Alcione,
tragédie lyrique en cinq actes de Marin Marais.
Livret d’Antoine Houdar de La Motte.
Créée à l'Académie royale de musique en 1706.

Avec :
Alcione, Lea Desandre
Ceix, Cyril Auvity
Pélée, Marc Mauillon
Pan, Phorbas, Lisandro Abadie Tmole
Le prêtre de l'hymen, Neptune, Antonio Abete
Ismène,  Matelote,  Hasnaa Bennani
Une bergère, Matelote, Junon, Hanna Bayodi-Hirt
Apollon, Le Sommeil, Sebastian Monti
Doris, confidente d’Alcione, Maud Gnidzaz
Céphise, confidente d’Alcione, Lise Viricel Aeglé
Confidente d’Alcione, Maria Chiara Gallo
Le chef des matelots, Yannis François
Phosphore, père de Ceix, Gabriel Jublin

Le Concert des Nations

Direction musicale – Jordi Savall
Mise en scène – Louise Moaty
Chef de chœur – Lluis Vilamajo
Chorégraphie – Raphaëlle Boitel
Scénographie – Tristan Baudoin, Louise Moaty
Costumes – Alain Blanchot
Lumières – Arnaud Lavisse
Maquillage – Mathilde Benmoussa
Régisseur cirque – Nicolas Lourdelle

 

Opéra Comique, le 7 mai 2017

Après une longue campagne de rénovation, le rideau de la Salle Favart s'ouvre sur un événement : l’Alcione de Marin Marais, dirigée par Jordi Savall à la tête de son Concert des Nations, avec la complicité de Louise Moaty pour la mise en scène et les interventions circassiennes signées Raphaëlle Boitel. L'agitation envahissante des figurants acrobates peine à faire oublier malgré tous les efforts déployés, un plateau inégal et un orchestre décidément sans théâtre.

Alcione (Lea Desandre)/ Ceix (Cyril Auvity)

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il s'agit là de la première production scénique à Paris depuis 1771. C'est dire si l'ouvrage majeur du successeur de Lully à la tête de l'Académie royale de musique aura connu des fortunes diverses, jusqu'à tomber dans un long oubli. Marin Marais est encore un très jeune compositeur lorsque Louis XIV lui confie la responsabilité des musiques destinées à animer la vie de la cour. Alcione voit le jour en 1706 et demeurera au répertoire jusqu'en 1771, soit 43 ans après sa mort. La mode est alors à l'opéra-ballet, forme très éloignée des codes esthétiques qui ont fait le succès Marin Marais ; une page se tourne définitivement.
Est-ce pour réconcilier avec le baroque flamboyant et animé une œuvre qui ne dissimule pas de nombreux tunnels dramatiques que le duo Moaty-Boitel a voulu multiplier les ruptures de rythmes et les mouvements d'acrobates ?
Faunes et muses dans le prologue, ces figurants volubiles descendent des cintres et se contorsionnent au sol à l'acte II quand il s'agit d'illustrer Proserpine et les créatures des enfers. La suite les montrera en marins à l'acte III et en songes au dernier. Ces incessants déplacements aériens contrastent particulièrement avec le vide de l'espace scénique et l'abstraction des éléments de décor. Louise Moaty fait le choix, déjà vu à de nombreuses occasions, de montrer le cadre de scène sans décor, avec ses escaliers et ses murs de briques. On voit les techniciens manipuler les filins qui font s'élever les acrobates dans les airs, les câbles qui assemblent les rares décors. La récurrence de ces repères confine rapidement à l'ennui, les mêmes planches de bois servant à suggérer le palais de Ceix et les flots de l'acte IV, avec une ascèse visuelle proche d'un jeu de construction pour enfants. Invariablement éclairée à contrejour, une brume plane sur la scène encombrée de lests et de contrepoids. Hormis de sobres et rares touches de couleurs, les costumes ne cherchent pas l'exubérance ; tout juste si l'on aperçoit çà et là les amples replis d'un drapé soulevé par le vent ou un collier de tiges métalliques pour signifier les rayons du soleil.

Alcione (Lea Desandre)

La fameuse tempête d'Alcione fait ici l'effet d'un plat de résistance. Le Mercure de France rappelait à la mort de Marais l'immense célébrité que le compositeur avait tirée de cette scène spectaculaire. C'est dire si l'occasion de déployer tout un arsenal de machineries pour montrer les flots en furies et la mort de Ceix avait frappé les esprits. De moins en moins populaire en Italie où elle avait vu le jour, la tempête faisait les beaux jours de la tragédie lyrique française. Inventée par Pascal Collasse dans son opéra Thétis et Pélée (1689), on retrouve ces catastrophes naturelles chez Lully, Rameau et Gluck. Dans Alcione, les allusions à la mer et à la navigation donnent du sens au fait de montrer à vue la manipulation des roues à bras et autres filins, autrefois confiée à des matelots reconvertis.

Le livret d'Antoine Houdar de la Motte puise sans vergogne dans les Métamorphoses d’Ovide, et ne se distingue pas par l'originalité de son écriture. Le prologue fait office – comme souvent – d'allégorie politique où il est rappelé la grandeur militaire de Louis XIV régnant sur les mers grâce aux zélés alcyons dont on racontera ici la naissance en cinq actes longuets. Les amours contrariées d'Alcione et Ceix n'ont rien des péripéties qui justifieraient qu'on en préserve le moindre contour, la moindre scène. Si les ciseaux hésitent à pratiquer les coupes claires qui étaient d'usage au XVIIe siècle, on regrette de devoir affronter une action qui se délite souvent en monologues dénervés ou duos décoratifs.

Pélée (Marc Mauillon) / Alcione (Lea Desandre)

Le plateau est dominé par la prestation de Marc Mauillon, dont le stupéfiant Pélée fait rapidement oublier qu'il ne s'agit en réalité que d'un second rôle. Son timbre aussi inclassable qu'étonnant, anime toutes les nuances sensibles qui dessinent cette personnalité d'amoureux transis, incapable de résister au poids du mensonge. La belle prestance de l'Alcione de Lea Desandre ne fait pas oublier une projection assez neutre et des contours évanescents. Elle domine involontairement le Ceix de Cyril Auvity dont la voix s'étrangle dans l'aigu et savonne ses traits à plus d'une reprise. Ni le Phorbas de Lisandro Abadie, ni surtout l'Ismène de Hasnaa Bennani ne combleront pleinement nos attentes. L'émission charbonneuse de Sebastian Monti plonge son Apollon dans l'embarras, tandis qu'Antonio Abete se tire tant bien que mal du rôle de Neptune, couronné d'un improbable récif de corail.

La production poursuit sa route vers l'écrin superlatif de l'Opéra royal de Versailles, l'occasion (on l'espère) pour Jordi Savall de trouver les clés d'un flux dramatique que sa direction semble assez étonnamment laisser de côté, lui préférant des tempi très sécures et un phrasé monochrome qui ne parvient pas à dérouler toutes les richesses expressives de l'écriture de Marin Marais.

Alcione (Lea Desandre)/ Ceix (Cyril Auvity) / Pélée (Marc Mauillon)
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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