« Le temps d’un rêve ».
Musée des Confluences, Lyon, du 18 octobre 2024 au 24 août 2025Commissariat : Yoann Cormier, chef de projet ; Marie Perrier, référente pour les collections présentées. Comité scientifique : Jacqueline Carroy, historienne, spécialiste de l’histoire culturelle et sociale de la psychologie et des rêves ; Perrine Ruby, chercheuse en neurosciences cognitives ; Albert Constant-Piot, anthropologue 
Visite individuelle le 11 décembre, entrée et dossier de presse fournis par l’agence l’Observatoire, qui gère les relations presse du musée

La part des rêves dans nos vies et nos cultures, vaste sujet que le musée des Confluences aborde avec son habituelle pluralité d’approches : onirologie de tous les continents et de tous les temps, conceptions traditionnelles et scientifiques, présence dans la création artistique comme dans la réalité quotidienne. De quoi prolonger le questionnement du prince Hamlet dans son célèbre monologue…

 

L’un des charmes du Musée des Confluences, c’est qu’on ne peut jamais être tout à fait certain de ce que l’on va trouver dans ses expositions. Née de la fusion de plusieurs institutions bien différentes – le muséum d’histoire naturelle, le musée Guimet, le musée colonial et les collections de l’Œuvre de la propagation de la foi – l’institution qui fête cette année sa première décennie d’existence s’appuie sur cet ensemble hétéroclite pour évoquer, dans sa présentation permanente, la diversité du monde naturel et des sociétés humaines. Sa programmation d’expositions temporaires s’appuie sur des prêtes de toutes sortes pour élargir encore le propos, d’où la surprise qui guette à chaque fois le visiteur.

L’exposition consacrée au rêve se montre ainsi en partie conforme aux attentes que peut susciter un tel sujet traité dans un tel lieu, mais elle l’aborde aussi sous des angles moins prévisibles et propose des pistes de réflexion en donnant beaucoup à lire et à entendre en plus de ce qu’elle offre à voir : aux objets d’art, aux images fixes ou mobiles, se joignent en effet toutes sortes de documents écrits ou sonores, à déchiffrer sur les murs ou à écouter, confortablement installé dans un des larges fauteuils qui jalonnent le parcours.

 

ILL. 1 Néréide ou Aura, acrotère ouest-nord du fronton ouest du temple d’Asclépios au Hiéron d’Épidaure, plâtre réalisé entre 1903 et 1911, Musée des Moulages de l’université Lumière-Lyon 2 © MuMo, Claude Mouchot, 2010

Tout commence par une interrogation sur ce qui pourrait être la spécificité humaine du rêve : à défaut de conscience (encore que…) et surtout faute de moyen de communiquer un possible vécu de l’imagination pendant le sommeil, les animaux ne peuvent nous faire savoir s’ils rêvent, là où l’humain a, lui, la conscience de rêver et la capacité de transmettre le contenu de ses visions nocturnes. La vidéo introductive montre un poulpe changer de couleur lorsqu’il dort : serait-ce l’indice qu’il rêve ? La première salle aborde les différences qui opposent sommeil humain et sommeil animal, certaines espèces ayant la faculté de ne dormir que dans une seule de leurs hémisphères cérébraux. Et l’on apprend aussi que certains humains pratiquent une forme de rêve volontaire et conscient, là où tant d’autres oublient les leurs sitôt réveillés…

Le rôle des rêves dans l’Antiquité est présenté avec « l’incubation », sommeil cultivés par les cultes religieux censément porteurs de prophéties, avec notamment le temple d’Asclépios/Esculape, où l’onirique rejoint la médecine. Outre le moulage d’un fragment de cet édifice, et une jolie toile académique (Offrande à Esculape, peint en 1873 par Gendron), cet aspect est évoqué par la projection d’images d’un jeu vidéo, « Discovery Tour : Ancient Greece », dont l’une des étapes reconstitue justement le temple situé à Epidaure, et son abaton où se déroulaient les rites oniriques.

