Le concerto de Haydn étant plus bref que celui prévu de HK Gruber, il a été ajouté au programme la Akademische Festouvertüre, op.80 une œuvre constituée d’une sorte de pot-pourri de chansons d’étudiants, dont il existe même une version pour formation militaire. Elle fut composée pour remercier les autorités universitaires de Breslau (Wroclaw aujourd’hui) de lui avoir conférer le doctorat Honoris Causa. Cette pièce, une sorte d’exercice de style, est l’occasion de constater immédiatement que l’orchestre de Stavanger est un orchestre de qualité : la pièce offre aux différents pupitres l’occasion de se mettre en valeur (cuivres et bois notamment) et indiscutablement l’ensemble est en ordre de marche et la direction de Vásquez, nerveuse et contrastée, efface l’ennui qu’elle pourrait engendrer. Beau final, éclatant et rythmé construit sur la chanson Gaudeamus igitur.
Reinhold Friedrich aura joué des dizaines de fois sinon des centaines, ce fameux concerto dont tout le monde connaît le troisième mouvement, il arrive donc détendu et jovial, bougeant, avec des signes de connivences au public. Là encore on constate l’excellent accompagnement de l’orchestre, fluide, plein de relief, et parfaitement en phase avec le soliste. Inutile de souligner l’incroyable maîtrise de Reinhold Friedrich, contrastes, passages à l’aigu et au suraigu, fluidité qui apparaît facilité, agilités étourdissantes. Une sorte de Festival avec des clins d’oeil au public, et une ambiance bon enfant.

Mais vu que le « festival » n’a duré que 14 min, Reinhold Friedrich est revenu avec un bis spécial, totalement inconnu du public, provenant d’une œuvre de Scheffel (1826–1886) mise en opéra par Victor Ernst Nessler (1841–1890) sous le même titre Der Trompeter von Säckingen (Le trompettiste de Säckingen), une épopée très populaire au XIXe dont la ville de Säckingen , aujourd’hui Bad Säckingen (au bord du Rhin entre Schaffhausen et Bâle, sur la frontière avec la Suisse) a fait son emblème. Friedrich a raconté l’histoire (le pauvre trompettiste qui épouse la belle princesse), avec cette particularité que les personnages sont historiques et vivaient au XVIIe. Il a fait venir à l’orgue l’organiste Eriko Takezawa sa compagne et tous deux ont produit un bis émouvant « romantique » qui compensait la brièveté du programme. On a quand même hâte de revoir Reinhold Friedrich à Lucerne en 2019.
La deuxième partie du programme était la Symphonie n°4 « Romantique » de Bruckner, une pièce de choix du répertoire, et qui a été une très grande réussite.
D’abord parce qu’on découvre un chef. Christian Vásquez est issu du Sistema vénézuélien, il a 34 ans et anime l’orchestre Symphonique de Stavanger. Travailler dans le Sistema, cela signifie une approche pédagogique, qui accompagne les (jeunes) musiciens, qui construit une technique de direction éprouvée. On le sait aussi avec l’expérience de Gustavo Dudamel. À la différence de certains de ses collègues, il est pas du tout spectaculaire dans sa manière de diriger, plutôt économe de ses mouvements, à la Haitink et le résultat est étonnant.
L’orchestre, fait d’une vingtaine de nationalités, est de qualité, notamment les cordes particulièrement raffinées, ainsi que les cuivres sont très corrects aussi, et très sollicités dans Bruckner évidemment. De plus l’acoustique de la salle, exceptionnelle, réverbérante mais juste assez, toute construite en bois, permet de bien isoler chaque son, le rendu est précis, et clair, et permet une véritable plongée dans la partition. C’est en fait un « petit KKL », par référence à Lucerne, dont la salle de Stavanger est un avatar, et les très grands orchestres internationaux devraient y faire de régulières stations.
Et ces qualités se révèlent dès le trémolo initial des cordes, pianissimo – tout au long de la symphonie, Vasquéz obtiendra de son orchestre des pianissimi à la limite de l’audible, et d’une finesse exceptionnelle. Les cuivres qui suivent puis les tutti révèlent un son plein, jamais confus, monumental mais jamais écrasant. Mais je trouve que c’est dans les parties les plus lyriques et les plus retenues, dans les piani que se révèlent les qualités d’ensemble, avec des sons très nets, et en même temps très nuancés, laissant apparaître des instruments solistes remarquables (la flûte).
Le deuxième mouvement andante quasi allegretto fait entendre un orchestre délicat et allégé, avec là aussi de beaux pianissimi, mais surtout une délicatesse et un vrai raffinement, tout en maintenant une respiration singulière de l’ensemble ainsi qu’un sentiment d’élévation : la clarté de l’acoustique permet d’entendre le moindre effleurement d’instrument, et tout cela parle à l’oreille, et confirme qu’on n’a peut-être pas entendu depuis longtemps une telle « romantique ».

Qualités de dynamisme et de fluidité qu’on retrouve dans le scherzo, magistralement dominé, avec un ensemble de couleurs rarement à ce point en valeur, sans jamais surjouer ni surinterpréter : la partition dans sa splendeur et sa nudité. Magistral
Enfin le final reprend l’ambiance du premier mouvement qui est cité. L’ensemble de la symphonie est d’ailleurs rappelé dans ce mouvement peut-être le plus complexe. Là-aussi le rendu des couleurs et des contrastes est marqué sans être jamais appuyé avec une respiration de l’ensemble qui entraîne l’auditeur dans un véritable enthousiasme au sens étymologique du terme. On y retrouve le lyrisme, on y retrouve aussi les rythmes dansants dans une sorte de simplicité d’exposition rendant compte de la partition et rien que la partition. L’apothéose finale, est d’une majesté étonnante sans être écrasante : il est rare d'entendre un Bruckner aussi pur, aussi clair, aussi simple, et aussi prenant. Et on sort avec le sentiment heureux d’avoir découvert un chef et un orchestre en écoute, en osmose, qui font de la musique ensemble et non un simple concert. Quelle belle soirée !
