
Quoi de plus réjouissant que de débuter la semaine avec un récital, dans le cadre douillet du Théâtre de l'Athénée, véritable bonbonnière à l'acoustique idéale ? Après Stéphane Degout mais également Cyrille Dubois, Nahuel di Pierro ou Damien Bigourdan, Patrice Martinet a demandé à Stanislas de Barbeyrac de concocter un programme avec son pianiste Alphonse Cemin. Ce talentueux ténor adoubé par de nombreux chefs d'orchestre comme Minkowski, Rhorer ou Jordan qui s'est fait connaître à l'opéra, n'en est pas moins un récitaliste dont les qualités se confirment jour après jour. Si sa voix à l'émission franche, son style pur et sans affectation et la netteté de son élocution conviennent au répertoire français dans lequel il excelle, sa diction allemande s'avère tout aussi remarquable. Le cycle beethovenien « An die ferne Geliebte » n'est pas des plus faciles mais de son interprétation d'une grande simplicité se dégage un naturel et une émotion qui le rende immédiatement accessible. Sans chercher à intellectualiser sa lecture au risque de retirer aux poèmes d'Alois Jetteless leur charme et leur spontanéité, le chanteur soigne leurs linéaments sans creuser chaque détail ce qui assure à l'ensemble une réelle cohérence, même si l'oeuvre n'est pas des plus inspirées, à l'image de la mélodie « Adelaïde » chantée en introduction avec un élan similaire à celui d'un Fritz Wunderlich.
Changement radical avec les "Nuits d'été" de Berlioz rarement osées dans leur intégralité par une voix de ténor, puisque le compositeur les a écrites à l'origine pour plusieurs voix. Admirablement posée et conduit avec assurance malgré des tessitures opposées, l'instrument malléable de Stanislas de Barbeyrac surmonte sans faiblir les difficultés. De la délicieuse « Villanelle » haut placée dans le registre, mais chantée sas contrainte, aux profondeurs du lamento « Sur les lagunes » (grave de « Sur moi la nuit immense » compris!), le cycle est admirablement construit, chaque poème de Gautier ayant été réfléchi, décanté pour être restitué avec la plus grande noblesse de ton et d'intention. Grâce à l'accompagnement tout en finesse d'Alphonse Cemin qui donne vie à cette musique aux effluves méphitiques, Stanislas de Barbeyrac recrée des atmosphères où la senteur d'une rose fanée se fait enivrante, où la mort d'un être aimé fait horriblement souffrir et où la Nature se fait effrayante surtout dans un cimetière un soir de clair de lune.
L'auditeur ne perd pas un mot de cette langue magnifiquement rendue, se laisse comme rarement transporté dans cet univers onirique traduit par une voix aux inflexions envoûtantes.
Avec « Banalités » fameuses miniatures d'Apollinaire mises en musique par Poulenc, le chanteur sait qu'il peut passer à un tout autre espace poétique et sonore soutenu par un accompagnateur qui se plait lui aussi à changer de style et d'esprit ; ainsi campées avec distance et ironie, ces vignettes très françaises demeurent irrésistibles. Trois bis pour le moins éclectiques ont permis au ténor de faire durer le plaisir : la « Sérénade de Don Juan » pour baryton, de Tchaïkovski chantée dans un russe plein d'ardeur, suivie par la « Fleur » de Don José à la fois gracieuse et athlétique, l'interprète prenant congé avec l'amusant air d'Henri extrait des Cloches de Corneville de Planquette « J'ai fait trois fois le tour du monde », où ce dernier se montre aussi spirituel que l'était le baryton Michel Dens.
