Siegfried Wagner (1869–1930)
Der Friedensengel op.10 (1914/1926)
Opéra en trois actes
Composé en 1914 et créé le 4 mars 1926 au Badisches Landestheater de Karlsruhe

Direction musicale : Ulrich Leykam
Mise en scene : Peter P. Pachl
Décors et vidéos : Robert Pflanz
Costumes : Christian Bruns
Dramaturgie : Achim Bahr

Willfried : Giorgio Valenta
Kathrin : Maarja Purga
Eruna : Julia Reznik
Mita : Rebecca Broberg
Balthasar : Uli Bützer
Der Doktor, Ein Totengräber : Chunho You
Der Pfarrer : Robert Fendl
Gundel : Anna Ihring
Anselm : Lars Tappert
Reinhold : Andries Cloete
Gerta : Rafaela Fernandes
Ruprecht : Reuben Scott
Rudi : Jakob Ewert
Ein Fronbote : Di Guan
Die schlampige Trina : Angelika Muchitsch
Festgast : Marie-Luise Reinhard
Mitja : Mathis Bargel

The Bayreuth Digital Orchestra
Das pianopianissimo musiktheater Ensemble

Bayreuth, Reichshof Kulturbühne , 22 août 2021, 18h

Pauvre Siegfried Wagner ! Relégué toute sa vie au rang de "fils de" sans pouvoir se défaire de cet héritage, sa vie publique et sa vie privée porte la marque du sceau familial. À l'ombre du père succéda rapidement celle de sa mère Cosima, qui n'acceptera qu'à contrecœur de lui céder la direction du Festival de Bayreuth tout en continuant de peser en sous-main sur les choix artistiques. On doit à la Société Siegfried Wagner (https://www.siegfried-wagner.org/) l'initiative de monter en version scénique des opéras depuis longtemps archivés et dont même les traces discographiques sont aussi rares que les représentations. En marge du Festival de Bayreuth, c'est dans la modeste salle du Reichshof que se déroulent les concerts, avec pour cette saison, Der Friedensengel (l'Ange de Paix) qui succède à Flammesonnen en 2020. Initiative certes louable puisque l'opéra n'avait pas été mis en scène depuis sa création en 1926 (à l'exception d'une version concert à Londres en 1975, dirigée par Leslie Head avec une équipe de seconde zone où brillait encore la Kathrin de Martha Mödl). Disons-le franchement, l'intérêt de l'ouvrage est bien limité et la curiosité s'arrête au documentaire…

Das pianopianissimo musiktheater Ensemble © Robert Pflanz

Le festivalier s'étonne toujours de remarquer combien la ville de Bayreuth semble tourner le dos à son célèbre Festival. Les bayreuthiens se replient dans une paisible atmosphère de ville de province, profitant du charme du parc et du château rococo et cherchant la fraîcheur dans les balades dans la campagne environnante, dans les Biergarten de l'Ermitage et du Sans-Souci. Le Festival de Bayreuth vit à l'écart de la ville en elle-même, sur la fameuse Colline que l'on gravit dès le milieu d'après-midi pour n'en redescendre que tard dans la soirée. Seule la présence estivale dans les rues de la vieille ville de groupes en smoking et robe de gala signale que quelque chose ailleurs est en train de se passer…

Les plus curieux iront visiter la Villa Wahnfried, récemment rénovée et augmentée d'un vaste espace d'exposition. Les autres iront à la manufacture de pianos Steingraeber & Söhne qui abrite également une salle de concert et un espace – musée qui accueille cette année une exposition dédiée à l'opéra Der Friedensengel. Seules deux représentations ont pu être organisées, avec des moyens très réduits et dans l'ancien cinéma Reichshof (qui a accueilli cette année les représentations de Tristan en version Kinderoper). Dans des conditions que la politique sanitaire très stricte aura fini de rendre très contraignantes, on ne peut que saluer l'initiative des acteurs locaux fédérés par la municipalité de Bayreuth pour avoir pu organiser ces concerts. L'équipe artistique est placée sous la direction de Peter P. Pachl, actuel directeur de la Société Siegfried Wagner, metteur en scène et ancien assistant de Götz Friedrich, Hans Neuenfels ou Hans-Peter Lehmann dans plusieurs maisons d'opéra en Allemagne. En parallèle avec sa carrière de dramaturge à Nuremberg, Wuppertal, Ulm ou Wiesbaden, il a fondé à Munich la troupe Pianopianissimo-Musiktheater qui se produit ce soir sur scène.