Egalement attendue dans un musée où l’ethnographie tient une place importante, la salle consacrée aux rêves dans différentes cultures du monde inclut bien sûr des « capteurs de rêve » amérindiens, des peintures aborigènes (où le mot « rêve » figure généralement dans le titre), et une évocation des effets de l’ayahuasca, breuvage hallucinogène d’Amazonie, mais aussi une étonnante collection d’appuie-nuque provenant de plusieurs continents : certains objets représentent explicitement les êtres peuplant les rêves qui occuperont la tête posée sur cet élément de mobilier.

 

ILL. 2 Jean-Auguste-Dominique Ingres, étude pour Le Songe d’Ossian (1813), mine de plomb sur calque. Musée Ingres, Montauban © Musée Ingres, Montauban – Photo Marc Jeanneteau

Avec la salle dévolue au regard des artistes, on pourrait se trouver dans n’importe quel musée d’art, puisque défilent aussi bien les rêves dans la mythologie et dans la Bible que ceux du romantisme (esquisse d’Ingres pour le Songe d’Ossian) et du symbolisme (Odilon Redon). Le surréalisme ayant fait du rêve un procédé créatif plutôt qu’un simple thème, on retrouve ici des œuvres forcément semblables à celles de la grande exposition que le Centre Pompidou consacre cet automne à ce moment centenaire. Et des œuvres plus récentes complètent ce tour d’horizon, comme les étonnants Dream Objects ou Dream Drawings de l’Américain Jim Shaw. On admire au passage une superbe planche dessinée de Little Nemo in Slumberland, l’œuvre de Winsor McCay étant entièrement fondée sur le rêve et sa logique (ou son absence de logique). Deux installations occupent aussi une place centrale dans cette partie de l’exposition. Intitulée My bed a raft, the room the sea, and then I laughed some gloom in me, la première est due à Hans Op de Beeck et se situe entre Ophélie et Alice au pays des merveilles, avec sa fillette endormie sur un lit-radeau, un livre à la main. L’autre naît de la rencontre entre une œuvre d’hier et une vidéo d’aujourd’hui : inspirée par le même Rolla de Musset dont Gervex tira un grand nu réaliste aujourd’hui au musée d’Orsay, Marie de Rolla du plus obscur sculpteur nommé Girardin (1858–1899) est une sculpture en plâtre beaucoup plus chastement drapée mais qui est ici complétée par des images évoquant les rêves sulfureux qui peuvent s’emparer de la belle endormie.

ILL. 3 Eucher Girardin, Marie de Rolla (1891), platre. Musée Crozatier, Le Puy-en-Velay © musée des Confluences – Bertrand Stofleth

Parler de la « clé des songes » et de l’interprétation freudienne des rêves était bien sûr inévitable : on retrouve au passage, parmi les vidéos présentées, le même extrait de La Maison du docteur Edwards d’Alfred Hitchcock, la séquence conçue par Salvador Dali ayant aussi été retenue par les commissaires de l’exposition surréaliste du Centre Pompidou.

Le dernier grand espace que traverse le visiteur est en revanche beaucoup plus inattendu. Après une vitrine de réveils, on découvre en effet toute une série de récits de rêve retranscrits sur les murs : rêves de pionniers de leur notation dès la première moitié du XIXe siècle, mais aussi rêves de « poilus » pendant la Première Guerre mondiale, de détenus dans les prisons d’aujourd’hui ou de « confinés » lors de la récente pandémie de Covid. Outre ces nombreux textes proposés à la lecture, on peut aussi voir quelques films reposant sur l’exploitation de contenus oniriques. C’est le cas de Yume (« rêves » en japonais), l’un des derniers films d’Akira Kurosawa, sorti en 1990. C’est aussi le cas d’un inénarrable court-métrage publicitaire d’une dizaine de minutes, commandé en 1956 par la General Motors pour mettre en avant ses différents modèles, « Design for Dreaming » : peut-être inspiré par la fameuse séquence onirique de Chantons sous la pluie (1952), le réalisateur Victor D. Solow y montre le rêve d’une jeune femme transportée dans le monde magique des automobiles, en un éloge très daté du consumérisme et du « rêve américain ».

 

[Pas de catalogue, semble-t-il]

 

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © MuMo, Claude Mouchot, 2010
© Musée Ingres, Montauban – Photo Marc Jeanneteau
© Musée des Confluences – Bertrand Stofleth

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