Giuseppe Verdi (1813–1901)

Rigoletto (1851)
Melodramma  in un prologo e tre atti  sur un livret de Francesco Maria Piave, d’après Le Roi s’amuse de Victor Hugo.

Mise en scène : Charles Roubaud
Scénographie : Emmanuelle Favre
Costumes : Katia Duflot
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Vidéos : Virgile Koering
Chorégraphie : Jean-Charles Gil

Avec :

Leo Nucci (Rigoletto)
£Nadine Sierra(Gilda)
Marie-Ange Todorovitch (Maddalena)
Cornelia Oncioiu (Giovanna)
Amélie Robins (La Contessa di Ceprano)
Celso Albelo (Il duca di Mantova)
Stefan Kocan (Sparafucile)
Wojtek Smilek (il Conte Monterone)
Christophe Berry (Matteo Borsa)
Jean-Marie Delpas (Il Conte Ceprano)
Igor Gnidii (Marullo)
Violette Polchi (il paggio)

 

Orchestre Philharmonique de Radio France
Chœurs des Opéras d’Avignon, Monte-Carlo et Nice

Direction musicale : Mikko Franck

 

 

8 juillet 2017 aux Chorégies d'Orange, théâtre antique

Les Chorégies d'Orange célèbrent avec Rigoletto les cinquante ans de carrière du vétéran Leo Nucci. Dans un spectacle sans autre ambition que la célébration d'un plateau vocal pas toujours irréprochable – à commencer par le rôle-titre – la prestation de la jeune Nadine Sierra illumine la soirée et fait croire aux miracles.

On ne vient pas aux Chorégies d'Orange comme à un festival ordinaire. Ici plus que nulle part ailleurs, le lieu impose des règles et des contraintes que plusieurs générations d'artistes et d'interprètes ont dû affronter avec plus ou moins de réussite. Si l'acoustique exceptionnelle a fait les beaux jours du théâtre classique (dont une Phèdre, donnée par Sarah Bernhardt en 1903), ce que l'on appelait alors les "Fêtes romaines" s'accommoda également des spectacles dans la mouvance du félibrige lancé par Frédéric Mistral et de représentations lyriques à la fonction patrimoniale avérée. En 1904, les fêtes romaines sont renommées Chorégies d’Orange ; il faudra attendre le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pour que l’Opéra de Paris et la Comédie-Française perdent leur monopole et 1969 pour que règne en seul maître des lieux, l'art lyrique – tandis que le théâtre rejoignait définitivement (?) Avignon.

Populaire depuis l'origine, le plus ancien festival français accueille chaque été sur les gradins du théâtre antique près de 8300 spectateurs venus admirer dans les conditions aléatoires du plein air, des chefs‑d'œuvre du répertoire romantique français et italien. Si l'avers du mur de scène avait fait dire à Louis XIV qu'elle était "la plus belle muraille" de son royaume, le revers fascine par ses dimensions (quasiment 40 m de hauteur sur plus de 100 m de large). Contrairement au Festival d'Aix, la mise en scène ne constitue pas forcément la raison pour laquelle on fait le voyage jusqu'à Orange. Le gigantisme du décor tenant souvent lieu de scénographie, il faut se contenter ici de déplacements très codifiés tandis que les chanteurs adoptent volontiers des postures convenues, sans que personne ne s'en offusque pour autant. Ce ne sont pas les récentes innovations en matière de projections vidéo qui permettent de contourner le problème et exploiter efficacement cette scène surdimensionnée.

La cuvée 2017 n'échappe pas aux règles, cédant au spectaculaire la part réservée ailleurs à l'invention et aux demi-teintes. En prenant place dans l'immense cavea, on découvre une immense marotte qui semble avoir été fracassée sur le sol. Ce sceptre emblématique de la folie gît d'un bord à l'autre de la scène ; il est surmonté de la tête rigolarde du bouffon avec quelques grelots dispersés tout autour. Par un peu subtil jeu de projection, le visage du bouffon perd progressivement ses couleurs et la marotte se fendille tel un objet abandonné. Charles Roubaud choisit par cette allégorie pontifiante de Rigoletto de donner à lire le destin tragique du personnage dès le premier regard. On ne peut objecter à cette mise en espace tenant lieu de théâtre son principal intérêt consistant à donner aux voix un cadre peu perturbant et crédible visuellement.

L'enjeu se lit également en tête d'affiche avec les noms de Leo Nucci et Nadine Sierra. Le premier a déjà revêtu le costume de Rigoletto 450 fois et on ne présente plus ce vétéran des scènes et des festivals dont on peine toujours à croire qu'il trouve encore l'énergie d'incarner le célèbre bossu inspiré du Roi s'amuse de Victor Hugo. Blanchi sous le harnais mais toujours vif dans le jeu et la présence, il démontre dans son Cortigiani, vil razza dannata une belle énergie à revendre, malgré des couleurs et une ligne qui se dérobent sur la durée. Entendue récemment dans la reprise de la production signée Claus Guth à Bastille, la jeune Nadine Sierra attire à elle tous les suffrages. Les suspensions aériennes du "Gualtier Maldè… Caro nome" soulignent l'élégance d'une ligne où chaque note respire et sourit. Cédant à l'enthousiasme du plateau et du public, Mikko Franck bisse le duo Si, vendetta – épisode glamour qui prolonge une passation de témoin, nettement à l'avantage de la Gilda de Nadine Sierra.

Le reste de la distribution fait bonne figure mais sans marquer véritablement les mémoires, à commencer par un Duc assez terne de Celso Albelo qui chante les notes mais sans relief ni vaillance dans la projection. Il faut aller chercher le Sparafucile de Stefan Kocan, la comtesse d'Amélie Robins  pour trouver des interprètes à la hauteur de leur rôle et véritablement investis. On notera également que Wojtek Smilek mériterait un rôle plus intéressant que le sporadique Monterone… Réunis pour deux soirées, les membres des chœurs d'Avignon, Monte-Carlo et Nice font oublier par le niveau musical la pauvreté d'un travail de mise en scène qui les abandonne souvent à des mimiques et des poses bien convenues. Dirigeant l'Orchestre Philharmonique de Radio-France d'un geste souvent dilettante, Mikko Franck ne peut dissimuler certains accidents sous une couleur très uniforme et des nuances assez frustres. Soirée musicalement assez proche de l'anecdotique, les belles surprises se limitant au plateau.

 

 

 

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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