« Atala 1801, Voyage illustré au cœur d’un roman ».
Maison de Chateaubriand, Châtenay-Malabry, domaine départemental de la Vallée aux Loups, du 4 octobre 2024 au 28 septembre 2025.

Commissaire : Anne Sudre, directrice de la Maison de Chateaubriand

Exposition visitée le vendredi 4 octobre 2024 au matin

Si les maisons de Balzac et de Victor Hugo se trouvent en plein centre de Paris, celle de Chateaubriand exige de franchir le périphérique, mais la découverte du parc de la Vallée aux Loups mérite amplement le voyage, surtout quand s'y ajoute une exposition aussi stimulante que celle qui est actuellement consacrée au succès planétaire connu en son temps par Atala. Un siècle et demi d'oeuvres d'art inspirées par le roman, mais aussi d'objets du quotidien qui lui rendaient hommage.

Visitant la Galleria d’arte moderna de Turin, le touriste français s’étonne en découvrant la grande toile d’Andrea Gastaldi, intitulée Atala. Grâce à ses souvenirs du Lagarde et Michard, nul Cisalpin n’est censé ignorer l’Atala au tombeau de Girodet, dûment convoquée pour illustrer les pages Chateaubriand du volume XIXe siècle, mais en voyant l’œuvre exposée à Turin, le susdit touriste se dit : « Tiens, un Italien qui avait lu Atala. » Et en plus, un Italien qui s’inspira de ce roman non pas dans la première décennie de son siècle, mais en 1862 ! Sans doute quelque réminiscence isolée et atypique, pense le naïf touriste. Erreur totale que de croire la vogue d’Atala limitée à la France et à quelques années : la nouvelle exposition de la Maison de Chateaubriand vient nous prouver le contraire, en braquant ses projecteurs vers une véritable « Atalamania » dont les derniers soubresauts datent des années 1960 (et encore, il y a même une photographie de 2018 en fin de parcours).

C’est à l’âge christique de 33 ans qu’un hobereau breton sans le sou accéda tout à coup à la gloire et à une relative fortune, avec la parution de son premier roman, au titre exotique mais accompagné d’une explicitation prometteuse : « ou les amours de deux sauvages dans le désert ». Grâce aux descriptions des paysages américains encore mal connus, grâce à l’évocation des mœurs des tribus peuplant les rives du Mississipi (ou Meschacebé, selon la graphie retenue par l’auteur), Chateaubriand faisait souffler un vent de nouveauté sur les lettres françaises et offrait – malgré lui ? – au premier romantisme un ouvrage emblématique. En 1801, Atala est le livre qu’il faut avoir lu. Le succès est tel qu’il se traduit aussitôt par des piratages divers : « Si l’on ne contrefait que les bons ouvrages, je dois être content », écrit le romancier en novembre 1802, alors qu’un voyage à Avignon lui a permis de mettre la main sur diverses contrefaçons, hommages du vice à la vertu. De manière plus respectueuse, mais sans doute guère plus lucrative à une époque où le droit d’auteur n’existe pas, Atala fait l’objet de traductions dans toutes les langues européennes. Enfin, autre hommage, pratiqué de longue date, le roman est allègrement parodié, sous le titre d’Alala, ou sous forme de suite ironique, Résurrection d’Atala et son voyage à Paris, ou plus tard, jouant également sur l’Itinéraire de Paris à Jérusalem que le romancier avait fait paraître en 1811, un Itinéraire de Pantin au mont Calvaire […] ou lettres inédites de Chactas à Atala, ouvrage écrit en style brillant et traduit du bas-breton par M. de Chateauterne.

ILL. 1 Sarazin, horloger. Pendule Atala et Chactas, XIXe siècle, bronze doré (40 x 33 x 11 cm). Maison de Chateaubriand – Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups © CD92/Vincent Lefebvre

La première salle de l’exposition de la demeure de la Vallée aux Loups, où l’écrivain résida de 1807 à 1818, présente plusieurs exemplaires de ces ouvrages, et notamment des différentes éditions qui se succédèrent très rapidement, avec des modifications apportées au texte pour répondre aux critiques qu’il avait suscitées. Le parcours se conclura avec des volumes publiés un siècle et demi après l’apparition du roman, mais avant d’en arriver là, le visiteur découvre tout un univers qu’il ne soupçonne sans doute pas : sous l’Empire, il existait déjà un marketing très développé, qui se chargeait d’exploiter l’engouement du public en mettant en vente toutes sortes de « produits dérivés », du plus haut-de-gamme (opéra, peintures exposées au Salon) au plus trivial, comme ce service à dessert composé de douze assiettes « parlantes » car reproduisant des épisodes du roman, couvre-lit en toile de Jouy, prêté par le musée de Jouy-en-Josas, qui s’orne de grandes images représentants divers moments des amours d’Atala et de Chactas – en l’occurrence, on reconnaît la scène de l’orage, directement empruntée aux gravures de Duthé d’après Chasselet, visibles un peu plus loin.

