« Nisi Dominus »

Serafino Razzi (1531–1613)
« O Vergin Santa »
« O Dolcezza »

Francisco Soto de Langa (1534–1619)
« Giesù diletto sposo »

Antonio Vivaldi (1678–1741)
Sinfonia al Santo Sepolcro
Invicti Bellata
Nisi Dominus

Pietro Antonio Locatelli (1695–1764)
Sinfonia Funebre

Eva Zaïcik, mezzo-soprano
Déborah Cachet, soprano
Benoît-Joseph Meier, Francisco Mañalich, ténors
Virgile Ancely, basse

Le Poème Harmonique
Direction musicale : Vincent Dumestre

1 CD Alpha Classics – 58’31

 

Enregistré en août 2020 à la Chapelle Corneille, Auditorium de Normandie (Rouen)

Avec cet album « Nisi Dominus », Le Poème Harmonique et la mezzo-soprano Eva Zaïcik ne rendent pas seulement hommage à Vivaldi mais mettent en lumière divers pans de la musique sacrée baroque, et les mutations qu’elle a connues. Motets, sinfonie et laude spirituali se succèdent dans un enregistrement équilibré, à la direction élégante et bien tenue. La soprano Déborah Cachet, les ténors Benoît-Joseph Meier et Francisco Mañalich et la basse Virgile Ancely apportent également leur contribution à l’album, au programme et à la réalisation particulièrement soignés.

Après de nombreuses collaborations sur scène et au disque (entre autres Phaéton à l’Opéra Royal, ou Cadmus et Hermione et Le Bourgeois gentilhomme sous le label du Château de Versailles), Le Poème Harmonique dirigé par Vincent Dumestre et la mezzo-soprano Eva Zaïcik se retrouvent pour un programme de musique sacrée paru chez Alpha Classics. Mais que le titre de l’album ne nous trompe pas : il ne s’agit pas d’un enregistrement consacré à Vivaldi – dont le Nisi Dominus serait la pièce maîtresse – mais plutôt d’une déambulation à l’ère baroque, où se côtoient des œuvres en langue latine et les laude spirituali en langue vernaculaire, dont l’ambition était de toucher l’auditeur en parlant son langage.

Aux côtés des motets Invicti Bellate et Nisi Dominus donc, des pièces vocales et instrumentales bien moins connues signées Serafino Razzi, Francisco Soto de Langa ou Pietro Antonio Locatelli viennent dresser le portrait d’une époque où la musique sacrée était tout empreinte de beau chant ainsi que d’une certaine lumière : comme l’explique Caroline Panel dans son introduction à l’album, la louange divine a remplacé progressivement, à partir du XVIème siècle, la mortification ; ainsi, les pages les plus sombres du programme gardent toujours une forme de joie ou d’apaisement, à l’image de la très belle Sinfonia Funebre de Locatelli qui s’achève sur un mouvement radieux et enlevé.

Connu surtout pour ses talents de violoniste, Pietro Antonio Locatelli compose cette œuvre pour les funérailles de son épouse. Le titre et les circonstances de la composition laissent présager une partition tragique, et pourtant cette sinfonia est une réelle progression de l’ombre à la lumière : dès le troisième mouvement, le caractère funèbre est traversé par des couleurs plus apaisées, avant de se déployer dans une musique sereine et presque joyeuse dans un ultime mouvement qui porte bien son nom, « La Consolatione ». Une douceur et un retour à la vie que les musiciens du Poème Harmonique rendent avec une élégance impeccable.

Beaucoup plus théâtral et dramatisé, le motet Invicti Bellate offre à la mezzo-soprano Eva Zaïcik l’occasion de dérouler tout un parcours expressif, Vivaldi développant en à peine dix minutes une musique au caractère et à l’écriture variés. La chanteuse démontre une grande agilité ainsi que de belles qualités d’ornementation dans le Presto comme dans l’Alléluia final. Mais on apprécie également, notamment dans le deuxième mouvement, une rondeur toujours égale du timbre, et un grave dense et plein. C’est d’autant plus évident alors que les musiciens du Poème Harmonique semblent se fondre au plus près de la voix, et en suivre toutes les inflexions.

Car tout au long de l’album, la direction de Vincent Dumestre se veut mesurée, équilibrée, ne tombant jamais dans l’excès dramatique mais préférant un phrasé précis et de grandes respirations, qui viennent ponctuer le discours musical. La Sinfonia al Santo Sepolcro est tout à fait dans cet esprit, à la fois animée et gardant le contrôle de ses forces. C’est également l’impression que donne le Nisi Dominus, que l’on a connu souvent plus intense dramatiquement ; mais on apprécie cette relative sobriété de l’orchestre. Le « Cum dederit » est ainsi plus planant que glaçant, et les pages virtuoses alternent avec le caractère feutré et presque intimiste des mouvements lents. Eva Zaïcik propose dans ce motet de nombreux ornements qui permettent d’apprécier, on l’a dit, son agilité vocale, mais aussi sa maîtrise de la ligne. Précision des vocalises, longueur du souffle, richesse du timbre : toutes les qualités sont réunies chez la mezzo-soprano pour porter ce Nisi Dominus et en rendre les multiples facettes.

A ses côtés, la soprano Déborah Cachet interprète une superbe pièce de Serafino Razzi, « O Vergin Santa ». La voix presque à nu, soutenue uniquement par des cordes, est tout entière dans l’expression du texte que les ornements viennent habiller. L’autre pièce du compositeur, « O dolcezza », confiée aux voix de Benoît-Joseph Meier, Francisco Mañalich et Virgile Ancely, est quant à elle a cappella et séduit immédiatement par l’entremêlement des timbres, où l’absence d’accompagnement instrumental n’enlève rien à l’intensité du chant ni à son expressivité. Dialogue entre les trois voix masculines et de brèves interventions de la soprano, cette œuvre est sans doute l’une des pages les plus réussies de l’album – et l’engagement des chanteurs y est pour beaucoup, autant dans l’attention portée au texte que dans la recherche d’une osmose des voix.

S’il reste peu connu du grand public, Serafino Razzi a pourtant laissé à la postérité une large collection de laude spirituali, chantées souvent par des moines au sein des confréries (notamment lors des offices des Heures) et lors de processions religieuses. Ces laude spirituali constituent ainsi un contrepoint très intéressant aux motets de Vivaldi, à la fois par leur forme, leur langue, leur orchestration (ou leur absence d’orchestration) et leur dispositif vocal. L’ambition de raconter le renouveau de la spiritualité initié au XVIème siècle est ici réalisée puisque sont présentées en miroir des pièces ponctuant la vie religieuse, s’adressant aux fidèles dans leur dialecte, et deux motets de plus grande dimension où la musique vise à exalter la foi par sa beauté et par une expressivité qui regarde vers le théâtre.

Un album qui suscitera l’intérêt des amateurs de musique vocale par la qualité de ses interprètes et qui ouvre une porte vers un répertoire relativement méconnu, aux côtés du célèbre Nisi Dominus qui gagne à être entendu en connaissance du contexte musical et religieux qui l’entoure.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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