Leonard Bernstein (1918–1990)
Candide
Opérette en deux actes sur un livret de Hugh Wheeler d’après Candide ou l’Optimisme de Voltaire. Lyrics de Richard Wilbur, et lyrics supplémentaires de Stephen Sondheim, John Latouche, Lillian Hellman et Leonard Bernstein.
Donné ici dans l’adaptation de Lonny Price pour le New York Philharmonic Orchestra et Marin Alsop (2004), avec des ajouts de Garnett Bruce (2018).

Leonardo Capalbo (Candide)
Jane Archibald (Cunégonde)
Anne Sofie von Otter (The Old Lady)
Sir Thomas Allen (Dr Pangloss/Narrator)
Thomas Atkins (First Judge/Governor/Vanderdendur)
Marcus Farnsworth (Maximilian/Captain/Second Judge)
Katherine McIndoe (5th and 6th Autodafé solos/First Sheep)
Carmen Artaza (Paquette/3rd Autodafé solo)
Lucy McAuley (Baroness/2nd Autodafé solo/Second Sheep)
Liam Bonthrone (4th and 7th Autodafé solos/ Archbishop of Paris)
Frederick Jones (Baron/Grand Inquisitor/Don Issachar/Cacambo/Prince Ragotski)
Jonathan Eyers (Third Judge/1st Autodafé solo)

London Symphony Chorus
Simon Halsey, Chef des chœurs 
London Symphony Orchestra
Direction musicale : Marin Alsop

2 CD LSO – 73’13 + 43’30

Enregistré live les 8 et 9 décembre 2018 au Barbican de Londres

Enregistré dans le cadre d’une version semi-scénique signée Garnett Bruce, ce Candide ne manque pas d’arguments en sa faveur et convainc aussi bien musicalement que dramatiquement – ce qui est loin d’être chose facile au disque avec une œuvre telle que celle de Bernstein. Avec Sir Thomas Allen et Anne Sofie von Otter dans les rôles de Pangloss et de la Vieille Dame, Marin Alsop s’assurait déjà deux interprètes de choix dans la distribution ; mais les autres solistes ne déçoivent pas, que ce soient les Cunégonde et Candide de Jane Archibald et Leonardo Capalbo, ou les nombreux rôles secondaires. Les chanteurs sont également remarquablement soutenus par le LSO qui joue avec les couleurs, les textures et les atmosphères pour rendre toute la variété de la partition.

 

En 2004 déjà, Marin Alsop marquait les esprits en dirigeant Candide de Bernstein sur la scène du Lincoln Center avec, aux côtés de Paul Groves et Sir Thomas Allen, deux stars de Broadway : Kristin Chenoweth dans le rôle de Cunégonde, et Patti LuPone dans celui de la Vieille Dame. Spectacle semi-scénique à l’humour très américain, la production n’avait pas convaincu l’ensemble de la critique mais avait trouvé son public, et sa popularité ne s’est jamais démentie : son « Glitter and be gay » dépasse aujourd’hui le million de vues sur Youtube, et reste la version la plus écoutée de cet air sur la plateforme.

En 2018, c’est de l’autre côté de l’Atlantique que Marin Alsop retrouve Candide, délaissant le New York Philharmonic Orchestra pour le London Symphony Orchestra, et la scène du Lincoln Center pour celle du Barbican à Londres. La cheffe ne garde avec elle que le formidable Docteur Pangloss de Sir Thomas Allen, rejoint par une distribution issue du monde lyrique et non plus de la comédie musicale : un casting solide des premiers aux plus petits rôles qui assure de beaux moments musicaux au disque. Que ce dernier ait été enregistré en live durant les représentations mises en scène par Garnett Bruce donne également un rythme et une énergie théâtrale que le studio n’aurait peut-être permis à ce point ; mais un avertissement s’impose au public non anglophone : les dialogues ne sont pas reproduits dans le livret accompagnant l’album, et les airs n’y sont pas traduits. L’impact et l’humour des répliques peuvent donc s’en trouver largement diminués si l’on ne maîtrise pas la langue : un sacré point négatif pour cette œuvre.

