
Réunies sous la bannière assez globale des "Fraternités", les trois compositeurs de ce concert symphonique abordent des univers très différents. Sans doute faudra-t-il chercher dans ce titre une union des différences ou une allusion à un esprit européen – à moins de s'en tenir à la seule amitié entre Mozart et le clarinettiste Anton Stadler qui lui inspira son célèbre concerto en la majeur donné en première partie. Les Six Danses populaires roumaines Sz. 56, BB 68 pour orchestre de chambre offrent en ouverture de programme, une gouaille et un rythme répartis en formes très brèves et roboratives. Bot tánc / Jocul cu bâtă (Danse du bâton) puise dans cet atavisme violoneux qui signait dans le manuscrit une origine géographique explicitement transylvanienne. D'emblée, David Niemann marque le temps du talon – effort manifeste pour faire oublier des cordes encore trop filandreuses et pesantes qui confondent bâton et gourdin. L'intervention de la clarinette dans Brâul (Danse du châle), adoucit les fins de phrases mais c'est surtout le timbre suret de la flûte qui fait planer sur Topogó / Pe loc (Sur place) une belle couleur irisée et mystérieuse empruntée à un thème ouvertement orientalisant. Le vibrato appuyé d'Ekaterina Darlet-Tamazova contraste avec les belles nuances en mode mixolydien que déploie l'orchestre dans Bucsumí tánc / Buciumeana (Danse de Bucsum). Un brin motorique et appliquée, la direction ne joue pas sur l'accelerando qui enflamme un enchaînement zébré par les interventions du piccolo dans Polka roumaine et Danse rapide (Poarga Românească ‑Mărunțel),
Le nuage de colophane n'est pas encore tout à fait retombé quand surgit le Concerto pour clarinette, avec ses premières notes en battements. Si l'écrin ne manque ni de carrure ni d'élan, la rudesse motorique tourne le dos au chant de l'instrument soliste. Le jeune Andrea Fallico, clarinette solo de l’Orchestre, se démène pour obtenir une ligne cohérente et filer droit sans pétulance excessive et surtout sans humour. Pris au piège d'une direction volontaire qui imperceptiblement accélère le phrasé, l'andante n'a pas la suspension et l'épanchement qui permettrait de donner de la liberté au chant. On reste sur un abattage solide, probant et appliqué dans le moindre changement de registre – avec une façon de détacher les notes graves qui ménage ses effets. Les arpèges sont plus prosaïques, notamment dans le rondo, mené grand train et obligeant les cordes à tricoter dans une forme de ciselure qui tient davantage de la miniature excitée que dans une élégance à la fois leste et spirituoso. La pulsation est tenace et peine à unifier l'apparition de certaines imprécisions et décalages, résultat inévitable de cette si mozartienne et si diabolique quadrature du cercle. En bis, l'Hommage à De Falla (1994) de Béla Kovács passe en revue toutes les figures imposées de la clarinette virtuose. Andrea Fallico se couvre de gloire dans l'enchaînement des trilles et des notes tenues, au point qu'une salve d'applaudissement l'interrompt sur un point d'orgue mais il retombe tel un chat sur ses pattes et réussit sa pirouette finale.
Le Concerto Românesc de Ligeti ouvre la seconde partie sur un Larghetto aux teintes étales et très bartokiennes. On voudrait des cordes moins timorées au moment de basculer dans l'égrillard Allegro vivace avec son duel aigre-doux et mordant entre le piccolo et le violon solo. Comme le les Six Danses populaires de la première partie, la direction pèche moins par un défaut d'engagement que par la réelle capacité à faire tenir debout l'architecture et la cohérence de l'édifice. Sur ce plan-là, l'alternance d'atmosphères tantôt nerveuses et enjouées, tantôt d'une tristesse exagérément neurasthénique, laisse affleurer les limites d'une lecture jouant sur un séquençage vertical. Les deux cors se tirent de façon convaincante du jeu des questions-réponses en tierces majeures et septièmes mineures entre scène et coulisses. Ce moment de transition suspendue s'interrompt brutalement au moment où éclate le Presto poco sostenuto avec ce violon en longue spirale vrillée qui chute à chaque coup de boutoir des tuttis. La courbe finit sa course comme un oiseau frappé en plein vol, avec les échos réverbérés des deux cors.
David Niemann donne de la Symphonie n° 35 en ré majeur KV 385, dite "Haffner", une lecture où l'anguleux et le mécanique le disputent à l'urgence de laisser le chant s'épancher librement. Ce Mozart sent l'exercice et le passage obligé, comme s'il s'agissait pour le chef de gommer le con spirito dès le premier mouvement. En faisant la part belle à l'énergie et à la pulsation, on s'en tient aux crêtes de la mélodie qu'un abattage furieux resserre parfois dangereusement. L'orchestre affiche une excellente forme et répond comme un seul homme aux injonctions, souvent accompagnées du talon et du regard. Les arrière-plans de l'andante sont nettement plus nuancés et travaillés, au point de faire oublier un tempo bien linéaire dans la manière de conduire le retour du thème principal. Le Menuet est desservi par des archets par trop secs et courts, qui expédient les affaires courantes dans le Trio, tout juste éclairé par le point d'orgue qui retarde la reprise. Le Finale – presto hors des gonds – fait la démonstration des vertus de l'orchestre à dérouler un phrasé aux allures de feu roulant, le souffle court et le cœur battant.