Dimitri Chostakovitch (1906–1975)
Lady Macbeth de Mzensk (1934)
Opéra in quatre actes (Version originale : 1930–1932)
Livret d'Alexander Preis et Dmitri Chostakovitch d'après la nouvelle homonyme de de Nikolai Leskov 
(1865)

Mariss Jansons, Direction musicale
Andreas Kriegenburg, Mise en scène
Harald B. Thor, Décors
Tanja Hofmann, Costumes
Stefan Bolliger, Lumière
Christian Arseni, Dramaturgie

Evgenia Muraveva , Katerina Lwowna Ismailowa
Dmitry Ulyanov, Boris Timofejewitsch Ismailow
Maxim Paster, Sinowi Borissowitsch Ismailow
Brandon Jovanovich, Sergej
Tatiana Kravtsova , Aksinja / Zwangsarbeiterin
Andrei Popov, Der Schäbige
Oleg Budaratskiy, Hausknecht / Wächter
Igor Onishchenko, Mühlenarbeiter
Vasily Efimov, Kutscher / Lehrer
Stanislav Trofimov, Pope
Alexey Shishlyaev, Polizeichef
Valentin Anikin, Polizist / Sergeant
Ksenia Dudnikova, Sonjetka
Andrii Goniukov, Alter Zwangsarbeiter
Gleb Peryazev, Verwalter
Martin Müller, 1. Vorarbeiter
Oleg Zalytskiy, 2. Vorarbeiter / Betrunkener Gast
Ilya Kutyukin, 3. Vorarbeiter

Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Ernst Raffelsberger, Chef de choeur
Wiener Philharmoniker
Angelika-Prokopp-Sommerakademie der Wiener Philharmoniker, Bühnenmusik

Salzburger Festspiele, Grosses Festspielhaus, 21 août 2017

Pour la première fois, Mariss Jansons dirige dans la fosse de Salzbourg une de ses œuvres fétiche, la Lady Macbeth de Mzensk de Dimitri Chostakovitch, après avoir laissé à Amsterdam une impression indélébile dans une production mise en scène par Martin Kusej. Avec les Wiener Philharmoniker dans une forme incroyable, et une très belle distribution, il laisse une marque profonde, qui a secoué le public. Malheureusement, la production de Andreas Kriegenburg n’est pas à la hauteur.

Quelques aventures pour cette Lady Macbeth abandonnée au milieu du gué par Nina Stemme (maladie ?), et reprise par Evguenia Muraveva, prévue sur un autre rôle dans la distribution. L’histoire ne dira pas si on doit le regretter, mais le remplacement a été en tous cas heureux, vu le triomphe remporté par l’artiste au rideau final. Il y a eu plusieurs Lady Macbeth de Mzensk notables ces dernières années hors la production d’Amsterdam, à Lyon dans la mise en scène de Dimitri Tcherniakov la saison dernière, avec Ausrine Stundyte, et cette saison à Munich sous la baguette de Kirill Petrenko dans la mise en scène d’Harry Kupfer, avec Anja Kampe.
L’arrivée pour la première fois en fosse de Mariss Jansons, à la tête des Wiener Philharmoniker est en soi un événement, et suffit évidemment à justifier la production ou le déplacement. Le travail de l’orchestre fait événement, d’abord par une direction éminemment dramatique et théâtrale de Mariss Jansons qui impose une vision très symphonique de l’œuvre, soulignant chaque détail, mettant en relief tous ses aspects grinçants, ironiques, sarcastiques mais surtout offrant souvent un océan sonore en furie, avec des moments d’une force qui laisse pantois, un son d’une pureté singulière, et un orchestre dont tous les pupitres sont au sommet, comme galvanisés par le chef, et par la nature singulière d’une partition qu’ils n’ont pas vraiment à leur répertoire (une production en 2009 et 16 représentations à l’Opéra de Vienne), les Wiener jouent avec gourmandise une partition qui touche à bien des styles, y compris la valse viennoise et on reste stupéfait du son chaleureux, très rond, particulièrement brillant, rutilant même. Il y a dans cette approche quelque chose qui semble à la fois démonstratif et presque définitif. On a rarement entendu aussi fabuleux, aussi parfait, et aussi torrentiel comme si l’orchestre emportait tout sur son passage.

