Quoi de plus agréable que de finir la saison musicale parisienne avec Rossini et son indéboulonnable Barbiere di Siviglia ? Alors que la planète se réchauffe à grande vitesse, que les conflits se poursuivent partout et que les inquiétudes face à l’avenir s’intensifient, l’art et la culture font figure de refuges vers lesquels il est bon de s’abriter. Le public ne s’est d’ailleurs pas fait prier pour revenir en masse assister à cette reprise d’un spectacle vieux de onze ans, imaginé par le prolifique metteur en scène italien Damiano Michieletto.

Le décor unique de Paolo Fantin avec cette immense façade d’immeuble d’un quartier espagnol populaire et ensoleillé, son café, sa voiture garée, ses vélos, ses balcons où pendent le linge et ou s’affichent sur plusieurs étages les existences de voisins hauts en couleurs fait toujours son effet. Le public ne peut retenir son plaisir en découvrant cette scénographie et plus encore lorsqu’une partie du décor pivote sur lui-même pour laisser apparaitre chaque appartement vu de l’intérieur.

Entrant ainsi dans l’intimité des personnages, les spectateurs deviennent ainsi voyeurs, Damiano Michieletto ayant à cœur de dévoiler ce que tente de dissimuler l’intrigue, en révélant la face cachée des choses. Cette astucieuse machinerie permet ainsi de montrer les facéties du factotum Figaro qui vient en aide au Comte Almaviva, bien décidé à conquérir la belle Rosina séquestrée par un tuteur qui souhaite en faire son épouse. Enfermée dans ce logement, errant de sa chambre à la cuisine, interdite de balcon – celui-ci sera même muré – Rosina, aussi délurée que rusée, finira par échapper aux griffes de ce vieux geôlier libidineux pour convoler en justes noces aux bras de son vigoureux Almaviva, fuyant la ville en moto.

Malgré quelques répétitions et le recours intempestif à la tournette, le metteur en scène se plaît à détailler cette rue animée et à recréer cette vie de quartier grâce aux multiples occupations de chacun, scènes de ménage et réconciliation, préparation du repas, pause cigarette ou apéritif entre amis. L’ensemble est vif, coloré, souvent drôle et suffisamment modernisé pour remettre au gout du jour un livret quelque peu daté. Les lumières douces et les costumes aux teintes acidulées sont parfaitement adaptés à cette lecture quasi « movidesque », sans pour autant lorgner vers le trash des premiers films d’Almodovar, où l’œil n’en finit pas d’être attiré.

Heureusement la distribution est globalement satisfaisante, d’autant qu’elle a eu le temps de prendre ses marques depuis la première donnée le 10 juin, qui était encore perfectible. Très à l’aise au plateau, qu’il arpente sans discontinuer, pour restituer les traits de caractère de l’infatigable Figaro, le bondissant baryton italien Mattia Olivieri excelle. Malette de coiffeur en mains, ce séducteur au charme bon enfant est absolument irrésistible, aimé de tous, beau-parleur gentleman cambrioleur, il prête son timbre vif argent à ce personnage survolté auquel sa jeunesse, sa faconde et son élégante virtuosité confèrent d’indéniables atouts. Le duo qu’il forme avec l’Almaviva à l’instrument léger de Levy Sekgapane, qui vocalise certes à toute vitesse mais devrait cependant éviter de nous faire croire qu’il trille, est très réussi. Le ténor sud-africain déjà présent en 2018, évolue avec naturel, visiblement heureux de partager la scène avec des collègues impliqués devant un public réceptif qui réserve d’ailleurs à ses deux airs (le 1er « Ecco ridente » et le second « Cessa di piu resistere ») une longue ovation. Chez les hommes toujours, Luca Pisaroni semble plus concerné par le rôle de Basilio qu’il défend avec plus de conviction que le soir de la première et dont le comique ressort avec plus de contrastes, tandis que Carlo Lepore donne l’impression d’avoir accepté d’être aujourd’hui abonné au rôle de Bartolo, dont il assure ce soir tout du moins correctement le chant syllabique. Nous pensions retrouver en Rosina la mezzo Aigul Akhmetshina déjà présente en 2022, mais faute d’obtention de visa celle-ci a dû renoncer à cette reprise parisienne, laissant sa place à Isabel Leonard. Si l’actrice n’appelle aucun reproche, traduisant avec un aplomb rare les vicissitudes de cette héroïne révoltée et bien décidée à se jouer de son insupportable « tuteur », sa technique vocale très peu orthodoxe qui la contraint à se cantonner dans un constant medium/bas medium, laisse sur sa faim l’auditeur en mal de vélocité et de bel canto échevelé. Chœurs savoureux et honnêtes comprimari complètent ce tableau. Plus sûr de lui et de ses instrumentistes à qui les répétitions avaient manqué le 10 juin, Diego Matheuz dirige la partition avec plus de netteté et de peps dans les ensembles, sans pour autant faire briller de tous ses feux cette œuvre pimpante qui n’en finit pas d’exalter les foules.
