Giuseppe Verdi (1813–1901)
Macbeth (1847)
Opéra en 4 actes
Livret de Francesco Maria Piave & Andrea Maffei d’après William Shakespeare
Créé au Teatro della Pergola à Florence, le 14 mars 1847
Version finale en italien, Milan, Teatro alla Scala, le 28 janvier 1874 (avec le ballet)
Direction musicale : Daniele Callegari
Mise en scène et lumières : Daniel Benoin
Scénographie : Jean-Pierre Laporte
Costumes : Nathalie Bérard-Benoin
Vidéo : Paulo Correia

Macbeth : Dalibor Jenis
Lady Macbeth : Silvia Dalla Benetta
Macduff : Samuele Simoncini
Banco : Giacomo Prestia
Malcom : David Astorga
Une servante : Marta Mari
Un docteur : Geoffroy Buffière

Orchestre Philharmonique de Nice
Chœur de l’Opéra Nice Côte d’Azur

Coproduction Théatre Anthéa d’Antibes et Opéra de Saint-Etienne

Nice, Opéra Nice-Côte d'Azur, vendredi 20 mai 2022, 20h

Daniel Benoin met en scène un Macbeth de Verdi où se croisent les thématiques de la guerre des armes et des sexes, avec les pittoresques et célèbres sorcières en étendard de la cause des femmes en temps de conflit. Avec efficacité et justesse, la scénographie rend justice au drame shakespearien en alliant l'intrigue à la dimension sociale et historique. Le plateau présente des qualités variables, depuis la Lady Macbeth de Silvia Dalla Benetta en passant par le rôle-titre de Dalibor Jenis et le somptueux Giacomo Prestia en Banco. À la tête d'un Orchestre de l'Opéra de Nice particulièrement inspiré, Daniele Callegari donne carrure et stabilité à un ensemble de haute tenue. 

Déprogrammé pour cause de Covid, ce Macbeth de Verdi mis en scène par Daniel Benoin débarque sur la scène de l'Opéra de Nice. L'indéniable hauteur de vue avec laquelle il aborde ce chef d'œuvre se double de l'ambition d'accorder au livret de Francesco Maria Piave une dimension sociale qui déborde et actualise la thématique shakespearienne. La scénographie s'appuie en particulier sur une généreuse galerie d'images vidéos signée Paulo Correia qui débutent par des images d'archives colorisées de la guerre de 1914–18. On comprend dès l'ouverture que Macbeth et Banco sont engagés dans le conflit mondial, parmi leurs compatriotes anglais facilement reconnaissables à leurs casques Brodie et leur vareuse caramel. Les insertions vidéos les montrent partageant les mêmes souffrances, liés par l'amitié des anciens combattants au moment où le rideau se lève sur la fameuse scène des sorcières. Ce sont celles-ci qui intéressent le plus Daniel Benoin, comme en témoigne la longue réflexion qu'il accorde dans le livret de présentation. L'idée de départ concerne celles qu'on appelait "sorcières" pour dissimuler une domination sociale masculine. En mêlant chanteuses et figurantes, Benoin augmente leur présence scénique, au point de miser sur une véritable assemblée d'ouvrières qui revendique une véritable force d'opposition.

L'intérêt est tout d'abord de faire allusion au remplacement dans les usines des hommes partis combattre au front. Les impressionnantes portes d'acier dévoilent à l'arrière-scène un haut fourneau autour duquel s'activent les ouvrières, tandis qu'à l'avant se trouvent les rangées d'habitations dans de tristes maisonnettes en briques, le tout baigné d'une dispensable fine bruine tombant des cintres (nous sommes outre-Manche, il ne faut pas l'oublier). Déployées de face bras dessus bras dessous durant le ballet du II (donné ici dans la version de Milan), les "sorcières" substituent le néo-réalisme des films de Vittorio de Sica aux effets surnaturels. Cette assemblée rappelle explicitement la rangée des ouvriers de Il Quarto Stato, le célèbre tableau de Giuseppe Pellizza da Volpedo, avec des revendications syndicales en guise de prédictions maléfiques.

