Johannes Brahms (1833–1897)
Concerto pour piano n° 1 en ré mineur opus 15
créé le 22 janvier 1859 à Hanovre.

I. Maestoso
II. Adagio
III. Rondo : Allegro non troppo

Francesco Piemontesi, piano

Gustav Mahler (1860–1911)
Symphonie n° 5 en do dièse mineur
Créée le 19 octobre 1904 par l'Orchestre du Gürzenich de Cologne sous la direction du compositeur.

I. Trauermarsch
II. Stürmisch bewegt, mit größter Vehemenz
III. Scherzo
IV. Adagietto
V. Rondo-Finale

 

Sveriges Radios Symfoniorkester
Maxim Emelyanychev
, Direction musicale

 

Samedi 13 septembre 2025, Berwaldhallen, Stockholm, 15h

Après de longues années de compagnonnage avec Daniel Harding, le Sveriges Radios Symfoniorkester prend le large vers de nouveaux horizons et, en attendant la nouvelle nomination, le programme de cette saison 2025–2026 fait la part belle à Esa-Peka Salonen et Janine Jansen, stars aimées et artistes en résidence à la Sveriges Radio (Radio Suédoise). Mais l’ouverture de la saison est laissée à Maxim Emelyanychev, premier chef invité, chouchou de l’orchestre et du public, venu de la musique ancienne pour un programme très Harding (Brahms, Mahler). Il s’agit, on le comprend bien, non pas de rompre mais de donner de l’air et d’essayer de nouvelles voies et c’est tout à l’honneur de cette programmation, qui se donne le luxe d’inviter Francesco Piemontesi sur le concerto pour piano de Brahms. Hélas, si le résultat est surprenant et suscite la curiosité, il divise le public et me laisse quelque peu dubitatif.

Ce site le rappelle régulièrement et c’est aussi un constat que font les mélomanes les plus assidus depuis de longues années : Mahler tient le haut du pavé des programmes et il est devenu, plus que Haydn, Mozart, Beethoven, le passage obligé des jeunes chefs.
Néanmoins, Maxim Emelyanychev, à la tête de la formation baroque Il Pomo D’oro depuis 2013, n’a cessé de pratiquer ses classiques : en témoigne le projet d’une intégrale Mozart, dont notre collègue Claire-Marie Caussin rendait compte ici en évoquant la première pierre. On le verra également cette année, en qualité de premier chef invité, au pupitre pour le Requiem en février.
L’an passé, il était venu entre autres[1] diriger et interpréter le concerto n°23 de Mozart et on se souvient de sa prestation fougueuse tous azimuts, avec un entrain contagieux. Cerise sur le gâteau : un concert bonus avait suivi avec le quintette pour piano et instruments à vents.

Emelyanychev est dynamique, aime mettre la main à la pâte, essaie des placements d’instruments différents (les timbales davantage intégrées au sein de l’orchestre, les contrebasses derrière les bois au centre…). Il fourmille d’idées et n’hésite pas à prendre du recul en fond de salle pendant les répétitions, pour entendre les équilibres de sons. C’est donc avec impatience qu’on l’attendait dans des œuvres phares du romantisme.

Francesco Piemontesi, piano,Maxim Emelyanychev, premier chef invité, Sveriges Radios Symfoniorkester

Dès l’entrée in medias res, on remarque la belle section des cors (rehaussés d’emprunts à l’orchestre du Philharmonique, comme à la trompette) et des altos brillants. Le pianiste suisse Francesco Piemontesi,  a un toucher léger, élégant surtout lorsqu’il s’appuie sur les vents et notamment les flûtes. Les coulées de clarinettes et les pizzicati aux cordes sont très bien rendus alors que Piemontesi s’enfonce dans les pianissimi. Le pianiste est précis, avec de belles couleurs dans le déchirement et la délicatesse.
Emelyanychev s’acharne dans les détails de rehauts orchestraux (tuilages, consolidations…) qui s’insèrent dans le dialogue avec le piano, ce qui marche très bien, notamment avec les contrebasses. Piemontesi reste toujours concentré et technique.