Le héros est interprété ici par le ténor Leonardo Capalbo, que le public français a pu découvrir cet été en Pinkerton à l’Opéra du Rhin. Dans un registre radicalement différent, son Candide possède une naïveté dans la voix, une simplicité aussi dans l’émission qui caractérisent parfaitement bien le personnage : son « It must be so » sait à la fois être touchant et sous-entendre l’ironie du livret, tandis que la ballade de l’Eldorado permet de faire entendre une élégance certaine du chant et du phrasé. Le caractère innocent de Candide (tant dramatiquement que vocalement) ressort mieux encore dans ses duos avec Cunégonde, dont le très réussi « You were dead you know » au premier acte – où Bernstein s’amuse des cadences de l’opéra italien. La Cunégonde de Jane Archibald ne manque en effet pas d’atouts : sans faire démonstration de ses capacités vocales, sans rajouter d’ornements ou de suraigus dans « Glitter and be gay », la soprano dit remarquablement le texte lorsqu’elle chante. Elle n’est pas seulement une voix – et pas seulement des aigus ! – mais dessine son personnage d’un bout à l’autre de l’œuvre : une fois Cunégonde à Paris, on sent dans le timbre une couleur moins naïve que dans le meilleur des mondes possibles de Thunder-Ten-Tronck, et Jane Archibald joue remarquablement l’innocence outragée. La voix est homogène, lumineuse, et traverse avec aisance les difficultés de la partition tout en gardant un medium solide et sonore.

Sir Thomas Allen, nous l’avons évoqué, retrouve avec le docteur Pangloss un rôle qu’il connaît bien et qu’il incarne superbement – vocalement, mais aussi dans les très nombreux dialogues et récits parlés. Il revient en effet à Pangloss de mener l’œuvre, d’annoncer les événements, de les commenter ; il faut un interprète capable de créer une connivence avec le public et Thomas Allen possède dans son jeu un flegme, une fausse distance qui permettent à l’humour de fonctionner sans tomber dans le gag ou l’outrance. On pourrait difficilement rêver mieux, et lorsque la Vieille Dame est interprétée par Anne Sofie von Otter, c’est décidément du grand luxe : la voix est évidemment superbe, mais surtout la mezzo-soprano donne au personnage un mélange incongru de classe, de ridicule, de joie, de sérieux, toujours sur le fil. Elle est sans conteste le personnage le plus drôle au disque, et on ne se lasse pas de son « I am easily assimilated » ni du « What’s the use » qu’elle partage avec Ragotski et Maximilian.

L’ensemble de la distribution est entièrement convaincant, on l’a dit, des premiers aux plus petits rôles ; mais parmi les nombreux solistes on mentionnera tout particulièrement Thomas Atkins, gouverneur à l’aigu rayonnant dans une sérénade très réussie et Vanderdendur frappant. La scène de l’autodafé est également l’une des plus réussies de l’œuvre grâce à l’Inquisiteur de Frederick Jones, aux juges de Marcus Farnsworth (interprète également de Maximilian) et Jonathan Eyers, et aux divers solos de Lucy McAuley, Carmen Artaza (qui incarne aussi Paquette), Liam Bonthrone et Katherine McIndoe.

Mais que serait l’autodafé sans son chœur ? Le London Symphony Chorus est remarquable par le mordant des consonnes, par la qualité des nuances, mais aussi par son adaptabilité à tous les styles mobilisés par Bernstein – du choral au tango en passant par des pages plus caractéristiques du grand opéra, ou au contraire de la comédie musicale. On apprécie cette même capacité d’adaptation chez le London Symphony Orchestra qui conserve d’un bout à l’autre de l’œuvre une vraie élégance, ne cédant jamais à la lourdeur et laissant aux chanteurs le soin d’être drôles. Marin Alsop tire de l’orchestre de belles pages lyriques et évocatrices, à l’image de l’arrivée à l’Eldorado, mais n’oublie jamais de faire entendre les rythmes qui sous-tendent la partition. Elle permet également aux musiciens de jouer sans cesse avec les couleurs, avec les textures : on sent la dimension plurielle de l’écriture de Bernstein, son jeu avec les formes et les esthétiques, mais servis par une attention constante aux effets de timbres voulus par le compositeur. C’est une direction qui fouille le détail et trouve l’équilibre adéquat entre l’efficacité théâtrale et un raffinement dans la lecture.

Avec autant d’atouts, difficile de ne pas être conquis par cette version enlevée et intelligente de Candide qui – même si l’œuvre souffre de ne pas être servie par une mise en scène – rend un bel hommage à la musique de Bernstein.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
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