• Direction musicale : Sébastien d'Hérin
  • Orchestre : Les Nouveaux Caractères
  • Mise en scène : Klaus Michael Grüber
  • Réalisation de la mise en scène : Ellen Hammer
  • Décors : Gilles Aillaud
  • Recréation des décors : Bernard Michel
  • Costumes : Rudy Sabounghi
  • Lumières : Dominique Borrini

 

  • Poppea : Josefine Göhmann
  • Drusilla / Virtu : Emilie Rose Bry
  • Nerone : Laura Zigmantaite
  • Ottone : Aline Kostrewa
  • Arnalta : André Gass
  • Damigella / Amore : Rocio Perez
  • Fortuna / Valletto : Katherine Aitken
  • Famigliare / Pallade : James Hall
  • Famigliare / Mercurio / Soldato : Brenton Spiteri
  • Littore / Liberto : Pierre Héritier
  • Ottavia : Elli Vallinoja
  • Seneca : Pawel Kolodziej
  • Lucano / Soldato : Oliver Johnston
  • Famigliare : Aaron O'Hare
  • (Solistes du Studio de l'Opéra de Lyon, direction Jean-Paul Fouchécourt)

 

Opéra de Vichy , 7 mars 2017
Klaus Michael Grüber (1941–2008)

Première anticipée du Festival annuel de l’Opéra de Lyon dans le cadre Art Nouveau de l’Opéra de Vichy, qui présentait L’Incoronazione di Poppea, que les spectateurs lyonnais verront au TNP de Villeurbanne. C’était l’occasion et de constater la très bonne prestation de l’intégralité des jeunes du Studio de l’Opéra de Lyon, préparés par Jean-Paul Fauchécourt, et la force de la mise en scène de Klaus Michael Grüber, reconstituée par Ellen Hammer dans des décors de Gilles Aillaud reconstruits par Bernard Michel. Où il est prouvé qu’au-delà des années, quand le théâtre est grand, c'est une "flaque d'éternité".

Voir aussi Blog Wanderer sur l'Opéra de Vichy

1643…le genre opéra a un peu plus de 40 ans, et à Venise, déjà, des théâtres publics s’en emparent et proposent des opéras cette fois-ci pour le public et non pour les cours, alors que l’opéra par ailleurs devenait le genre attaché aux princes, Mantoue d’abord, et bientôt Paris.

L’œuvre de Monteverdi marque une extraordinaire avancée grâce au livret de Francesco Busenello, une avancée telle que bien des œuvres baroques postérieures représenteront un recul dramaturgique notable, se concentrant exclusivement sur les feux d’artifice vocaux au détriment du drame, des caractères et des profils.
L’Incoronazione di Poppea, c’est un livret qui laisse l’espace aux personnages, au raffinement psychologique, dans une trame qui étrangement mêle les caractères de la comédie moyenne (Valletto, Valletta) de la farce (Arnalta) et de la tragédie (Ottavia, Seneca). C’est aussi un opéra sur le Prince, et son arbitraire. Enfin, ce livret répond à la définition de Néron par Racine quelques années plus tard : un monstre naissant. C’est l’opéra du pouvoir, des ambitions, du caprice, et à ce titre on ne fera pas mieux avant longtemps dans l’histoire de la dramaturgie lyrique. Il y a donc de quoi faire pour tout metteur en scène, de Carsen à Warlikowski.
En 2000, c’était au tour de Klaus Michael Grüber, à Aix en Provence (il existe un DVD). Et Serge Dorny se propose de recréer cette production, avec les mêmes coupures et décisions sur la partition et le livret (notamment la suppression de Nutrice, la nourrice d'Ottavia) pour les jeunes du studio de l’opéra de Lyon dirigé par Jean-Paul Fouchécourt, qui lui-même avait participé à la production d’origine dans le rôle d’Arnalta. On connaît les caractères du travail de Grüber, qui cherche à créer une osmose entre une vision plastique et une vision dramatique : ainsi a‑t‑il travaillé à l’opéra avec Eduardo Arroyo (La Walkyrie étrange et fascinante de l’Opéra de Paris en 1976) et Gilles Aillaud, auteur des décors de L’incoronazione di Poppea ((Aillaud a collaboré avec Arroyo notamment autour du très fameux Faust, de la Chapelle de la Salpêtrière à Paris, une production mythique,  on lui doit aussi les décors d’une production de Grüber (1984) qui n’aurait pas dû quitter si vite le répertoire de la Comédie Française, la sublime Bérénice de Racine, avec Ludmila Mikael, Richard Fontana et l'Antiochus merveilleux de Marcel Bozonnet)) . C’est donc une équipe éprouvée qui réalise ce projet, reconstitué aujourd’hui avec une précision jalouse par Ellen Hammer, qui fut sa dramaturge, et Bernard Michel, qui travaillait avec Aillaud. Soyons clair, il ne s’agit pas d’une reprise, mais d’une reconstitution de la production d’Aix qui avait disparu.
Ainsi faut-il partir non de la dramaturgie, mais d’abord de l’espace et du décor, qui est un élément dramaturgique essentiel chez Grüber, et qui détermine la puissance et l’intensité de certaines scènes. Il y a là une couleur qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs certains univers à la Vitez, un univers pictural qui joue avec nos rêves sur les palais impériaux où la Rome antique. C’est un univers qui fait discrètement référence par la couleur à la peinture pompéïenne avec une allusion claire à la Villa des Mystères. Les costumes des personnages, de Rudy Sabounghi, légers, vaporeux, mélangent un peu les époques (Néron en veste) mais sans entacher un style qui reste vaguement antique. Par ailleurs les personnages interviennent les uns après les autres notamment pendant le premier acte comme à la fois éloignés dans le temps et dans la représentation, comme si tout cela était un jeu. L’espace est soit naturel, mais d’une nature ordonnée et sage, une nature italienne théâtrale avec ses cyprès et ses arbres taillés comme dans certains jardins de la renaissance, soit architecturé et barré par une façade peinte, à la manière des fresques pompéiennes, mais une façade haute, qui obstrue l’horizon, le palais, une Domus (n’oublions pas les dédales de la Domus Aurea de Néron). Nous sommes à l’opposé et du naturalisme, et d’un théâtre dramaturgique ou politique, mais plutôt dans un univers scandé par des symboles, proche du conte moral (ou immoral).

