Deuxième programme de cette mini résidence du BRSO à Lucerne, tout aussi éclectique que le précédent, qui marque l’hommage au centenaire de Leonard Bernstein puisque le programme est couronné par son Divertimento for Orchestra de Bernstein, composé en 1980 pour le jubilé du Boston Symphony Orchestra.
La première partie du concert était dédiée à la symphonie n°1 de Schumann « Le Printemps », esquissée en 1841 en quatre jours, et prête fin février 1841. À distance d’un mois environ, en avoir entendu une lecture vraiment très différente par Daniele Gatti et le MCO dont on rendra compte dans un prochain article, permet en même temps de sentir mieux encore l’esprit avec lequel Jansons entre dans cette musique. C’est un esprit presque apaisé, léger, tout fait d’une joie affichée et simple, correspondant à un jeune Schumann de 31 ans, juste marié et à peine père d’une petite fille, comme au printemps d’une vie qui s’annonce heureuse. Ce romantisme-là n’est pas tourmenté, c’est la joie du Printemps qui commence, fluide, précis, coloré, sans aucune concession au drame ou aux agitations romantiques. Mariss Jansons lui-même apparaît rasséréné et reposé. Ainsi ce qui frappe c’est d’abord l’extraordinaire fluidité, le tempo rapide du premier mouvement que Schumann voulait appeler « l’éveil du printemps ») Bien sûr l’appel initial et une peu déclamatoire des cuivres marque une entrée solennelle, mais très vite suivie d’un rythme rapide et dansant. Suivi par un orchestre au sommet, jouant sur les échos, avec des bois supérieurs, mais des cordes – la grande force de cette phalange – à se damner.
C’est le cas dans le Larghetto (2ème mouvement où violons et violoncelles se prennent tour à tour la voix dans un mouvement d’une ineffable douceur et un scherzo où la partie plus lyrique et dansante dialogue avec le thème initial très affirmé : une fois encore la fluidité domine où s’exprime une joie traduite par la légèreté de l’approche de Jansons. C’est peut-être le mouvement où les variations de couleurs s’expriment le plus,
Le dernier mouvement a la couleur du premier, au rythme rapide, sans accentuer les contrastes avec une délicatesse dans l’instrumentation que la clarté de la lecture et du rendu nous font ressentir. Le caractère de cette approche, assez classique au demeurant est d’éviter tout mouvement qui serait heurté, dans une approche élégiaque, où le lyrisme domine, sans les âpretés d’une lecture romantique plus marquée. Ici tout procède par touches y compris les interventions des cuivres (les cors dans le quatrième mouvement) ou les crescendos, avec de sublimes cordes. Jansons refuse tout ce qui pourrait heurter et les aspects plus animistes du printemps sont gommés au profit d’une vision totalement apaisée et joyeuse, une sorte de vision littérale parfaitement exécutée.
Denis Matsuev est imprégné de Rachmaninov : il a collaboré de longues années avec la Fondation Rachmaninov pour qui il a créé des œuvres inconnues du compositeur russe. Il est donc en terrain familier avec cette très célèbre Rhapsodie sur un thème de Paganini qui sont autant de variations sur un thème au violon de Paganini (le Caprice pour violon seul n°24) et qui sont un peu structurées comme les trois mouvements d’un concerto pour piano, au point qu’on appelle ces 24 variations le « concerto n°5 » pour piano de Rachmaninov.
C’est une pièce évidemment particulièrement démonstrative et le pianiste russe, qui jadis remporta le légendaire concours Tchaïkovski est parfaitement à son affaire dans une pièce lui n’a plus de secret pour lui, avec un orchestre pleinement en phase et une véritable écoute réciproque : il y a une entente réelle qui fait de l’orchestre un accompagnateur qui sait aussi se faire discret pour laisser le soliste s’exprimer en un équilibre qu’on a pu entendre différemment dans d’autres interprétations (voir ci-dessous). Il fait preuve d’une virtuosité peu commune en vrai bête du clavier qu’il est, au détriment peut-être des parties plus lyriques, mais l’ensemble reste monumental.
Deux bis qui montrent l’étendue de la palette de Matsuev : un prélude de Rachmaninov plus tendre et apaisé, et la Toccata de Prokofiev, œuvre de jeunesse qui fit scandale à la création et qui laisse le public bouché bée
Structurée non en variations mais en épisodes, le Divertimento pour orchestre de Bernstein, choisi pour célébrer le centenaire du compositeur a été composé pour le 100ème anniversaire du BSO, du Boston Symphony Orchestra. S’y mêlent des souvenirs de sa vie de jeunesse à Boston (natif du Massachussetts, études à Harvard et à la Boston Latin School) et d’artiste puisqu’il y fut l’assistant de Serge Koussetvitsky (il dirigea le BSO our la première fois en 1940). Evidemment, l’œuvre exalte tous les pupitres de l’orchestre, est riche en touches rapides qui balaient toutes les couleurs et toutes les ambiances, de la noirceur à l’humour. Ainsi le BRSO rend hommage au BSO, pourrait-on dire et Mariss Jansons s’amuse beaucoup, cette fois-ci soulignant les contrastes, et la perfection technique de l’orchestre fait là merveille en une démonstration de virtuosité, avec une capacité notable à épouser les styles successifs de ces huit moments très différents (de sonnets shakespeariens qui renvoient à une ambiance à la West Side Story à Samba ou Blues). C’est un moment explosif où Jansons épouse le style échevelé de Bernstein avec une gourmandise non dissimulée. La célèbre Waltz est sublime aux cordes d’un raffinement inouï qui rappelle combien Jansons aime la couleur des valses qu’elles soient de Chostakovitch, ou de Bernstein, ou de Strauss. La Mazurka est abordée avec une légère ironie (les premières mesures) et pour le reste, c’est une démonstration joyeuse de rythmes et de couleurs, de contrastes très « jazzy » qui mettent en joie le public.
En bis l’ouverture de Candide exécutée de manière magistrale, étourdissante, achève d’emporter le public dans le tourbillon de la deuxième partie de ce concert.