Patricia Petibon a toujours voulu se démarquer, sortir des sentiers battus, ne pas faire comme toutes les cantatrices de sa génération et cela ne lui a pas toujours été bénéfique. Inutile de revenir sur certaines incartades passées comme ces duos avec des chanteurs de variétés, des erreurs de jeunesse qui lui ont été reprochées et que les Majors de l’époque lui ont fait payer. On croyait la française calmée, assagie par une carrière jalonnée de succès, de rencontres et de rôles qui auraient dû satisfaire ses appétits, mais c’était mal la connaître. Pour sincère et personnel qu’il soit, son nouveau disque baptisé L’Amour, la Mort, la Mer n’est rien d’autre qu’un énième programme qui tend à décloisonner la musique. Sous cette pompeuse trinité, Patricia Petibon veut nous prouver que toutes les musiques se valent, que tous les styles peuvent cohabiter, de la mélodie française à la chanson, du répertoire contemporain au folklore traditionnel. Pourquoi pas, elle n’est ni la première ni la dernière à s’être engagée dans une telle entreprise, mais une fois de plus cette démarche œcuménique s’apparente au final à du cross-over, sans parvenir à cocher toutes les cases.
D’abord parce que la voix de la chanteuse n’est pas faite pour servir aussi bien les mélodies de Fauré que les chansons de Yann Tiersen ou de John Lennon. L’instrument souffre aujourd’hui d’une absence de rondeur, de pulpe et de rayonnement qui assèche son chant et rend pénible cette alternance forcée. Chez Bacri, comme chez Granados ou Reynaldo Hahn, Petibon se plaît à détimbrer, à chanter fixe et droit, d’une voix d’autant plus aigre qu’elle ne vibre pas. Ce choix aurait pu être supportable pour apporter à certaines pièces une coloration spécifique, mais en le systématisant, il nuit à l’écoute de l’album qui en devient irritante. La thématique est respectée, l’évocation de l’Amour, côtoyant avec diverses approches de la Mort comme celle de la poétesse argentine Alfonsina qui s’est suicidée, « Alfonsina y el mar » de Ramirez, l’élément aquatique étant largement présent en plus de ces vagues mixées à plusieurs reprises pour accompagner les œuvres de Cras et de Villa-Lobos. Outre certains bruitages malvenus, les arrangements qui associent le piano discret de Susan Manoff (accompagnatrice que nous avons entendu plus inspirée aux côtés de Véronique Gens notamment) à la présence intempestive de la cornemuse, de l’accordéon ou des percussions posent problème, car au lieu d’apporter de la chair, de la chaleur, du liant aux interprétations exagérément exsangues de la soprano, ils renforcent l’aspect tranchant et privé de vie de l’ensemble.
En plus de confronter les styles et les genres musicaux, Patricia Petibon alterne (plutôt aisément !) les langues étrangères passant allègrement du français à l’anglais et de l’espagnol au portugais, mais quand elle ne cultive pas les atmosphères ouatées et cotonneuses comme dans sa version revisitée du standard de John Lennon et Yoko Ono « Oh my love » (album Imagine publiée en 1971) conclue par un aigu blanc et coupant comme du verre, elle ne peut s’empêcher d’émettre des borborygmes « Lok Gweltaz », ou pire encore de faire le macaque ou l’oiseau des îles, dans cette très gênante exécution de « Dona Janaina » de Francisco Mignone. Si Poulenc – qui lui colle décidément à la peau ! – résiste et lui arrache quelques accents intenses et dramatiques, tout comme la très mélancolique « Cancion del grumete » de Rodrigo, son « Danny Boy » surchargé d’intentions comme si une candidate de « The Voice » s’en était emparé, est un contresens total, cette chanson traditionnelle irlandaise d’une pureté absolue gagnant à être interprétée sans aucun effet, de la plus simple et sobre manière.
Nous avons bien compris que cet album lui tenait à cœur et que Patricia Petibon prenait le risque d’en assumer toutes les excentricités, ceci posé, l’auditeur sera en droit d’adhérer à cette proposition, ou pas.