Cela devient un jeu auquel peut se livrer le visiteur, qui pourra aussi relier telle illustration montrant Atala libérant Chactas captif et tel vase de porcelaine qui, vraisemblablement quelques décennies plus tard, « colorise » ladite gravure d’après Charles Motte. Les deux amants inspirèrent aussi des horloges (où l’Indien devient noir et couronné de plumes, par opposition à l’héroïne, métisse est donc digne d’être blanche, ou même blonde sur plusieurs représentations, bien que de père espagnol et de mère indienne), des papiers peints, des trumeaux décorés par un pinceau plus proche du Douanier Rousseau que des grandes maîtres, ou même une coquille d’huître perlière où un détenu du bagne de Nouvelle-Calédonie grave une reproduction de la toile récemment exposée par Nonclercq. Souvent, en effet, le trajet part du sommet de la hiérarchie (une peinture d’histoire représentant les obsèques d’Atala) pour aboutir à l’objet utilitaire, plateau à café ou autre, via la diffusion par la reproduction en noir et blanc.

 

ILL. 2 Louis Tiberghien (né en 1818). La veillée funèbre d’Atala, 1844–1846. Huile sur toile, (96 x 128 cm). Maison de Chateaubriand – Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups © CD92/Julien Garraud

On admire d’ailleurs que, malgré l’exiguïté des espaces qu’elle peut consacrer aux expositions, la Maison de Chateaubriand ait pu proposer une brillante évocation de la « grande peinture » inspirée par Atala. Le Louvre n’a pas prêté le Girodet, mais il est présent à travers une copie de format réduit, et surtout avec deux toiles qu’on ose à peine qualifier d’études tant elles sont abouties et ressemblent davantage à des doubles réalisés après coup, un buste d’Atala et un buste de Chactas qui seraient comme deux fragments découpés dans la grande toile. L’exposition nous rappelle qu’au Salon de 1808, il y eut deux Atala, celle de Girodet qu’a retenue la postérité, mais aussi celle de Pierre-Jérôme Lordon, aujourd’hui conservée à la Villa Carlotta de Tremezzo, près du lac de Côme : si l’on reprocha à Girodet d’avoir peint une morte trop belle pour être vraiment défunte, Lordon donne à la jeune fille une blancheur cadavérique alors même qu’elle reçoit la communion de la main du père Aubry. Mais il y eut des Atala bien après 1808, et également loin de Paris : élève de Delaroche, le Belge Louis Tiberghien en peignit vers 1845 une superbe version. En 1878, Auguste Raynaud livre L’Indien Chactas sur la tombe d’Atala, déplaçant l’intérêt du nu féminin très partiel vers un nu masculin bien plus suggestif ; il fut bientôt suivi par Gustave Courtois, désormais plus connu par la copie sur porcelaine qu’en réalisé Lévy-Dhurmer, mais dont la composition mérite le détour, avec son père Aubry surgissant de la tombe au premier plan ; et Henner imagina en 1895 une Atala entièrement nue (et sans doute rousse) derrière laquelle se dresse le buste encapuchonné du prêtre.

 

ILL. 3 François René de Chateaubriand, Atala. Illustrations de Maurice Lalau (1881–1961). Paris, Aux dépens d’un groupe de bibliophiles, 1932. Ouvrage tiré à 120 exemplaires sur vélin de Rives, (n°100). Maison de Chateaubriand – Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups © DR © CD92/Julien Garraud

On termine avec un siècle d’image destinée au livre, du Second Empire à l’après-Seconde Guerre mondiale. Gustave Doré inclut Atala dans son entreprise d’illustration des chefs‑d’œuvre de la littérature mondiale, mais il fut suivi par bien d’autres artistes, moins prestigieux mais non dénués de talent : Frédéric Régamey (frère de Félix, qui accompagna Emile Guimet dans ses voyages en Asie) ; Maurice Lalau, dont la stylisation et la palette restreinte se rapprochent de l’art d’un Edouard Marty ; l’esthétique Art Déco laisse des traces après 1945, par exemple chez Pierre Watrin ou chez le Catalan Louis Jou, apprécié des bibliophiles. Cette impressionnante série d’éditions illustrées se conclut avec les séduisants paysages de Peccadet, futur surréaliste, et les gravures sur cuivre de Camille-Paul Josso.

 

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © CD92/Vincent Lefebvre
© DR 
© CD92/Julien Garraud
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