L'intérêt relatif du public pour les opéras de Siegfried Wagner vient surtout du quasi oubli dans lequel son œuvre est tombée. De la vingtaine d'opéras sur des livrets naïfs et féériques, il ne subsiste bien souvent que de rares traces enregistrées sous des labels discographiques confidentiels, destinées à des auditeurs curieux et disons-le franchement : endurants. Il y a dans la vie de cet homme une sorte malédiction et de fatalité qui le poursuivit jusque dans la mort. Décédé quelques mois après Cosima, il subit longtemps les tourments de cette mère autoritaire, contrariant son homosexualité par un mariage arrangé avec Winifried Williams et pesant de toute sa force rétrograde pour défendre et élever le culte wagnérien au rang de religion.

Suivant la tradition paternelle, Siegfried s'attela à la rédaction des livrets de ses opéras, avec un goût prononcé pour un romantisme populaire à la complexité et aux incohérences frisant parfois le burlesque. Parmi les titres les plus célèbres, on peut citer Der Bärenhäuter (L'Écorcheur d'ours), un premier opéra écrit en 1898, basé sur un conte de fées des frères Grimm et créé avec grand succès au Théâtre national de Munich. Les ouvrages suivants ne connurent pas le même sort et tombèrent rapidement dans l'oubli. Citons Sonnenflammen (les Flammes du Soleil) en 1912, Der Schmied von Marienburg (Le Forgeron de Marienburg) en 1920, Schwarzschwanenreich (l'Empire du Cygne noir) en 1910 et donc, Der Friedensengel (l'Ange de Paix) qui voit le jour en même temps qu'éclate le premier conflit mondial. Comme les autres livrets, l'action se déroule dans le contexte historique inactuel d'une Renaissance germanique et romantisée qui tranche avec le contexte dramatique de l'actualité du moment.

Rebecca Broberg (Mita) © Robert Pflanz

Il faut une véritable foi du charbonnier (ou les talents d'un psychanalyste) pour parvenir à dénouer tous les fils de cette intrigue, à la fois rocambolesque et improbable. Nous sommes en Franconie dans la petite bourgade de Kronach où coule la bière et dansent les paysans locaux. Le brave Willfried veut mettre un terme au mariage arrangé par sa mère Kathrin avec Eruna pour vivre pleinement l'amour qu'il partage avec Mita. Eruna refuse de rompre – situation inverse de Vénus et Tannhäuser dans la scène du Venusberg… à moins qu'il ne s'agisse de réminiscences de la relation intime Siegfried – Winifried ? Kathrin convoque un philosophe de village pour tenter de le guérir de son inconstance par une curieuse séance de phrénologie, mais rien n'y fait. En bon romantique allemand qui se respecte, Willfried veut fuir "dans le pays éternel et lointain", ce qui est possible avec l'aide d'un assistant bienveillant, l'Ange de Paix. Mita se montre réticente (on le serait à moins !), en découvrant un poignard dans la main de Willfried. Après un air déchirant, celui-ci décide de se suicider seul. Il écrit une lettre d'adieu à sa mère Kathrin et pose un crucifix à côté, puis disparaît dans la pièce voisine et commet l'irréparable.

