L’un des charmes du Musée des Confluences, c’est qu’on ne peut jamais être tout à fait certain de ce que l’on va trouver dans ses expositions. Née de la fusion de plusieurs institutions bien différentes – le muséum d’histoire naturelle, le musée Guimet, le musée colonial et les collections de l’Œuvre de la propagation de la foi – l’institution qui fête cette année sa première décennie d’existence s’appuie sur cet ensemble hétéroclite pour évoquer, dans sa présentation permanente, la diversité du monde naturel et des sociétés humaines. Sa programmation d’expositions temporaires s’appuie sur des prêtes de toutes sortes pour élargir encore le propos, d’où la surprise qui guette à chaque fois le visiteur.
L’exposition consacrée au rêve se montre ainsi en partie conforme aux attentes que peut susciter un tel sujet traité dans un tel lieu, mais elle l’aborde aussi sous des angles moins prévisibles et propose des pistes de réflexion en donnant beaucoup à lire et à entendre en plus de ce qu’elle offre à voir : aux objets d’art, aux images fixes ou mobiles, se joignent en effet toutes sortes de documents écrits ou sonores, à déchiffrer sur les murs ou à écouter, confortablement installé dans un des larges fauteuils qui jalonnent le parcours.
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Tout commence par une interrogation sur ce qui pourrait être la spécificité humaine du rêve : à défaut de conscience (encore que…) et surtout faute de moyen de communiquer un possible vécu de l’imagination pendant le sommeil, les animaux ne peuvent nous faire savoir s’ils rêvent, là où l’humain a, lui, la conscience de rêver et la capacité de transmettre le contenu de ses visions nocturnes. La vidéo introductive montre un poulpe changer de couleur lorsqu’il dort : serait-ce l’indice qu’il rêve ? La première salle aborde les différences qui opposent sommeil humain et sommeil animal, certaines espèces ayant la faculté de ne dormir que dans une seule de leurs hémisphères cérébraux. Et l’on apprend aussi que certains humains pratiquent une forme de rêve volontaire et conscient, là où tant d’autres oublient les leurs sitôt réveillés…
Le rôle des rêves dans l’Antiquité est présenté avec « l’incubation », sommeil cultivés par les cultes religieux censément porteurs de prophéties, avec notamment le temple d’Asclépios/Esculape, où l’onirique rejoint la médecine. Outre le moulage d’un fragment de cet édifice, et une jolie toile académique (Offrande à Esculape, peint en 1873 par Gendron), cet aspect est évoqué par la projection d’images d’un jeu vidéo, « Discovery Tour : Ancient Greece », dont l’une des étapes reconstitue justement le temple situé à Epidaure, et son abaton où se déroulaient les rites oniriques.
Egalement attendue dans un musée où l’ethnographie tient une place importante, la salle consacrée aux rêves dans différentes cultures du monde inclut bien sûr des « capteurs de rêve » amérindiens, des peintures aborigènes (où le mot « rêve » figure généralement dans le titre), et une évocation des effets de l’ayahuasca, breuvage hallucinogène d’Amazonie, mais aussi une étonnante collection d’appuie-nuque provenant de plusieurs continents : certains objets représentent explicitement les êtres peuplant les rêves qui occuperont la tête posée sur cet élément de mobilier.
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Avec la salle dévolue au regard des artistes, on pourrait se trouver dans n’importe quel musée d’art, puisque défilent aussi bien les rêves dans la mythologie et dans la Bible que ceux du romantisme (esquisse d’Ingres pour le Songe d’Ossian) et du symbolisme (Odilon Redon). Le surréalisme ayant fait du rêve un procédé créatif plutôt qu’un simple thème, on retrouve ici des œuvres forcément semblables à celles de la grande exposition que le Centre Pompidou consacre cet automne à ce moment centenaire. Et des œuvres plus récentes complètent ce tour d’horizon, comme les étonnants Dream Objects ou Dream Drawings de l’Américain Jim Shaw. On admire au passage une superbe planche dessinée de Little Nemo in Slumberland, l’œuvre de Winsor McCay étant entièrement fondée sur le rêve et sa logique (ou son absence de logique). Deux installations occupent aussi une place centrale dans cette partie de l’exposition. Intitulée My bed a raft, the room the sea, and then I laughed some gloom in me, la première est due à Hans Op de Beeck et se situe entre Ophélie et Alice au pays des merveilles, avec sa fillette endormie sur un lit-radeau, un livre à la main. L’autre naît de la rencontre entre une œuvre d’hier et une vidéo d’aujourd’hui : inspirée par le même Rolla de Musset dont Gervex tira un grand nu réaliste aujourd’hui au musée d’Orsay, Marie de Rolla du plus obscur sculpteur nommé Girardin (1858–1899) est une sculpture en plâtre beaucoup plus chastement drapée mais qui est ici complétée par des images évoquant les rêves sulfureux qui peuvent s’emparer de la belle endormie.
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Parler de la « clé des songes » et de l’interprétation freudienne des rêves était bien sûr inévitable : on retrouve au passage, parmi les vidéos présentées, le même extrait de La Maison du docteur Edwards d’Alfred Hitchcock, la séquence conçue par Salvador Dali ayant aussi été retenue par les commissaires de l’exposition surréaliste du Centre Pompidou.
Le dernier grand espace que traverse le visiteur est en revanche beaucoup plus inattendu. Après une vitrine de réveils, on découvre en effet toute une série de récits de rêve retranscrits sur les murs : rêves de pionniers de leur notation dès la première moitié du XIXe siècle, mais aussi rêves de « poilus » pendant la Première Guerre mondiale, de détenus dans les prisons d’aujourd’hui ou de « confinés » lors de la récente pandémie de Covid. Outre ces nombreux textes proposés à la lecture, on peut aussi voir quelques films reposant sur l’exploitation de contenus oniriques. C’est le cas de Yume (« rêves » en japonais), l’un des derniers films d’Akira Kurosawa, sorti en 1990. C’est aussi le cas d’un inénarrable court-métrage publicitaire d’une dizaine de minutes, commandé en 1956 par la General Motors pour mettre en avant ses différents modèles, « Design for Dreaming » : peut-être inspiré par la fameuse séquence onirique de Chantons sous la pluie (1952), le réalisateur Victor D. Solow y montre le rêve d’une jeune femme transportée dans le monde magique des automobiles, en un éloge très daté du consumérisme et du « rêve américain ».
[Pas de catalogue, semble-t-il]