Le livret, divisé en trois actes et un prologue, donne au premier acte l’importance d’une longue exposition où les personnages et les enjeux se mettent en place et qui se termine en menaces pour différents personnages. Car la décision de Néron est prise dès la fin du premier acte puisque dès le lever du rideau du second, Sénèque est condamné à mort, début de la chute des opposants à l’empereur. Non sans ironie, Busenello met en scène le poète Lucain favori de Néron, se réjouissant de la mort de Sénèque, alors que quelques années plus tard ce sera son tour de s’ouvrir les veines sur ordre…Au-delà de la référence à l’histoire de Néron, aussi bien racontée par Tacite que par Suétone, des opposants, on pourrait en faire une méditation sur le pouvoir, sur la banalité du mal, sur les contradictions des intellectuels, ce qu’avait essayé Warlikowski à Madrid (Voir Blog Wanderer).
Ce qui frappe ici, c’est qu’il n’y a volontairement pas de prise de position, mais la vision d’une histoire qui se déroule presque lointaine, presque comme une histoire enfantine, ce que renforce la jeunesse et la fraicheur des interprètes, et notamment la légèreté d’un Néron qui s’amuse et qui n’est que désirant, faisant de ses caprices l’expression du pouvoir. Les personnages presque vaporeux, à la démarche presque chorégraphique et dansée (Poppea !), des scènes d’une intense poésie, non dénuées d’ironie, comme l’apparition de Mercure à Sénèque avec ses ailettes lumineuses, ou comme la vision d’un Sénèque dans son jardin, ou son orangeraie, dans un monde apaisé où la mort va être accueillie « avec joie » selon les paroles mêmes du philosophe, ou d’autres plus dramatiques comme l’apparition d’Ottavia, fantôme tout en noir, sortie du palais pour pleurer son bannissement. On retiendra enfin Poppea endormie dans une gueule de monstre reptilien, sous le regard d'Arnalta, comme on pouvait en voir  dans des jardins renaissance, ici plutôt prémonitoire.

La chorégraphie du duo final, le moment sans doute le plus prenant musicalement, qui finit par Poppea et Neron l’un derrière l’autre, est la conclusion du conte. La plupart des personnages de l’œuvre finiront mal, peu ou prou : Othon, ex-époux de Poppea, sera brièvement Empereur et se donnera la mort après celle de Néron et Galba, pendant l’année des quatre empereurs, Ottavia exilée sera invitée elle aussi à s’ouvrir les veines, Poppea mourra des suites d’une grossesse difficile et Suétone accusera même Néron d’avoir précipité sa fin en donnant lui un coup de pied dans le ventre, nous avons plus haut évoqué Lucain et Sénèque. Il faut lire cette mise en scène comme quelque chose de très distant, très « atténué » qui débarrasse le drame de son urgence et qui semble plonger tout cela dans la brume apaisée de l’histoire ou des albums illustrés. C’est bien là l’extraordinaire réussite de ce travail qui avec la reconstitution si précise d’Ellen Hammer et la reconstruction des décors lui donne une particulière présence et une fraîcheur inédite. Nul ne peut soupçonner que ce spectacle ait deux décennies ou presque, ce qui montre que ce type de production de festival devrait vivre plus longuement, face à tant de spectacles inutiles. Fascinant.

