Mozart – the symphonies : The beginning and the end

Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)

Symphonie n°1 en mi bémol Majeur, K.16
Concerto pour piano n°23 en la Majeur, K.488
Symphonie n°41 en do Majeur, K.551

Maxim Emelyanychev, direction et pianoforte

Il pomo d’oro

 

Enregistré du 28 au 30 juin 2022 à l’église Notre-Dame du Liban, Paris

C’est un projet au long cours qu’initient Il pomo d’oro et le chef Maxim Emelyanychev chez le label Aparté, avec l’enregistrement de l’intégrale des symphonies de Mozart. Pour ce premier volume, le programme réunit les deux extrémités de la carrière symphonique du compositeur, avec les symphonies n°1 et n°41, accompagnées du Concerto pour piano n°23 joué par Maxim Emelyanychev lui-même, au pianoforte. Un album vivant, enlevé, qui ne manque pas d’un certain ludisme et bénéficie du très beau son d’ensemble d’Il pomo d’oro.

Souvent décrit comme un chef prodige, dont les apparitions ne manquent pas de susciter la curiosité du public, Maxim Emelyanychev possède une discographie déjà conséquente, aussi bien lyrique que symphonique, et qui connaît un nouveau déploiement grâce au label Aparté avec lequel il initie une intégrale des symphonies de Mozart.

Maxim Emelyanychev avait signé en 2018 – déjà chez Aparté – un album mozartien, regroupant la Fantaisie en do mineur K.475 et les Sonates n°14, 16 et 18 qu’il interprétait au pianoforte. Mais c’est dans un projet autrement ambitieux et au long cours qu’il se lance avec ce nouvel enregistrement, apportant sa pierre à l’édifice monumental que sont les symphonies de Mozart au disque ; et c’est sans surprise à l’ensemble Il pomo d’oro qu’il a fait appel pour cette entreprise – ensemble dont il est le chef principal depuis 2016.

Comme l’indique son titre, ce premier opus rassemble les deux extrémités de la carrière symphonique mozartienne avec les symphonies n°1 et 41, illustrant d’emblée la formidable maturation, tant de la forme que de l’orchestration, qu’a connue l’œuvre du compositeur – sans parler de l’enrichissement et de la complexification du matériau mélodique. Ce programme ne fait donc pas le choix de la stricte cohérence musicale, mais plutôt de l’arc historique, du parcours mozartien et des mutations qu’a connues le genre symphonique, entre 1764 et 1788 ; et entre ces deux pôles, Maxim Emelyanychev intègre le Concerto pour piano n°23 qui, composé deux ans avant la Symphonie n°41, montre une maîtrise tout aussi brillante de l’écriture mais un travail évidemment différent de la mélodie et de l’orchestration, en présence d’un soliste.

 

Le Concerto pour piano n°23

On retrouve dans le premier mouvement du concerto le plaisir qu’avait Mozart à jouer avec toutes les configurations possibles entre le piano et l’orchestre : le soliste est parfois absolument seul, parfois accompagné seulement des cordes ou des vents, parfois en dialogue avec l’ensemble de l’orchestre, parfois presque fondu au milieu des musiciens… Mais quelle que soit la configuration, Maxim Emelyanychev n’est pas une présence soliste écrasante. C’est sans doute aussi l’effet du choix du pianoforte plutôt que d’un piano moderne, qui donne évidemment une couleur plus feutrée, moins brillante – du moins avec l’instrument choisi ici. Le soliste joue en tout cas avec une certaine élasticité rythmique, avec une grande liberté de jeu qui donne la sensation très plaisante d’une expérimentation, d’une interprétation qui se construit au fil des pages et de l’inspiration du moment. La présence soliste est ainsi d’autant moins imposante qu’elle-même se laisse porter ; mais elle y gagne aussi en lyrisme, car on perçoit une pensée musicale en train d’éclore, et une individualité qui se déploie dans un chant. La cadence est assez significative à ce sujet, le pianiste jouant avec la résonance de l’instrument, et semblant davantage rechercher des couleurs et des effets de matière que se prêter à un exercice virtuose. Mais cette liberté est rendue possible par l’amplitude que l’orchestre déploie dès le premier thème : les instrumentistes donnent de la matière, de la densité sur lesquelles le pianoforte peut s’appuyer. Le continuo notamment assume son rôle moteur pour l’ensemble et c’est sur cette base solide que Maxim Emelyanychev peut se permettre d’expérimenter et de déployer un jeu plus malléable.

L’Andante est évidemment le lieu où le lyrisme est de mise et où un soliste trouve toute latitude pour l’exprimer. Le pianoforte donne sans doute une couleur moins « romantique » que le piano à ces pages infiniment célèbres, mais l’ornementation de la ligne n’y perd pas en délicatesse, et l’instrument donne également un caractère résolument intimiste à la pièce. L’apparente sobriété du jeu de Maxim Emelyanychev, qui pouvait faire craindre de prime abord une certaine froideur, révèle en réalité une impression de repli sur soi, d’expression intime et contenue d’un sujet, qui ne s’ouvrira que progressivement et à des moments très choisis. On apprécie donc tout particulièrement les pupitres des vents qui assument pleinement le caractère planant de cette musique, son souffle, et savent lui donner une belle profondeur de son, dans une lecture qui ne s’appesantit jamais mais insiste pour aller de l’avant.

