semyon Bychkov.
L’édition 2025 propose une distribution légèrement modifiée, mais la mise en scène reste globalement celle que nous avons tenté de décrire l’an dernier et pose la question essentielle de la représentation de l’abstraction au théâtre.  Une œuvre aussi emblématique que
Tristan, qui a fait fondre les âmes de tant de wagnériens et de pèlerins montant sur la Colline Verte, la première œuvre non prévue pour la salle à y avoir été représentée dès 1886 est sans doute l’œuvre musicalement, scéniquement, dramaturgiquement et philosophiquement la plus délicate à monter car il ne s’y passe pratiquement rien, même si elle s‘appelle « action (« Handlung »).
Nous avons l’an dernier longuement rendu compte de ce spectacle, et nous y renvoyons ci-dessous le lecteur curieux, car peu de points semblent susceptibles de modifications, mais cette année, le paysage musical, à commencer par la direction de Semyon Bychkov s’est consolidé, et la distribution est plus homogène, avec des chanteurs, qui même s’ils chantaient déjà en 2024, me sont apparus plus en forme ou mieux contrôlés. Et pour tout dire, la production de Thorleifur Örn Arnarsson me semble cette année moins absconse. J’y lis un effort singulier d’assumer une non-histoire, une non-action, pour essayer de traduire visuellement les dits de la musique, plus que du texte même, pour nous faire entrer dans un univers intérieur et philosophique. Défi ardu.

 

La production

Camilla Nylund (Isolde).

Il y a dans cette production un univers indiscutable élaboré par le décor de Vytautas Narbutas qui fonctionne comme ensemble de signes, le signe le plus évident étant le navire, élément unificateur des trois actes. Les cordes du premier acte l’évoquent, la « cale » encombrée du deuxième acte le montre, la coque explosée du troisième nous en dit la fin. Or, le navire n’est que le cadre du premier acte, puisque tout le reste se déroule à terre, en Cornouaille et à Karéol. Le navire est donc évidemment métaphore, « E la nave va » aurait dit Fellini, métaphore de la vie, de l’existence, mais aussi d’un voyage, d’une direction, d’un but vers lequel on va.
Le navire, c’est aussi le cadre qui définit un peu le personnage de Tristan, voyageur de l’impossible, l’orphelin ballotté, qui cherche sans cesse à conquérir une identité, et qui trouve celle de « héros » auprès de Marke, dont il devient le bras armé. Un Tristan errant et erratique, qui ne s’est arrêté qu’une seule fois, lorsqu’il a croisé le regard d’Isolde. Au-delà des identités respectives, ils se sont reconnus.
En se reconnaissant, ils reconnaissent aussi l’impossibilité de leur rencontre, une Isolde « marchandise » qu’on va ramener à Marke comme trophée, un Tristan « héros » chargé de la ramener et conscient de la situation impossible dans laquelle sont les deux personnages. Chacun porte en soi son passé. Isolde l’exposera au premier acte, et c’est le sens de cette robe gigantesque qui porte tout son récit, transformé en texte, c’est-à-dire en mémoire fixée – nous connaissons Tristan par la tradition des textes, Gottfried von Straßburg d’abord, (sans compter évidemment Béroul et d’autres) et Wagner ensuite (ou enfin). Les textes de Wagner ont cette capacité à « fixer » les mythes, à les concentrer, à en tirer la substantifique moelle, si bien que souvent le foisonnement mythologique des récits nordiques se retrouve simplifié et livré à notre modernité sans autre forme de procès que par le filtre wagnérien.
La question du récit, c’est aussi la question de la transcription, celle de la légende orale fixée par l’écrit, mais aussi de l’agitation intérieure d’une âme couchée sur le papier (un journal intime par exemple) : Isolde, prisonnière de cette robe où sont inscrits les mots de son histoire, est comme vêtue de son intimité, comme prisonnière d’elle-même, comme isolée des autres parce que confinée dans sa mémoire de vie irrésolue. Cette robe, elle est mémoire, mais aussi sans doute bribes, mots, fragments d’un discours amoureux (au sens où Roland Barthes l’a retranscrit) ou non. Enfermée dans cette robe qu’elle traine comme un boulet, elle ne peut communiquer avec les autres, ni Brangäne, ni Kurwenal, ni, à la limite et au début au moins, Tristan, qui porte lui aussi son boulet, ses errances, son malheur structurel (son nom, Tristan, qui est un nom d’emprunt donné à cause des malheurs de son existence, vient du latin tristis, qui signifie naturellement triste, mais aussi sombre).
Thorleifur Örn Arnarsson précise d’ailleurs dans les échanges lus dans le programme de salle que des deux, c’est Tristan le dépressif.

