Orchestre symphonique de la Radio bavaroise 
Mariss Jansons  direction
Denis Matsuev  piano
Robert Schumann (1810–1856)
Symphonie Le Printemps en si bémol majeur, no 1 op. 38
Sergueï Rachmaninov (1873–1943)
Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 43
Leonard Bernstein (1918–1990)
Divertimento pour orchestre
Lucerne, KKL, 25 mars 2018

Deuxième concert de la mini résidence annuelle du Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks qui conclut le Festival de Pâques de Lucerne en un programme qui honore Leonard Bernstein dont on fête le centenaire, un compositeur auquel on n’associe pas forcément Mariss Jansons, mais qui propose aussi deux piliers du répertoire plus ouverts que le programme de la veille, la Symphonie n°1 de Schumann « Le Printemps » et les fameuses Variations sur un thème de Paganini de Rachmaninov avec Denis Matsuev dans un ordre inhabituel, la symphonie ouvrant le concert pour finir les deux pièces de Bernstein (dont le bis) qui mettent le public en délire. C’est un grand moment musical.

Mariss Jansons dirige Bernstein

Deuxième programme de cette mini résidence du BRSO à Lucerne, tout aussi éclectique que le précédent, qui marque l’hommage au centenaire de Leonard Bernstein puisque le programme est couronné par son Divertimento for Orchestra de Bernstein, composé en 1980 pour le jubilé du Boston Symphony Orchestra.
La première partie du concert était dédiée à la symphonie n°1 de Schumann « Le Printemps », esquissée en 1841 en quatre jours, et prête fin février 1841. À distance d’un mois environ, en avoir entendu une lecture vraiment très différente par Daniele Gatti et le MCO dont on rendra compte dans un prochain article, permet en même temps de sentir mieux encore l’esprit avec lequel Jansons entre dans cette musique. C’est un esprit presque apaisé, léger, tout fait d’une joie affichée et simple, correspondant à un jeune Schumann de 31 ans, juste marié et à peine père d’une petite fille, comme au printemps d’une vie qui s’annonce heureuse.  Ce romantisme-là n’est pas tourmenté, c’est la joie du Printemps qui commence, fluide, précis, coloré, sans aucune concession au drame ou aux agitations romantiques. Mariss Jansons lui-même apparaît rasséréné et reposé. Ainsi ce qui frappe c’est d’abord l’extraordinaire fluidité, le tempo rapide du premier mouvement que Schumann voulait appeler « l’éveil du printemps ») Bien sûr l’appel initial et une peu déclamatoire des cuivres marque une entrée solennelle, mais très vite suivie d’un rythme rapide et dansant. Suivi par un orchestre au sommet, jouant sur les échos, avec des bois supérieurs, mais des cordes – la grande force de cette phalange – à se damner.
C’est le cas dans le Larghetto (2ème mouvement où violons et violoncelles se prennent tour à tour la voix dans un mouvement d’une ineffable douceur et un scherzo où la partie plus lyrique et dansante dialogue avec le thème initial très affirmé : une fois encore la fluidité domine où s’exprime une joie traduite par la légèreté de l’approche de Jansons. C’est peut-être le mouvement où les variations de couleurs s’expriment le plus,
Le dernier mouvement a la couleur du premier, au rythme rapide, sans accentuer les contrastes avec une délicatesse dans l’instrumentation que la clarté de la lecture et du rendu nous font ressentir. Le caractère de cette approche, assez classique au demeurant est d’éviter tout mouvement qui serait heurté, dans une approche élégiaque, où le lyrisme domine, sans les âpretés d’une lecture romantique plus marquée. Ici tout procède par touches y compris les interventions des cuivres (les cors dans le quatrième mouvement) ou les crescendos, avec de sublimes cordes. Jansons refuse tout ce qui pourrait heurter et les aspects plus animistes du printemps sont gommés au profit d’une vision totalement apaisée et joyeuse, une sorte de vision littérale parfaitement exécutée.

Denis Matsuev

Denis Matsuev est imprégné de Rachmaninov : il a collaboré de longues années avec la Fondation Rachmaninov pour qui il a créé des œuvres inconnues du compositeur russe. Il est donc en terrain familier avec cette très célèbre Rhapsodie sur un thème de Paganini qui sont autant de variations sur un thème au violon de Paganini (le Caprice pour violon seul n°24) et qui sont un peu structurées comme les trois mouvements d’un concerto pour piano, au point qu’on appelle ces 24 variations le « concerto n°5 » pour piano de Rachmaninov.

C’est une pièce évidemment particulièrement démonstrative et le pianiste russe, qui jadis remporta le légendaire concours Tchaïkovski est parfaitement à son affaire dans une pièce lui n’a plus de secret pour lui, avec un orchestre pleinement en phase et une véritable écoute réciproque : il y a une entente réelle qui fait de l’orchestre un accompagnateur qui sait aussi se faire discret pour laisser le soliste s’exprimer en un équilibre qu’on a pu entendre différemment dans d’autres interprétations (voir ci-dessous). Il fait preuve d’une virtuosité peu commune en vrai bête du clavier qu’il est, au détriment peut-être des parties plus lyriques, mais l’ensemble reste monumental.
Deux bis  qui montrent l’étendue de la palette de Matsuev : un prélude de Rachmaninov plus tendre et apaisé, et la Toccata de Prokofiev, œuvre de jeunesse qui fit scandale à la création et qui laisse le public bouché bée

Structurée non en variations mais en épisodes, le Divertimento pour orchestre de Bernstein, choisi pour célébrer le centenaire du compositeur a été composé pour le 100ème anniversaire du BSO, du Boston Symphony Orchestra. S’y mêlent des souvenirs de sa vie de jeunesse à Boston (natif du Massachussetts, études à Harvard et à la Boston Latin School) et d’artiste puisqu’il y fut l’assistant de Serge Koussetvitsky  (il dirigea le BSO our la première fois en 1940). Evidemment, l’œuvre exalte tous les pupitres de l’orchestre, est riche en touches rapides qui balaient toutes les couleurs et toutes les ambiances, de la noirceur à l’humour. Ainsi le BRSO rend hommage au BSO, pourrait-on dire et Mariss Jansons s’amuse beaucoup, cette fois-ci soulignant les contrastes, et la perfection technique de l’orchestre fait là merveille en une démonstration de virtuosité, avec une capacité notable à épouser les styles successifs de ces huit moments très différents (de sonnets shakespeariens qui renvoient à une ambiance à la West Side Story à Samba ou Blues). C’est un moment explosif où Jansons épouse le style échevelé de Bernstein avec une gourmandise non dissimulée. La célèbre Waltz est sublime aux cordes d’un raffinement inouï qui rappelle combien Jansons aime la couleur des valses qu’elles soient de Chostakovitch, ou de Bernstein, ou de Strauss. La Mazurka est abordée avec une légère ironie (les premières mesures) et pour le reste, c’est une démonstration joyeuse de rythmes et de couleurs, de contrastes très « jazzy » qui mettent en joie le public.
En bis l’ouverture de Candide exécutée de manière magistrale, étourdissante, achève d’emporter le public dans le tourbillon de la deuxième partie de ce concert.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Priska Ketterer/Lucerne Festival
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