Avec un tel orchestre, il fallait sur scène une distribution qui puisse évidemment répondre au défi. Le remplacement de Nina Stemme par Evguenia Muraveva ne semble pas avoir affecté outre mesure la production, d’abord parce que la chanteuse russe connaissait le rôle pour l’avoir chanté à Saint Petersburg, et puis elle participait à la production salzbourgeoise dans un autre rôle. D’un point de vue strictement vocal, Muraveva n’est pas un soprano dramatique et n’a pas le format vocal d’une Stemme, elle est un grand lyrique, qui possède les notes, et surtout la musicalité, la projection, le style et l’engagement, mais aussi la diction et  tous les aspects idiomatiques : si elle n’a pas le format, il reste qu’elle est une Katerina Ismailova exceptionnelle par sa présence scénique et vocale et par son engagement : il n’est pas étonnant qu’elle ait remporté un très gros succès et qu’elle ait fait oublier la star qu’elle remplaçait. Face à elle Brandon Jovanovich, avec une très belle voix, très musicale, et son timbre très lumineux, presque trop pour un rôle pareil. Personnalité scénique plus affirmée qu’un Misha Didyk à Munich, mais moins imposant qu’un Daszak à Lyon, il réussit quand même une belle composition. Le problème avec ce chanteur c’est plutôt le phrasé ou l’expressivité, qui n’a pas toujours la variété voulue, il entre peut-être dans le personnage mais pas forcément dans le texte et son Sergueï très respectable, dans l’ensemble réussi est plus joué qu’incarné.
Ce n’est évidemment pas le cas du Boris de Dmitry Ulyanov, au phrasé impeccable, très expressif, tout à fait incarné, avec des modulations dans la voix qui rendent tous les aspects psychologiques du personnage (par exemple son monologue du deuxième acte est un très grand moment de théâtre et d’opéra), c’est un Boris aux couleurs plus « jeunes » (très différent d’Ognovenko ou Kotscherga), dont la voix n’est jamais prise en défaut, vraiment en tous points remarquable.
Maxim Paster était Zinowy, c’est théâtralement le personnage qui convient, à l’opposé du Serguei sculptural de Jovanovich, mais vocalement – l’on pouvait émettre les mêmes réserves dans le Roi de La fille de neige à Paris – la voix n’est pas bien projetée, sans vrai contrôle, les aigus problématiques, assez ingrat dans l'ensemble.
Tout le reste de la distribution est complètement idiomatique, très homogène, avec une jolie Aksinia (Tatiana Kravtsova remplaçant Muraveva appelée à un autre rôle…), un balourd excellent (Andreï Popov) ainsi qu’une Sonyetka pleine de relief (Ksenia Dudnikova) : musicalement, grâce à l’orchestre et à une distribution sans faiblesses, mais sans rôles totalement exceptionnels non plus, la représentation fonctionne de manière exemplaire musicalement.
Ce qui fait problème, c’est le travail scénique d’Andreas Kriegenburg d’une assez grande banalité, à part des projections vidéo bien faites et l’impressionnant décor d’Harald B.Thor, une cour intérieure assez sombre d’un immeuble de béton d’où émergent quelquefois à gauche la chambre de Katarina ou la prison, à droite le bureau de Zinowy et  , Mais de ce dispositif monumental, Kriegenburg ne fait strictement rien, sauf pour le suicide final, assez réussi scéniquement.
Car de ce travail théâtral assez précis et très juste du point de vue de la conduite d’acteurs, rien n’émerge, rien n’a de relief, et c’est souvent pour tout dire suffisamment plat scéniquement pour qu’on s’ennuie : le théâtre est dans la fosse, mais certes pas sur le plateau. Certes, Kriegenburg nous indique le monde fantasmatique de Katerina et sa solitude, par quelques scènes où se confrontent les fantasmes et la réalité, mais cela ne va guère plus loin. Le livret est suivi, de manière claire, mais sans véritablement viser à une lecture, à une mise en valeur d’éléments : le personnage même de Katerina n'est pas vraiment travaillé, et tout reste superficiel. Peut-être est-ce voulu, mais entre la rutilance musicale et la platitude scénique, on a l’impression que le discours n’est ni cohérent, ni vraiment tenu : pour tout dire,on ne voit ni discours ni intention.
C’est la deuxième mise en scène décevante d’Andreas Kriegenburg après Die Frau ohne Schatten à Hambourg, même si le travail y était un peu plus élaboré. Ici, le metteur en scène ne s’est pas trop fatigué. C'est pour la direction d’orchestre en forme d’ouragan que cette Lady Macbeth de Mzensk restera dans les annales.

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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