Dans le second mouvement, Adagio, on remarque les très belles cordes lissées, les bois frais et gouleyants avec un Piemontesi toujours délicat et mesuré, poétique mais sans lyrisme exagéré, avec un toucher sensible.
C’est sans doute le moment le plus réussi du concert avec un Emelyanychev au diapason d’un orchestre en apesanteur. On peut d’ailleurs supposer que le chef fait répondre ce mouvement (sans doute écrit en pensant à Clara Schumann) à l’Adagietto à venir de la 5e de Mahler, lettre amoureuse à Alma.

Le Rondo final est un déchainement très classique au piano mais dans lequel Emelyanychev introduit des épices romantiques : parmi lesquelles on remarque surtout les bassons graves, une bordée de cor, les cordes graves, un appel de cuivres. Le chef transforme l’orchestre en un appendice baroque qui contraste de manière charmante avec un Piemontesi très souple et à l’aise (il joue d’ailleurs sans partition), très brillant dans les aigus. Enfin, Emelyanychev gère plutôt bien le fugato final avec beaucoup de vigueur et de fraîcheur.

Francesco Piemontesi, piano, Sveriges Radios Symfoniorkester

Il y a plein d’idées dans cette interprétation, des belles envolées mais aussi des creux, une pâte sonore brahmsienne qui ne lève pas totalement, malgré l’engagement réel de tous les protagonistes et une vraie joie palpable de jouer ensemble. Joie qui se sent encore plus dans le rappel à quatre mains où Emelyanychev prend la partie gauche du piano pour laisser à Piemontesi les parties lumineuses et brillantes.

Le programme de salle rappelle le lien entre la 5e de Mahler et Mort à Venise (1971) de Visconti, tarte à la crème qui nous fait presque oublier que la bande son de la célèbre scène de la rencontre dansée entre Eschenbach et Tadzio s’enroulant autour des colonnes de bois menant à la plage (cette rencontre proustienne du bourdon et de l’orchidée, Charlus-Jupien) est tirée de la 3: le lied Oh Mensch Gib Acht, sur un texte de Nietszche.

La ciné-mélomanie est décidément bien sélective….Se souvient-on également que Senso (1954), autre film « vénitien » de Visconti (avec un autre Mahler… Franz, joué par Farley Granger), est irrigué par la 7e de Bruckner ?

Plus récemment, Tár (Todd Field, 2022) noue un lien peut-être encore plus intime avec la symphonie, dont le film semble suivre le programme, la musique irriguant tout son déroulement, de manière diégétique et extra diégétique (de l’entrée en fanfare de la cheffe Tàr qui est signe de mort, à une fin plus douceâtre, voire lacrymale, du retour vers le soi, l’Adagietto, avant un retour explosif vers la joie de la création musicale, le tout sans oublier le caractère hautement ironique de l’affaire dont nous ne trahirons rien).

On nous pardonnera cette digression cinématographique : on ne peut s’empêcher d’associer la 5e de Mahler au film de Visconti, encore plus en Suède, où vit encore Björn Andresén, alias Tadzio pour l’éternité, et dont on se demande s’il hante les travées à chaque exécution ou s’il les fuit comme la peste… ou le choléra.

Il nous semble qu’ Emelyanychev tend à se départir de toutes ces images. Il abandonne le programme thématique de la mise en son d’une autobiographie mahlérienne, où on lirait sa maladie, le caractère funèbre de son œuvre et l’adagietto comme une brève lettre d’amour à Alma pour aller au contraire vers une musique pure, puisqu’après tout la 5e est un adieu à la période "Wunderhorn". D’où des essais de timbres et d’effets qui nous paraissent refuser les élans romantiques et la pâte sonore qui font chavirer les cœurs en quête d’ivresse sonore.

Maxim Emelyanychev, premier chef invité, Sveriges Radios Symfoniorkester

Dès l’appel à la trompette, impérial et majestueux (superbe Joakim Agnas du Kungliga Philharmonikerna, même si on aime aussi Gianluca Calise, titulaire absent ce jour) du premier mouvement, on est dans la joie de la 5e mais le son se fait un peu brouillon, certes très vivant, mais un peu tonitruant.