S'ensuit un imbroglio dans lequel Kathrin, découvrant son fils mort, décide de maquiller le suicide en meurtre afin qu'il puisse être enterré à l'église. Entretemps, Mita est entrée dans un monastère mais s'enfuit rapidement et file retrouver Reinhold, un amour de jeunesse. Celui-ci lui confesse son "érotisme sauvage" et lui conte sans pudeur son désir de multiplier les épouses autour de lui tel un parfait musulman (sic). La femme de Reinhold n'est pas vraiment du même avis et se venge de cette nouvelle infidélité en exhibant Mita devant la porte de l'église avec une pancarte "Prostituée". Un tribunal d'exception la condamne à l'exil et contraint à exhumer le corps de Willfried puisque Kathrin vient d'avouer la tromperie. Le corps d'un suicidé ne saurait reposer en terre sacrée mais au moment où les hommes arrivent au cimetière, ils découvrent Mita, allongée morte sur la tombe de Willfried. L'Ange de Paix apparaît, indiquant à tous que le couple est désormais élevé au rang de saints.

Ce spectacle de trois heures n'est pas simplement un défi pour l'auditeur, il l'est également pour des interprètes dont les qualités techniques sont régulièrement mises à mal par la difficulté d'une partition qui exige pas moins d'une vingtaine de chanteurs, avec quatre parties de ténor particulièrement sollicitées et une soprano dramatique de bon niveau.

L'indigence de la mise en scène et l'acoustique précaire du lieu réduisent passablement les possibilités pour les interprètes de fendre l'armure et s'exprimer correctement. Les chanteurs errent sur scène durant l'introduction orchestrale, en tenues d'astronautes parmi des piles de livres et sur fond de vidéos censées illustrer un espace-temps qui relate l'histoire des conflits et des guerres entre les hommes. Ce mélange assumé de kitsch se prolonge par des panneaux où défilent des éléments de synopsis dans un affichage de film de science-fiction. Abandonnés sur scène sans réelle direction d'acteur et dans des costumes hésitant entre folklore et banalité vaguement actualisée, les chanteurs font de leur mieux pour animer la soirée. Comme il serait absurde dans de telles circonstances de passer par le menu détail les qualités et défauts d'un plateau alternant entre franche médiocrité et niveau honorable, nous nous contenterons de citer les principaux protagonistes, heureusement distribués parmi les meilleurs éléments.

C'est évidemment le cas du Willfried de Giorgio Valenta, dont les envolées dans la scène du suicide font oublier une ligne générale souvent à la limite de la rupture. La Mita vibrante et inspirée de Rebecca Broberg aurait mérité des airs moins discontinus et un rôle plus cohérent. Andries Cloete offre à Reinhold les contours d'un Klingsor à la voix de ténor, cornaqué par la pétulante Gerta de Rafaela Fernandes. Uli Bützer est convaincant en Balthasar le philosophe, avec Chunho You en acolyte Docteur et fossoyeur tandis que Maarja Purga et Julia Reznik tirent leur épingle du jeu en Kathrin et Eruna.

Ces maigres réjouissances se brisent net sur un accompagnement orchestral réduit à une bouillie électronique présentée comme "solution spéciale" pour répondre aux exigences de la crise sanitaire. On est loin ici des prouesses technologiques déployées plus haut sur la Colline du Festspielhaus avec les chœurs et les figurants. De maigres sons synthétiques font office de musiciens virtuels ; le chef d'orchestre Ulrich Leykam dirigeant les chanteurs d'une main et son ordinateur-orchestre de l'autre. Même si le dispositif électronique réagit en temps réels aux changements de tempo et de volume, il fait entendre un ersatz sonore qui fait regretter une matière orchestrale que l'on devine foisonnante au-delà d'une écoute largement amputée par les circonstances.

Di Guan (Ein Fronbote), Robert Fendl (Der Pfarrer), Jakob Ewert (Rudi), Martin Modes (Der Friedensengel) © Robert Pflanz
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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