Ekaterina Gubanova (Brangäne), Andreas Schager (Tristan), Jordan Shanahan (Kurwenal), Camilla Nylund (Isolde), Günther Groissböck (Marke).

Alors dans ce premier acte, nul besoin de philtre, puisque les amants s’aiment depuis leur regard croisé : la plupart des mises en scène d’aujourd’hui s’en passent. Le philtre d’amour est une sorte d’arrangement avec la bienséance, qui rend le couple « fatalement » amoureux, et donc « excusable » au nom des valeurs de la bonne société, celle du XIXe ou celle du Moyen-âge, qui n’est pas avare en héros et beaux chevaliers amoureux d’une femme mariée ou promise à un autre, c’est un motif permanent de la littérature.

Le seul philtre qui vaille, c’est celui de mort, qui est la solution pour fixer l’amour « au-delà » de la mort et le fixer dans le Nirvana schopenhauerien.

Tout procède de raisonnement, tout est processus mental : inutile l’agitation d’un Melot ou même d’un Marke, parce qu’aucun des personnages, y compris les « adjuvants » (en terme de schéma narratif de Greimas) que sont Kurwenal et Brangäne. Ils sont eux aussi spectateurs et en-dehors du coup. Faire un Marke compréhensif, empathique ne change ainsi rien à l’affaire et ici, un peu comme chez Katharina Wagner, Marke est violent, plus violent que « méchant » d’ailleurs, il ne peut entrer dans la logique des deux amants.
La communication verbale et non verbale (c’est-à-dire ici musicale) ne peut exister qu’entre les deux, parce que leurs regards se sont croisés, regardés et se sont tout dit, sans un mot. Là s’est exprimée la « volonté » au sens de Schopenhauer.

Le tout se passe dans une ambiance exclusivement nocturne, même le deuxième acte, paradoxalement le plus éclairé alors qu’il se déroule dans la nuit est éclairé à la lumière de torches, jamais le jour ne paraît, parce que la nuit est le royaume du vrai. Le monde de Schopenhauer est d’un côté un monde d’apparences, de représentations (le monde de Marke et de tous les autres) et de l’autre le monde des vérités, immuables, le monde de la volonté. En cela il n’est pas éloigné de Platon. Wagner traduit cela comme le monde du jour et celui de la nuit. Et Tristan et Isolde ne peuvent qu’être dédiés à la nuit. Le jour reste alors le monde de la représentation et de l’illusion, « le monde du monde » dans lequel Tristan et Isolde ne peuvent échanger, sinon clandestinement, fugitivement, et en quelque sorte « vulgairement ». En revanche, ils sont « seuls dans la nuit » qui est leur monde, celui de la révélation et de la vérité. Leur duo d’amour du deuxième acte commence par

O sink hernieder, Nacht der Liebe
En même temps, la nuit est un des thèmes forts de la poésie du XIXe, il suffit de rappeler parmi bien d autres les Hymnes à la nuit de Novalis (1833) ou les Nuits de Musset (1837) et bien d ‘autres. Ici se mêlent des thématiques philosophiques empruntées à Schopenhauer, et ce qu’il faut bien appeler des clichés de la poésie romantique de l’époque. Wagner est aussi dans son temps et dans le monde.