Néron (Laura Zigmantaite)

Ce qui donne aussi à ce spectacle sa jeunesse et qui donne à la mise en scène la fraîcheur que je soulignais, c’est aussi le choix de confier la distribution aux jeunes du Studio de l’Opéra de Lyon. C’est d’abord une solution de troupe, qui résulte d’un vrai travail très attentif de Jean-Paul Fouchécourt : il n’y a pas de vedettes, mais il y a un esprit, une cohésion, un engagement qui rendent à ce spectacle son authenticité. Certes, les solistes étaient un peu nerveux et un peu tendus en ce jour de première, ce qui se comprend, mais au fur et à mesure du déroulement, les choses se sont stabilisées et il y a eu des moments vraiment magiques.
La Poppea de Josefine Göhmann a une vraie solidité (bien qu’elle fût un peu souffrante) et sait moduler, colorer et interpréter un chant qui se déploie toute sa poésie dans le duo final, face au Néron juvénile et énergique de Laura Zigmantaite, dont la voix bien timbrée, volumineuse, s’impose, aussi bien que le jeu d’enfant espiègle, d’un bout à l’autre intéressante par le personnage qu’elle impose. Très jolie Virtu, puis Drusilla de Emilie Rose Bry, jolie voix, pleine de poésie et de vitalité, à la belle technique. Elle alterne dans le rôle de Poppea et son personnage devrait aussi bien convenir à cette mise en scène. A Poppea Monteverdi oppose une Drusilla peut-être plus spontanée, mais la mise en scène de Grüber ne fait pas trop la distinction entre les amoureuses et en tous cas la jeune soprano franco-américaine est très attachante dans le rôle. De même la noble Ottavia de Elli Vallinoja dessine un beau personnage au mezzo un peu clair, mais très expressive. Ma première Ottavia fut Christa Ludwig (inoubliable), celle-ci, à l’autre bout du spectre, défend avec cran le personnage (son entrée finale…). Enfin l’Ottone très androgyne de Aline Kostrewa au timbre très sombre, tranche avec les voix plutôt claires de ses collègues – avec quelque problème de projection. Du côté masculin, les deux lettrés, Seneca et Lucano. Seneca est confié à Pawel Kolodziej, une voix chaude, bien contrôlée, et un personnage assez vivant qui n’a rien du vénérable, mais plutôt l’allure d’un homme encore jeune, mais résigné. Il diffuse sérénité et sécurité, que demander d’autre à Sénèque ?
Lucano est le compagnon léger des jeux de Néron, c’est l’anti-Sénèque (à la basse répond le ténor), mais jolie projection et voix chaleureuse du jeune britannique Oliver Johnston. Enfin Arnalta, qui était le rôle de Jean-Paul Fouchécourt dans la production originale est ici André Gass, ténor de caractère, très à l’aise dans le personnage, qui ne surjoue pas, ne nous gratifie pas de simagrées : il dessine une caricature d’une belle finesse.

Tous les autres méritent notre attention, la Damigella (et Amore) de Rocio Pérez, fraîche et vive, il Valletto (et Fortuna) de Katherine Aitken ou le Mercurio (et Famigliare et Soldato) de Brenton Spiteri, ainsi que James Hall (Pallade) , Pierre Héritier (Liberto) et Aaron O’Hare. Tous composent une compagnie homogène, de qualité, qui montre dans son ensemble qu’il n’est pas besoin de grands noms pour porter à la réussite un spectacle d’opéra, surtout quand il est porté aussi par pareil travail scénique.
Sébastien d’Hérin dirigeait son ensemble « Les nouveaux caractères » et son travail d’accompagnement ne met jamais les chanteurs en danger. La clarté du rendu, avec une volonté de laisser les instruments s’exprimer, est aussi notable dans l’acoustique très claire de la salle. Ce qui est moins clair, c’est la relative « neutralité » de la musique, qui manque peut-être d’un soupçon d’énergie, même si le parti pris de mise en scène refuse le drame, lui préférant un jeu entre mélancolie, tristesse, et insouciance. Il manque du caractère à l’ensemble (un comble vu le nom de l’orchestre), et la direction est un peu effacée par tout le reste. Rien n’est désagréable ou problématique, rien n’est remarquable non plus et c’est un peu dommage ; peut-être que les choses gagneront en relief au fur et à mesure des représentations.

Ainsi donc se vérifie l’intuition de Serge Dorny, dans le cadre singulier et fascinant de l’Opéra de Vichy :  il y a des spectacles qui ne vieillissent pas et l’antiquité de Grüber sonne avec une nouvelle fraîcheur.

Ottavia bannie (Elli Vallinoja)
Avatar photo
Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

Autres articles

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici