La note d'intention commence comme un film noir : "1647 : une troupe de chanteurs vénitiens se trouve à Paris, appelée par Mazarin pour y donner l’Orfeo de Rossi. Quelques semaines après leur arrivée, l’un des chanteurs de la troupe fait savoir à son protecteur en Italie que « la préparation de l’Orfeo ayant souffert de multiples retards, la troupe va finalement présenter, à l’improviste, Il Nerone ». Ce Nerone n’était autre que… Le Couronnement de Poppée." Si l'un des deux manuscrits conservés de la partition porte ce titre, aucun n'est conforme à l'intégralité du livret de Giovanni Busenello, notamment par la suppression d'une scène et l'ajout du célèbre (mais apocryphe) duo final "Pur ti miro" que Vincent Dumestre a souhaité intégrer ici à la fin de l'Acte II, en le modifiant en "Partiamo". Au final, même adapté et réduite à trois heures avec entracte, cette nouvelle version du Couronnement de Poppée ne surprendra guère.
Dans une lettre de janvier 1647, le chanteur Stefano Costa explique le retard pris par les représentations de l’Orfeo de Rossi et la décision de donner Il Nerone dans un mystérieux "piccolo teatro senza macchine" dont on peine aujourd'hui à retrouver la trace. C'est peut-être pour suivre ces indications à la lettre que la scénographie que présente Alain Françon à l'Athénée fait le choix d'une épure assez radicale, concentrant sur les seuls chanteurs tout l'intérêt du spectateur. L’absence de machines se traduit par une absence quasi-totale d'effets et de jeu d'acteur, réduisant a minima les déplacements et abandonnant en scène des personnages chantant invariablement de face avec des gestes et des poses de convention. La nudité du plateau est soulignée par des éléments limités à un canapé Louis-Philippe, un buste doré de Néron et fugitivement, l'anonyme "Sabina Poppaea" (1560) peinture de l'école de Fontainebleau. Pour le reste, il faudra se contenter d'une simple alternance de toiles de fond signés Jacques Gabel, entre motifs abstraits façon Blooming de Cy Twombly jusqu'à ce détail détaché en gros plan du magnifique jardin peint à fresque dans le nymphée souterrain de la villa Livia à Rome. Maigre réjouissance pour l'œil que ces feuillages agités par le vent qui tranchent résolument avec la raideur amidonnée d'une scène qui vire parfois au burlesque (involontaire ?) quand débarque Arnalta travestie en ménagère des années 1950 ou Ottone neurasthénique et dépressif. Les costumes de Marie La Rocca souligne les caractères sans vraiment décoller d'une convention dans laquelle la Fortune est en robe à lamé doré, l'amour en diablesse couleur magenta, Nerone en complet exubérant et brodé qui tranche avec un dress-code très toge et sandalettes. L'immense rideau doré qui sépare le proscenium du fond du plateau est régulièrement fermé et déployé en guise de changement de scènes.
Dans la fosse de l'Athénée, Vincent Dumestre a placé un orchestre réduit à huit instruments à cordes du Poème harmonique : violons, viole de gambe, harpe, théorbe et clavecin. Si la projection et la netteté sont parfaitement proportionnés au lieu et à la projection du plateau, l'ensemble peine à convaincre – en raison d'un accord général à la justesse fuligineuse qui crée une nappe musicale sans aspérité ni relief sur laquelle semblent flotter précautionneusement les voix. Le contre-ténor Fernando Escalona campe un Nerone rendu visuellement assez pénible par la multiplication des grimaces et œillades mais qui, vocalement trouve un équilibre et un abattage de bon aloi dans les changements de registres. L'Ottone de Léopold Gilloots-Laforge est plus nuancé de ton mais sans les angles et la palette qui lui permettrait de donner efficacement du relief au personnage. La mezzo Marine Chagnon emporte la palme de la soirée, avec une voix qui maîtrise l'alternance entre sensualité et déploration – très précise dans le phrasé et la projection. Sa rivale Octavia est interprétée par la très sage Lucie Peyramaure, attentive à ne pas saturer les aigus et concentrée dans un Addio Roma hélas neutralisé vocalement par l'absence de toute direction d'acteur. La caractérisation ne manque pas au Sénèque d'Alejandro Baliñas Vieite qui parvient par la noblesse du timbre et du volume à faire oublier les encombrants bouquins dont il est affublé. Léo Fernique se prête au jeu d'une Arnalta à la fois bouffe et prude tandis que Lise Rougier et Martina Russomanno assurent de belle façon les rôles doubles de la Nourrice et la Vertu pour l'une, la Fortune et Drusilla pour l'autre. Les impeccables Thomas Ricart et Léo Vermot-Desroches se distinguent en familiers de Sénèque et soldats, avec une mention spéciale pour Yiorgo Ioannou en Mercure et l'élégante Kseniia Proshina, passant du costume de l'Amour à celui de Valet façon groom d'hôtel avec une aisance en scène et un phrasé virevoltant.