Nous avions qualifié le décor du deuxième acte l’an dernier comme un bric-à-brac à la « Louis la Brocante » où semblait avoir été jetée toute la mémoire des hommes, ses réalisations artistiques (mais pas seulement), les « représentations » (un mot schopenhauerien), statues antiques, tableaux de Caspar David Friedrich etc… comme si Tristan und Isolde n’étaient pas des vies mais des figures destinées à devenir art, discours, poème ou « Handlung », mais surtout pas chair et os, surtout pas incarnés.
La désincarnation doit être structurelle dans ce travail. Ce qui évidemment rend la dramaturgie problématique.

Andreas Schager (Tristan), Camilla Nylund (Isolde).

J’ai eu cette année une autre idée, née de l’Egypte. J’ai pensé, allez savoir pourquoi, à ces tombes égyptiennes de Pharaons où l’on entreposait tout une vie d’objets et de symboles pour entourer la momie du roi. Il y a dans ce décor monumental, par son côté bric-à-brac justement, mais aussi par sa forme en coque de navire (symbole de parcours, n’oublions pas la barque des morts de ces mêmes égyptiens) quelque chose d’un grand tombeau d’humanité, d’un bric-à-brac qui est en même temps trésor, sublimation, ce qui restera quand tout sera oublié enfoui et disparu, au sens grammatical du temps grec qu’on appelle le parfait, qui exprime un procès passé avec des effets dans le présent. Un immuable, qui est mort et en même temps vie.

Jordan Shanahan (Kurwenal), Günther Groissböck (Marke), Andreas Schager (Tristan), Camilla Nylund (Isolde), Alexander Grassauer (Melot), Ekaterina Gubanova (Brangäne).

Tristan et Isolde ne vivent que parce qu’ils se veulent morts, et Tristan en fin de deuxième acte, plutôt que de rentrer dans la bagarre avec Melot, qui serait une concession insupportable au monde, se détourne et boit le philtre de mort, pour rejoindre ce « Nirvana » schopenhauerien, seule possibilité.

Il n’y a pas de lieux précis dans cette mise en scène, mais des espaces d’évocation, des traductions visuelles d’espaces mentaux : le troisième acte n’est pas Karéol, non plus que le deuxième la Cornouaille, la coque du deuxième acte est éventrée en morceaux divers au troisième, plus rien ne tient, tout est processus mental et si Isolde parle au premier acte, c’est Tristan qui au troisième prend la parole, dans l’océan de la tristesse de son existence seule existe Isolde, seule existe le regard.
Puisque le philtre de mort est bu dès le deuxième acte, peu importe qu’Isolde vienne « vraiment » ou non, on se trouve dans l’épiphénomène, dans l’anecdotique, dans le conte triste. Tristan a bu le philtre pour s’abstraire, pour devenir figure, pour que son voyage ‑errance s’arrête et il est revêtu lui aussi d'un habit qui porte "leur texte".

Andreas Schager (Tristan).

Il lui suffit d’imaginer, de construire ce récit de retrouvailles, c’est ce que Ponnelle en 1981 avait si génialement rendu.
Quand Isolde arrive, elle se trouve en fait exactement dans la situation de Tristan au deuxième acte, au milieu d’une bagarre, au milieu du monde, au milieu de ce qu’elle ne peut plus vivre ou accepter. La fin est – en termes de résultat, un carnage puisque Melot et Kurwenal s’entretuent, avec un Marke cette fois compréhensif, mais toujours impuissant et en dehors du coup, comme Brangäne. Ce sont ces personnages de nievau moindre qui ne peuvent accéder au tragique, comme Œnone face à Phèdre.
La Liebestod prend alors tout son sens : au tour d’Isolde de s’abstraire, de mourir dans sa robe-texte, de s’envelopper dans son mythe et dans son abstraction. L’amour-désir est alors transcendé, Isolde et Tristan ne sont plus des ombres dans la caverne ou des personnages du théâtre, ils sont devenus entités.

Voilà une vision théâtralement difficile à traduire, abstraite, absconse, mais défendable au nom d’un théâtre de la complexité, moins cathartique que les délires de Sar Péladan ne le décrivaient à la fin du XIXe (les amants s’aimant bruyamment au centre du Festspielhaus au deuxième acte de Tristan), exactement ce que dénonce Schopenhauer de l’amour comme mécanisme de désir et exclusivement sexuel.

