Proust dévalant les escaliers de la Madeleine… voilà trois secondes filmées qui comblent les lacaniens et les lecteurs de Wanderer. Exhumées d'une archive datant de 1904, ces images montrent les invités au mariage d'Armand de Gramont avec Elaine de Greffulhe – fille de la célèbre comtesse Greffulhe qui inspira à l'écrivain le personnage d’Oriane de Guermantes. Cette apparition tranche sur une actualité saturée d'images prêtes à consommer. Un peu comme si le fantôme du divin Marcel s'invitait au débotté pour se rappeler à notre bon souvenir. Aussi étrange que cela puisse paraître, si l'objectif des appareils photo avait déjà saisi Proust, aucun cinématographe n'avait eu cet honneur. Il ne manquerait désormais qu'une archive sonore pour venir compléter ces images – chose d'autant plus probable que la voix de plusieurs amis de son entourage (à commencer par Reynaldo Hahn) nous est connue. Comme par prémonition, les scènes parisiennes ont rendu par deux fois hommage cette année à Marcel Proust. La dernière entreprise en date est signée de Yves-Noël Genod, emboîtant le pas à Krzysztof Warlikowski. Ce mois-ci, Wanderer mettra à l'honneur une autre grande figure de la littérature à l'occasion de la création mondiale de Trompe-la-Mort, un opéra signé de l'italien Luca Francesconi au Palais Garnier. Plusieurs entretiens avec des personnalités d'horizons différents viendront compléter une série d'interviews dans la lignée de la rencontre passionnante avec Michele Mariotti.
Justement, Michele Mariotti y évoque le temps où le théâtre en Italie était le lien de la cité avec le monde, où il faisait voyager la population, où le spectateur y trouvait ses sources d’information ; c’était un monde où l’on ne parlait sans doute pas de culture, elle était encore l’apanage de tous petits cercles. C'est pourquoi le rôle du théâtre était de diffuser. Et c’est encore vrai : combien de spectateurs de Warlikowski ont lu À la recherche du temps perdu ? Combien d’autres ont appris la bataille de Poltava (Ukraine) en écoutant ou regardant Mazeppa de Tchaïkovski et Pouchkine. Elisabeth de Valois serait-elle connue du public sans Don Carlos ? Comme l’église par les fresques murales apprend la Bible, le théâtre nous apprend l’histoire et quelquefois nous dit aussi comment va le monde.
Mais quelle horreur que de laisser le peuple ignare accéder à une culture ! Faisons confiance à Donald Trump pour faire cesser cette ignominie coûteuse. Il prévoit d'effectuer des coupes sombres dans le budget des institutions culturelles, au profit du ministère de la Défense ((https://www.nytimes.com/2017/02/19/arts/nea-cuts-trump-arts-reaction.html?_r=0 )).
Avec la suppression annoncée de la Corporation for Public Broadcasting ((Société de diffusion des télévisions et des radios publiques)), mais également le National Endowments for the Arts ((Fonds national pour les arts qui finance les musées et le développement d'actions culturelles à travers le pays)), c'est un signal d'alerte très fort adressé au monde entier. Peter Gelb, actuel directeur du Metropolitan Opera a été prompt à réagir : "Je pense qu'il est très important que le public soit informé sur cette véritable possibilité que disparaissent les arts à la radio, à la télévision et même en général si ces coupes sont exécutées." Les politiques de tous les pays, et notamment français devraient se rappeler à leur tour de l'importance du secteur culturel dans la bonne marche (y compris économique) des nations, même si l’actualité mondiale ne fait pas de la culture la préoccupation majeure du moment.