Depuis sa sortie en 1967 et son succès retentissant, Les demoiselles de Rochefort n’a jamais quitté l’affiche. Plus coloré, plus positif, plus enjoué que le précédent opus (Les parapluies de Cherbourg Palme d’or à Cannes en 1964) réalisé aussi à quatre mains par Jacques Demy et Michel Legrand, les Demoiselles, véritable comédie musicale française n’a pas eu d’équivalent dans l’histoire du cinéma français. Là où les Parapluies étaient un film entièrement chanté, Les Demoiselles reprend les codes du musical américain et des flamboyantes réussites que furent Chantons sous la pluie, Un américain à Paris ou West side story .. et où des comédiens de cinéma racontent avec un talent égal une histoire en la jouant, en la chantant et en la dansant. Avec son casting de luxe (Deneuve, Dorléac, Darrieux, Piccoli et Gene Kelly), ses textes écrits au cordeau, ses mélodies entêtantes et ses chorégraphies endiablées, Les Demoiselles allait révolutionner un genre et le magnifier.
Amateur inconditionnel de Demy/Legrand, Jean-Luc Choplin avait à cœur d’adapter leur chef‑d’œuvre à la scène et l’on ne peut que lui en savoir gré, tant le résultat est probant. La partition a été soigneusement réorchestrée par Patrice Peyriéras, également à la direction et au piano, qui a su se réapproprier chaque morceau sans jamais rien dénaturer et en conservant leur spécificité. La musique au swing unique de Michel Legrand sonne ainsi à nos oreilles avec le même enthousiasme communicatif qu’à l’écoute de celle enregistrée pour le long-métrage. Les voix choisies pour interpréter les personnages sont d’une grande justesse et ce jusque dans les accents américains qui pointent chez l’un des deux forains et surtout chez Andy (joué et dansé dans le film par l’inoubliable Gene Kelly).

Les inséparables jumelles, la blonde Delphine et la rousse Solange ont été confiées à deux artistes lyriques, Juliette Tacchino et Marine Chagnon, qui savent très bien éliminer une technique qui pourrait faire « opéra » quand il faut faire envers et contre tout chanson. Toutes deux sont très convaincantes dans leur quête du grand amour, lucides, résolument positives et comme leur mère en avance sur son temps, chantant et dansant leur vie avec une énergique et dévorante passion. Autour de cet irrésistible tourbillon, Maxence le peintre-marin, ici brun (quand Jacques Perrin était blond), incarné par David Marino, rêve à son idéal féminin avec douceur

les deux forains Valentin Eyme (Etienne) et Aaron Colston (Bill) sont deux indécrottables séducteurs, Arnaud Léonard un Simon Dame plein de tact, heureux de retrouver son vieil ami Andy, romanesque Paul Amrani

et surtout Yvonne la femme de sa vie, joliment portraiturée par Valérie Gabail, quand la petite serveuse Josette (Agathe Prunel) attend aussi son heure pour quitter la ville et tenter sa chance dans la capitale.
Le découpage du film est respecté et l’on s’amuse à détecter ici quelques dialogues finement ajoutés pour lier certaines scènes entre elles, et là d’autres oubliées comme celle du diner servi dans le café d’Yvonne, entièrement rimée et où Dutrouz le terrible découpeur de femme hésite à couper le gâteau…Amusant, le rôle donné à Boubou (excellent Daniel Smith), petit écolier bien sage chez Demy, transformé ici en pré-ado turbulent qui n’a de cesse de s’émanciper et de devenir à son tour acrobate-saltimbanque comme ses « frangines ».
Le metteur en scène et son scénographe Bruno de Lavenère ont su tirer partie du plateau plutôt contraint du Lido, en disposant les musiciens derrière un tulle de chaque côté de la scène, très avancée sur la salle, et en faisant glisser de pimpants décors placés sur une tournette depuis le lointain, pour permettre de passer sans le moindre temps mort de l’appartement des jumelles à la galerie d’art de Guillaume Lancien (Victor Bourigault), ou dans le bar d’Yvonne qui apparait et disparait des dessous. Les chorégraphies de Joanna Goodwin sont comme il se doit virevoltantes, les costumes légèrement réactualisés par Alexis Mabille conservent l’esprit sixties de l’original, l’ensemble réussissant grâce à quelques images en 3D à donner au décor une dimension, une aération et à créer l’illusion d’un mouvement perpétuel.
Le bonheur !