Ce théâtre de « traduction mentale » est un défi, qui désarçonne, mais qui à la deuxième vision force à entrer à la fois dans la production, mais aussi dans ce qu’en général on évite, à savoir les racines philosophiques immédiates de l’œuvre. Et notamment Schopenhauer. Thorleifur Örn Arnarsson nous rappelle que le théâtre n’est jamais illustration plate, que l’art est difficile (L’art c’est beau mais c’est du boulot, disait Karl Valentin), et que Tristan und Isolde, tout particulièrement va bien au-delà des extases convenues pour spectateurs de passage. Il nous rappelle aussi que Bayreuth peut oser ce que les théâtres ne peuvent pas oser. Et c’est pour cela qu’on aime ce lieu.

Les aspects vocaux et musicaux 

Les voix

Comme l’an dernier, on reste frappé par l’excellence des petits rôles, aussi bien Daniel Jenz, toujours aussi maîtrisé, plein de poésie et de douceur presque éthérée dans le pâtre, et Matthew Newlin dont on connaît la qualité, la beauté du timbre,  la précision et presque sous distribué en Junger Seeman.
Comme il est très rare d’entendre un très bon Melot, soulignons la performance d’Alexander Grassauer nouveau venu sur la Colline, au timbre expressif, au phrasé impeccable, à la musicalité réelle et à la présence scénique marquée.
En Marke, nous retrouvons Günther Groissböck, bien plus convaincant que l’an dernier. La voix n’a plus d’accidents, elle a retrouvé sa ligne, ses qualités expressives, sa profondeur, qui convient très bien au personnage qu’il incarne. C’est un Marke plus vif, moins « patriarche » que d’autres et surtout plus impliqué dans le drame. Vraiment, retrouver Groissböck dans une prestation aussi accomplie fait plaisir et il reçoit d’ailleurs une grande ovation.

Jordan Shanahan (Kurwenal).

Nouveau venu en Kurwenal, Jordan Shanahan. On retrouve le timbre velouté, le phrasé ciselé, le sens du discours, en bref les qualités qui font déjà de lui un des wagnériens qui compteront. Mais justement, il a un peu en tant que personnage le défaut de ses qualités. C’est un Kurwenal au premier acte notamment, un poil trop aristocratique. Le rôle est particulièrement délicat parce qu’il demande aussi un peu de brutalité bourrue, que la voix et le style très élégant de Shanahan n’ont pas. Aussi est-il plus convaincant au troisième acte, où la situation tragique demande là une expressivité et une sensibilité plus grandes. Au total cependant la prestation justifie largement l’énorme succès remporté.

Face à lui, la Brangäne très éprouvée d’Ekaterina Gubanova, un rôle qu’elle chante depuis de nombreuses années : je l’entendis pour la première fois à Munich en 2011 dans la production de Peter Konwitschny. Ses qualités sont éminentes : présence scénique, engagement dans les mises en scènes, personnalité forte, mais aussi très beau phrasé, soin tout particulier de la diction et de la couleur. Une grande artiste à n’en point douter.
Mais comme dans Kundry quelques jours avant, la voix accuse quelque fatigue (elle a été malade en juillet) et on ne la retrouve pas au sommet de ses possibilités. Mais elle a dans tous ses rôles une humanité que même la fatigue ne lui ôte pas.

Andreas Schager (Tristan).

Andreas Schager est un Tristan qui remporte à Bayreuth l’ovation habituelle tant il y est aimé. J’ai écrit suffisamment souvent sur son Tristan quelquefois très contrôlé (avec Barenboim…) quelquefois bien moins pour reconnaître les qualités de résistance de cette voix aux grandes possibilités, aux aigus triomphants et au timbre assez séduisant. L’an dernier il était arrivé au bout du rôle avec peine, frappé d’épuisement et s’égosillant . Ce n’est pas le cas cette année, où il propose un Tristan vocalement sans failles, étonnant de puissance. Il lui manque toujours ce raffinement et ce souci du texte qu’on entend (ou qu’on a entendu) chez d’autres notamment au troisième acte. S’il pouvait dompter sa fougue et plonger dans le texte et le personnage de manière moins emballée, il serait un Tristan merveilleux, ce qu’il n’est pas, même s’il est l’un des Tristan inévitables aujourd’hui. Mais Il faut saluer cette année un Andreas Schager moins hsitrionique et plus contrôlé aussi bien dans Parsifal que dans Tristan.