Dans le second mouvement, on retrouve de beaux élans mais aussi des creux, comme dans le concerto de Brahms  un orchestre qui s’abime un peu. On remarque quand même de beaux violoncelles sur des vents aigres, un certain lyrisme qui prend par moment et des belles respirations lorsque l’orchestre se fait un peu plus léger.

Emelyanychev semble lancer les pupitres un peu trop tôt ou un peu trop tard, avec une tendance, qu’on remarque aussi chez Ryan Bancroft  du Philharmoniker, à profiter d’une impulsion en montant sur le pupitre pour lancer l’orchestre sans attendre (c’était flagrant au tout début du premier mouvement). Cela surprend l’auditeur, force sans doute à la concentration mais peut désarçonner aussi. Quoiqu’il en soit on peut compter sur les forces de l’orchestre avec une Lisa Viguier Vallgårda, valeur sûre, toujours fine.

Dans le Scherzo, les valses et le Ländler sont ironiques, certes, mais un peu plats avec une ligne un peu hachée. Les cors sont beaux quoiqu’un peu forts (dans l’ensemble les nuances sont variées et un peu exagérées, volontairement, me semble-t-il) sur une belle bordée de cordes graves (violoncelles et altos), très belle certes mais sans sentiments et dont on cherche un peu le sens. Dans cette débauche tempétueuse, on s’accroche à ce qui submerge, les trombones majestueux (Håkan Bjorkman) ou les pizzicati, et on se concentre sur le son, sur les timbres que nous proposent Emelyanychev et l’orchestre : par exemple, le grand écart entre le cor d’une part,  les trompettes et trombones de l’autre ou la centralité des contrebasses qui se détachent bien avec beaucoup de moelleux.

Maxim Emelyanychev, premier chef invité, Sveriges Radios Symfoniorkester

Encore une fois, on est saisi par la qualité sonore du cor solo, même s’il est tantôt plus fort que majestueux, tantôt doux mais sans mélancolie. Ce qui nous interroge sur cette interprétation d’un Mahler très sonore, triomphe de la volonté mais avec des écarts techniques étranges.

Après une longue pause, nécessaire après des parties plutôt enchaînées dans une tourmente orchestrale, on remarque dans l’Adagietto la harpe qui surnage au-dessus de cordes évanescentes, trop peut-être, avec un certain manque de dynamisme. Cela dit, Emelyanychev est doué dans la douceur et avec un orchestre plus réduit, on apprécie les belles contrebasses qui se détachent et sont bien mises en valeur par leur position centrale.

Encore une fois, Emelyanychev enchaine subitement avec le mouvement final, joue, un peu trop, des ruptures mais il y a de beaux élans de cordes, travaillées dans un esprit baroque, avec des cuivres toujours brillants (trombones parfaits bien que toujours un peu forts dans les tutti). On ne distingue pas toujours les flûtes, souvent noyées, et c’est dommage tant le pupitre est bon. Le côté ironique de joie teintée de malaise à la Meistersinger s’entend à peine et les coulées de cordes ne me semblent pas assez épaisses.

En somme, c’est une  cinquième de Mahler en montagne russe (sans jeu de mots), un peu en kit à remonter soi-même, avec des belles tentatives d’agencements sonores (qu’on entendait surtout dans le concerto de Brahms), mais qui tombent souvent à plat avec une ligne que l’on peine à trouver. On sort un peu déçu mais les oreilles et les yeux titillés quand certains ont franchement piqué du nez et que d’autres sont sortis enthousiastes. C’est donc une interprétation qui ne fait pas l’unanimité, et c’est finalement tant mieux. Après un long règne de Daniel Harding, on peut comprendre qu’un contrepied puisse être recherché, dont acte.

Francesco Piemontesi, piano, Maxim Emelyanychev, premier chef invité, Sveriges Radios Symfoniorkester

[1] Une symphonie inachevée de Schubert, la Jupiter,  mais aussi Siegfried-idyll, Rachmaninov, Britten, Elgar…

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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

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