Prise de rôle réussie pour le ténor des ténors, avec cet Andrea Chenier chanté avec la poésie et l'intensité qui n'appartiennent qu'à lui. Avant de le retrouver en concert au Théâtre des Champs-Elysées le 26 mars 2017, ce dvd permet de le découvrir sur scène à Londres.
Alors que Paris se lamente d'avoir été privé des débuts de Jonas Kaufmann en Hoffmann à la Bastille, le circuit commercial ne se prive pas de publier en dvd chacune des productions où le ténor est à l'affiche. Après Tosca et Adriana Lecouvreur, les deux avec Angela Gheorghiu et avant Otello prévu en juin prochain, voici Jonas Kaufmann sous les traits d'Andrea Chénier à Londres, dirigé par Antonio Pappano. Conventionnel à souhait le spectacle signé David Mc Vicar se contente d’illustrer sagement le livret, lieux, maquillages et costumes (ah ! La charlotte de Maddalena !) étant respectés à la lettre pour ne froisser personne et surtout pas un amateur de Révolution Française. Filmé à la va-vite par Jonathan Haswell, qui ne sait qu'alterner plan large et plan américain, la production n'a, comme on peut s'en douter, pour seul intérêt que d'immortaliser la nouvelle prise de rôle du ténor munichois. Chénier poète, révolutionnaire et tribun hors pair, rendu célèbre par la musique de Giordano, tombe sans le moindre pli sur l'héroïque instrument de Kaufmann. La pâte, la couleur, l'expressivité de sa voix sombre aux reflets ambrés, immédiatement reconnaissable, trouve dans ce personnage une indéniable matière pour briller. La ligne de chant admirablement contrôlée, les nuances piano/forte, les aigus infrangibles ainsi que sa manière de faire claquer les mots, lui permettent de dominer chacun de ses airs de l'exaltant « Un di all'azzuro spazio », en passant par le conquérant « Si fui soldato », avant d'embraser l'auditoire avec « Come un bel di di maggio ». Entre ces moments attendus, qu'il transcende, on admire la ferveur et la délicatesse avec laquelle il dépeint ce personnage transporté par l'amour que lui manifeste la jeune Maddalena, transfigurée elle aussi par la passion jusqu'à l’échafaud vers lequel ils se rendent heureux.
Après Die Walküre où elle était sa sœur et son amante, Eva-Maria Westbroek campe aux côtés de son illustre collègue une Maddalena au physique plantureux, qui réussit contre toute attente à assumer la partition sans y laisser trop de plumes, même si le « si » de « La mamma morta », montre les limites extrêmes de ses possibilités. D'abord grimaçant et serrant les poings, Željko Lučić donne l'impression de ne savoir qu'éructer en Gérard, avant d'affiner son personnage et de le nuancer à mesure qu'il découvre l'impartialité des révolutionnaires, en guest-stars Rosalind Plowright (Contessa di Coigny) et Denyce Graves (Bersi), exécutant leur numéro avec adresse. Investi dans ce répertoire jugé parfois avec un certain mépris, Antonio Pappano prouve qu'une lecture attentive et passionnée peut magnifier une œuvre, tenant d'une main de fer son orchestre vif et souple comme un guépard et faisant crépiter cette musique pour en tirer le meilleur.