Camilla Nylund (Isolde).

Camilla Nylund continue d’afficher au contraire une Isolde de grand style à la voix charnue, soucieuse de dire le texte avec une attention marquée, soucieuse de couleur, d’expression, sachant doser le volume et se réserver. C’est une Isolde « impressionniste », qui fait entendre tant de facettes du texte qu’elle émet avec un soin jaloux. C’est une chanteuse sûre, qui n’aborde jamais les rôles au hasard, appliquée et juste.  Ce n’est pas une Isolde à décibels même si toutes les notes sont chantées avec une parfaite honnêteté et exactitude, mais ce n’est pas une Isolde fragile, elle a une solidité intrinsèque qui garantissent une prestation au-delà de toute éloge.
C’est plutôt l’équilibre vocal du couple qui pèche un peu. On a dit plus haut que Tristan était « dépressif », un adjectif qui sied peu à l’interprétation de Schager. On a l’impression plutôt que c’est Isolde qui psychologiquement est plutôt à l’ombre de ce Tristan monumental. C’est évidemment une impression, mais avec un autre partenaire, je pense qu’elle serait plus « valorisée «   en quelque sorte. Il reste que sa Liebestod, éthérée, dite avec une clarté incroyable, émouvante, restera dans les mémoires.

Camilla Nylund (Isolde).

Saluons enfin la courte prestation du chœur, dirigé par Thomas Eitler de Lint, clair précis, engagé en fin de premier acte.

La direction musicale

Si j’avais émis quelques réserves l’an dernier sur la direction de Semyon Bychkov, j’ai trouvé cette année un orchestre particulièrement charnu, particulièrement lyrique aussi, mais toujours présent aux moments plus dramatiques. Jamais les chanteurs ne sont couverts, et toujours sont privilégiés les arcs musicaux larges, les respirations, les rythmes qui accompagnent l’action sans volonté de complaisance ni de recherche à tout prix de l’ivresse sonore, mais avec une attention à l’évolution des choses, un premier acte au total assez urgent, un second acte particulièrement lyrique et un troisième acte assez déchirant avec notamment un magnifique prélude. Au total, ce qui est privilégié c’est une certaine fluidité, qui garde au rendu son épaisseur, mais ne sacrifiant jamais la limpidité. Un travail qui impose le respect et ne trahit jamais la mise en scène, privilégiant l’intériorité sans pourtant ralentir les tempi ou être dans la lourdeur. Une vraie direction de Gesamtkunstwerk, qui lui vaut une grande ovation finale.

 

J’ai toujours une grande émotion en entendant Tristan à Bayreuth, car ce fut en 1977 la première œuvre que j’y entendis – et c’était aussi mon premier Tristan en absolu (Prod. Everding, direction Horst Stein, avec Ligendza, Wenkoff, Minton, Ridderbusch, et en Junger Seeman, un certain Siegfried Jerusalem). C’est presque automatique, l’accord initial que j’entends se superpose avec mon premier souvenir de cette salle qui a changé ma vie : Bayreuth, c’est sans cesse Le temps retrouvé.
Je l’ai déjà écrit, Tristan reste assez bien servi à Bayreuth musicalement et scéniquement et cette production malgré la surprise initiale, tient la route si on admet que Tristan n’est pas une histoire d’amour romantique pour couple à selfies, mais un entrelacs complexe où musique, philosophie littérature forment ensemble une danse presque macabre, c’est le cas ici où Θάνατος / Thánatos semble largement l’emporter sur Ἔρως / Érōs).

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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