Après cet Andante, le dernier mouvement apparaît comme une mécanique remarquablement huilée, d’une précision implacable et, il faut le dire, assez splendide dans ses couleurs et la lumière qui s’en dégage. Parfois à la limite de la précipitation, le tempo est finalement toujours bien tenu, et on apprécie les détails rythmiques très travaillés par le chef, notamment la mise en valeur de certains temps faibles qui, dans l’élan général du mouvement, passent souvent inaperçus dans d’autres lectures. L’orchestre est ici vivant, enlevé, et brille par ses solos de basson et de clarinette tout comme par ses cuivres qui viennent ponctuer avec esprit, parfois presque avec humour, la partition. Le jeu de Maxim Emelyanychev est quant à lui ici encore d’une précision impeccable, et d’une apparente simplicité. Il est également beaucoup plus mêlé au reste de l’orchestre et semblerait presque chercher à s’y fondre dans les pages les plus brillantes. On pourrait préférer un tempo un peu moins allant pour éviter la sensation d’urgence qui se dégage par moments de l’Allegro ; mais on se laisse pleinement emporter par cet élan, et notamment par les magnifiques dernières pages où Il pomo d’oro et Maxym Emeyanychev semblent tout entier à la joie qui se dégage de cette musique.

Les symphonies n°1 et n°41

Rassembler la première et la dernière symphonie, c’est-à-dire les œuvres d’un garçon de huit ans et d’un homme de trente-deux ans, est assez vertigineux à l’échelle de la courte vie de Mozart : car entre ces deux pièces on trouve, parmi les centaines de partitions composées, des opéras qui ont profondément marqué sa musique symphonique en leur conférant un sens de la dramaturgie et de la narration qui n’auraient sans doute pas atteint un tel niveau sans l’expérience lyrique du compositeur – et les échos de Don Giovanni dans le premier mouvement de la symphonie « Jupiter » sont plus que frappants à ce sujet.

La Symphonie n°1 est ainsi très académique, d’une structure très lisible et condensée – l’œuvre durant moins d’un quart d’heure. L’une des principales difficultés d’interprétation réside sans doute dans le peu de développement donné au matériau thématique, et dans les reprises dont il n’est pas toujours facile de varier la lecture. Maxim Emelyanychev apporte ainsi un soin particulier aux dynamiques pour donner davantage d’intensité aux reprises, s’autorisant même à aller loin dans le pianissimo, ce qui n’est pas chose facile au disque. Les cordes de l’orchestre se distinguent par une belle articulation, notamment dans le Molto Allegro et dans le Presto, qui assurent le relief du son d’ensemble et la clarté du propos. Les cors et hautbois sont en revanche assez discrets ; et s’ils servent la profondeur et le moelleux du son, ils auraient pu ressortir davantage, ce qui aurait apporté plus de couleurs et de variété.

La partition de la Symphonie n°41, par ses proportions et ses formidables développements, semble donc d’autant plus exceptionnelle en comparaison de la première tentative symphonique de Mozart. La direction de Maxim Emelyanychev se distingue par son sens du contraste, le chef ne cherchant pas, au sein d’un même mouvement, à trouver un équilibre entre les pages dramatiques et les pages plus lumineuses. On ne saurait dire ce qui prime, dans le premier mouvement, entre l’intensité très théâtrale et la douceur de l’orchestre, entre son sens du tragique et son enthousiasme joyeux. Loin de perdre en cohérence, la lecture gagne en complexité, et l’auditeur a la sensation d’avoir parcouru un immense chemin des premières aux dernières pages de l’œuvre, dont le trajet semble d’une clarté absolue dans l’esprit du chef et des musiciens. Cette qualité va de pair avec des tempos très bien menés – on pense notamment à l’Andante – et avec une construction très définie des différents plans sonores. Maxim Emelyanychev a sans conteste le sens des couleurs et des textures, construisant le son d’ensemble par les timbres qui le composent. La qualité des pupitres, individuellement, permet un tel jeu de hiérarchisation, sans cesse renouvelé et mouvant. C’est d’autant plus appréciable lorsqu’on pense à la densité du contrepoint dans l’Allegro final, qui a besoin d’une grande lisibilité et donc d’un bon équilibre entre les différentes voix. Intense mais élégant, dense mais clair, c’est donc un jeu tout en contrastes que propose Il pomo d’oro, sans donner à la symphonie une dimension massive ou écrasante de quelque manière que ce soit.

 

A écouter l’intégralité de l’album, on se dit que le jeu est sans doute l’une des clés de la personnalité musicale de Maxim Emelyanychev : jeu avec la ligne lorsqu’il est soliste et semble se laisser aller à l’inspiration du moment ; jeu avec les timbres lorsqu’il structure le son d’ensemble par plans sonores ; jeu avec les formes traditionnelles, alors qu’il semble s’amuser de l’écriture fuguée dans le finale de la Symphonie n°41. C’est sans doute une impression de joie qui domine dans cet enregistrement, qui fait attendre avec curiosité la suite de cette intégrale des symphonies de Mozart, et s’interroger sur le programme des prochains albums. Pour le deuxième volume, ce seront en tout cas les symphonies n°29 et n°40 qui seront réunies, en compagnie du très beau Concerto pour hautbois.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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