"Il Quarto stato" de Giuseppe Pelizza da Volpedo (Museo del Novecento, Milano)

À l'espace dévolu aux ouvrières succède l'intérieur cossu du palais de Macbeth, avec des dominantes bleu nuit et un style éminemment art déco où l'on repère l'allusion discrète à l'Écosse, avec cette haute frise aux motifs de chardons. Les costumes de Jean-Pierre Laporte prolongent les vidéos en jouant également la carte de la lisibilité et du didactique. Côté costumes (signés Nathalie Bérard-Benoin), le couple Macbeth s'habille chez Poiret, complet cravate pour Monsieur, robe de mousseline et aigrette pour Madame. Psychologiquement, ce sont toujours les deux ignobles monstres imaginés par Shakespeare : Lady Macbeth lit la lettre avec une gourmandise de fauve tandis que Macbeth bouscule d'un coup de pied le cadavre de Duncan qui roule de la table jusqu'au sol. Macduff fera de même à la toute fin avec le cadavre de Macbeth, ce qui sous-entend que la lutte pour le pouvoir n'est qu'une longue série de meurtres et de vengeance. Les longues séquences vidéos dans le mode heroic fantasy viennent illustrer les hallucinations de Macbeth au II, entre la vision du poignard sanguinolent qui a servi au meurtre de Banco, et une tête de mort ricanante qui apparaît et éclate en nuages de fumée. En parfait contraste avec cet imaginaire, les rangées d'ouvrières se déploient durant le ballet, détournant l'attention des nervis venus mater la révolte en offrant à leurs regards leurs poitrines nues pour mieux les massacrer par la suite – sanglant écho à une conclusion façon film noir et règlement de compte…

Dalibor Jenis (Macbeth)

Le plateau présente un ensemble contrasté où forces et faiblesses s'équilibrent globalement. Peu sollicités par la direction d'acteur, les interprètes se dévoilent vocalement, aux antipodes de gestes et mises de convention. Dalibor Jenis noie son Macbeth dans une ligne assez alambiquée, multipliant les prises d'air qui l'obligent à détimbrer curieusement son médium dans Fuggi regal fantasma ou réduire la voilure pour pouvoir lancer les aigus du O lieto augurio. La ligne vocale de Silvia Dalla Benetta disparaît quelque peu dans tout le registre grave du Vieni t'affretta, pour réapparaître edans la cascade des aigus dardés et vibrés du Or tutti, sorgete. Le trouble très contrôlé de sa scène de somnambulisme fait entendre une interprète aguerrie qui sait comment ménager ses effets théâtraux dans La luce langue sans pousser trop loin un instrument parfois mis à mal sur le plan purement technique. Le Banco de Giacomo Prestia dévoile de bien beaux restes dans la projection et le volume. D'une invariable justesse d'impact et de timbre, il impose par le phrasé et le legato une impressionnante présence en scène. Le Macduff de Samuele Simoncini surjoue la douleur dans Ah, la paterna mano avec des consonnes assez écrasées, tandis que David Astorga offre à Malcolm de belles nuances. Le Chœur de l'Opéra de Nice brille d'une cohérence parfois inégale – parfait de mise en place et d'accent dans les scansions sarcastiques des sorcières, mais plus aléatoire et brouillon dans les grandes agitations de la fin du Schiudi inferno quand tous les protagonistes se bousculent dans cet espace réduit.

Daniele Callegari donne à l'ensemble une carrure et une élégance qui marie de belle manière le plateau avec les forces vives de l'Orchestre Philharmonique de Nice. On notera une attention particulière à soutenir les changements de climats entre les scènes dramatiques, les ensembles et les moments intimistes. La vivacité des tempi traduit la volonté de donner un caractère allant, sans s'attarder à des décalages qui peuvent apparaître dans l'articulation des interventions du chœur et des solistes à la fin du I ou dans le chœur final de réjouissance (Vittoria !). La petite harmonie tire brillamment son épingle du jeu, incandescente dans le pépiements des sorcières (Che faceste ? dite su !), avec des cordes capables de rendre la tension et les abîmes de l'irrémédiable folie sépare les deux protagonistes (Vi trovo alfin !).

Dalibor Jenis (Macbeth), Giacomo Prestia (Banco)
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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