Captée par la RAI et distribuée par les éditions Decca, cette Turandot donnée à la Scala de Milan en mai 2015 dans le cadre de l’Exposition Universelle, est avant tout une réussite musicale vers laquelle l’on pourra revenir fréquemment et se référer à l’avenir. Esthète rivalisant d’imagination et d’élégance, Riccardo Chailly dirige l’ultime partition puccinienne avec la plus grande délectation. L’orchestre de la Scala scintille dans la nuit pékinoise, surprend pas son raffinement et sa capacité quasi féline à instaurer un climat tantôt effrayant, tantôt enchanteur comme dans une fable où la narration était soumise au suspense le plus intense, avant l’issue heureuse. Loin des habituels débordements sonores, le maestro italien manie la puissance, notamment dans les scènes d’ensemble réglées au millimètre, où viennent s’enchâsser les chœurs magnifiquement préparées par Bruno Casoni et à la poésie, qui accompagne les moments plus intimes comme l’arrestation de Liu et ses tendres aveux, aux cordes exceptionnellement chantantes. Ce qui allait être la dernière mise en scène de Nikolaus Lehnhoff, celui-ci décédant quelques mois après des suites d’une longue maladie, vaut surtout pour son esthétique, son très beau palais clouté et percé d’oculi, ses splendides lumières (Duane Schuler) et ses costumes très originaux (celui de Turandot qui transforme la Princesse en un étrange animal couvert de résille et de plumes noires est assez réussi), sa lecture linéaire et respectueuse pouvant apparaître trop sage. Le regard posé sur ce travail par la réalisatrice Patrizia Carmine en saisit cependant avec pertinence les qualités pour obtenir un résultat très honorable.
Le Calaf d’Aleksandrs Antonenko n’est pas aussi probant que son Otello, l’aigu n’est pas toujours stable et le timbre parait parfois engorgé, mais sa prestation générale et son jeu économe méritent les éloges. Beaucoup moins à l’aise en Turandot qu’en Minnie de La Fanciulla del West (réglée par Lehnhoff et vue à Paris en 2014/ou avec Jonas Kaufmann dans une mise en scène de Marco Arturo Marelli (Vienne) en DVD Sony) Nina Stemme casquée, caparaçonnée, inaccessible, est plus d’une fois aux limites de son instrument, ne pouvant tenir bien longtemps les aigus d’« In questa reggia », à la différence d’une certaine soprano suédoise à qui on la compare souvent. Très intéressante, la scène finale composée par Luciano Berio en 2001, résolument moderne et moins clinquante que celle d’Alfano, permet au couple de s’apprivoiser avec calme et sérénité avant de quitter le palais main dans la main aux premiers feux du jour.
Maria Agresta grimace beaucoup mais chante Liù à ravir, d’une voix pulpeuse aux doux aigus filés, Alexander Tsymbalyuk est un efficace Timur, Gianluca Breda un Mandarin expressif, Carlo Bosi un Altoum sonore, tandis que Angelo Veccia, Roberto Covacca et Blagoj Nacoski forment un trio de clowns (Ping, Pang, Pong) d’une belle cohérence scénique et vocale.