Le lecteur est invité à consulter notre compte-rendu du Barbiere de la saison 2023/2024 pour plus de détails.
Il est toujours intéressant de revoir une production pour vérifier qu’elle tient dans la durée, reste pertinente ou prend de nouvelles teintes au regard d’œuvres en cours. C’est d’autant plus vrai ici que Linus Fellbom et son équipe se sont vus confier une production des Nozze cette saison et d’un Figaro divorce pour la prochaine. Le Barbier fait donc office de donnée de base et plus précisément de boîte-origami qu’on observera sous toutes ses facettes comme un Rubik’s Cube… ou un manteau d’Harlequin.
Dès l’ouverture, on retrouve ce qui fait le charme et la beauté de la production : cette nudité du plateau, largement ouvert sur les cintres et d’où devra émerger l’illusion théâtrale dans son acceptation la plus stricte, quasi antique. À savoir une absence de décor, ou du moins ici un décor qui ne cache pas ce qu’il est, une boîte à malice, et quelques masques bien connus, ici ceux de la commedia dell’arte. À moins que ce ne soit l’art de la comédie.
Pour jouer sur la magie de l’illusion théâtrale, Fellbom utilise ses superpouvoirs, à savoir la lumière qui sculpte les espaces. Notamment lors de l’ouverture, avec ce brouillard qui dès le lever du rideau envahit le public, le plongeant dans le rêve. Avec ce soupçon de déception de découvrir les cintres à nu. Puis de remarquer le trou béant sur scène (était-il là, déjà?) d’où émergera la maison-foyer-cage, omni présente, menaçante (elle bouge un peu partout sur scène et se rapproche dangereusement du public), avant d’être découverte de son voile vert qui apparait gris-bleu d’ailleurs : toujours dans l’indécision et le jeu des lumières vraiment fines.

C’est finalement ce qui, à cette deuxième vision, reste le plus marquant dans cette production. Certes, on reste amusé par les jeux scéniques, les pitreries d’Almaviva en Alonso, les images arrêtées lors de l’irruption de la Forza, les apparitions et sorties des personnages dans les multiples ouvertures (elles-mêmes démultipliées lors de l’évacuation de Bartolo) mais on est davantage captivé par les jeux de lumières subtils qui inondent et sculptent la scène, omme ce spot bleu à droite, lunaire pendant la sérénade et l’arrivée au balcon, ou ce groupe rouge orangé à droite, solaire mais démultiplié, comme un amalgame, et qui peut se révéler aussi lumière tombante, blafarde de réverbère. On apprécie également les scènes éclairées dans une sorte de bichromie à la 3D balbutiante (rouge/vert), pour donner un étrange relief ici ou là.
Et toujours cette dichotomie : créer l’illusion la plus parfaite et révéler sa fabrication sans fard. D’où la fascination du spectateur, quasi enlevé de son regard de théâtreux pour le replacer dans celui d’amateur d’arts plastiques.

Autre plaisir, celui de voir, rétrospectivement, à quel point ce Barbier, chef d’œuvre comique, est aussi une comédie noire-grise de mâle en quête d’oiselle qui se lie à l’histoire de son passé-futur : à savoir la folie de Mozart mais aussi Le Mariage de Figaro et les révolutions qui tournent en re-prise en main bourgeoise, avec toujours donc au centre du jeu, la génération, la famille, la Maison. D’où ce côté gris, qui contraste d’autant avec les Nozze de Fellbom qui sont une montée en gamme chromatique (l’habit de Figaro se colorise au fur et à mesure dans les Nozze pour s’opposer aux nuances de gris de la troupe du Barbiere, mention spéciale pour Almaviva, déjà quasi noir, anthracite du moins).
Tout est bien qui finit bien ? Non, c’est juste une reconfiguration, avec, comme dans Le Guépard de Lampedusa popularisé par Visconti, la noblesse qui triomphe (avec l’aide de l’argent omni-présent dans le Barbiere et si nécessaire dans les Nozze) et les femmes qui luttent… pour préserver un semblant de liberté. « Tout changer pour que rien ne change ».

Évidemment on est un peu déçu de cette reprise qui flamboyait avec le Figaro de Luthando Qave, le comte Almaviva de Konu Kim et la Rosina de Daria Savinova, qui devaient sans doute bénéficier du travail direct avec le metteur en scène.
On est toujours séduit par les rôles de Bartolo (John Erik Eleby) et Basilio (Kristian Flor) faits pour leurs interprètes, on l’a dit : bien joués, bien dits, avec des voix adaptées et qui portent. Un peu plus de réserve ce jour-là pour Radoslaw Rzepecki en Fiorello, qu’on a trouvé un peu en deçà de sa prestation de l’an passé mais la scène est un art de l’instant et on a des jours avec et des jours sans.
L’Almaviva de César Cortés (également à Lille cette saison) charme par sa présence et ses couleurs avec une projection satisfaisante mais il n’efface par Konu Kim dans le même rôle, qui ajoutait une dose d’ironie farcesque au personnage, avec des sourires forcés et une quête de l’assentiment du public. Ici on est un peu trop près d’Almaviva et on voit donc moins l’acteur jouant Almaviva. On apprécie néanmoins son ironie dans la sérénade avec un « Olé ! » personnel bienvenu !
Le Figaro du baryton polonais David Roy n´égale pas la folie Little Richardesque de Luthando Qave mais s’en sort assez bien pour l’ironie avec un jeu assez outré qui fait ressortir le côté acteur de la commedia dell’arte jouant Figaro, avec des sourires entendus, qui vont chercher la complicité du public en bon cabotin de scène. Le timbre est beau et la voix agile mais peut-être pas autant qu’on pourrait le souhaiter pour une interprétation définitive. Mais tant que la scène prime, ça va.

Enfin c’est la Rosina de Johanna Rudström qui nous emporte par son sens du jeu fin, des mimiques constantes (notamment pendant les barbonneries de Bartolo) et bien à propos. Elle est le centre du jeu, la production la voit comme cela, et elle est clairement au-dessus du lot de ses petits camarades. Projection parfaite, aigus scintillants, diction précise, un joli timbre. Elle est l’atout de cette reprise comme elle l’était dans le Don Giovanni de Michael Cavanagh de la saison 2023/2024 (lire notre compte-rendu).
Tobias Ringborg succède à Vincenzo Milletari dans la même production, qui nous avait laissé (hélas?) de magnifiques souvenirs et dirige sans surprises l’orchestre. Mais il fait des étincelles au pianoforte, avec un jeu assez dur qui permet de noircir le ton et de grisailler l’ensemble qui, sans cela, sentirait trop le sucre.
En conclusion, une belle soirée de répertoire pour une production qui tient la route et fascine encore pour son esthétique.