Il est directeur musical de l'Opéra de Rome et est considéré comme l'une des références de la direction musicale en Italie, notamment pour Verdi et Rossini. Il vient de diriger une série de représentations de Norma à la Staatsoper de Vienne après des années d'absence du répertoire dans la nouvelle production signée Cyril Teste, où il a complètement transfiguré la musique de Bellini, remportant un immense succès.
Michele Mariotti nous avait accordé un entretien en février 2017 à Munich à l'occasion de la première sur place de Semiramide de Rossini et huit ans plus tard, nous le retrouvons à Vienne à l'occasion de cette Norma dont la dernière production scénique remonte à 1977 (Caballé, Muti). Nous l'avons retrouvé peu avant la représentation du 6 mars, dans sa loge, où il nous a reçus avec sa cordialité et sa simplicité habituelles pour parler de Norma, de Bellini, de l'évolution de sa carrière et aussi de goûts symphoniques et musicaux parfois inattendus.
Tout d'abord, je voulais vous féliciter pour le prix Abbiati[1] pour Ermione à Pesaro : c'était une belle production à tous les égards, musicalement et scéniquement, et votre direction était exceptionnelle.
Mais parlons de Norma.
Je suis un peu surpris par ce retour brutal sur les scènes de Norma. Il y en a partout, à Florence maintenant, à Milan dans quelques mois, une reprise à Francfort et même deux ici à Vienne en même temps, n'est-ce pas dérangeant ?
[1] Le «Premio Franco Abbiati della critica musicale italiana » institué en 1980 est le plus important prix italien en matière musicale, décerné par un jury composé de critiques musicaux de référence.
Pas pour moi, pas dans le sens où quand je travaille, je fais mon travail sans regarder ailleurs... mais si je ne me trompe, Norma au Theater an der Wien devait avoir lieu il y a quatre ou cinq ans, et elle a été reportée à cause du Covid et maintenant, c'est une coïncidence, oui, étrange je dois dire, mais ensuite chacun fait son travail et c'est tout.
Parlons donc de ce travail à la Staatsoper...
Nous avons fait une Norma très bellinienne, je crois pouvoir le dire, même avec le travail avec l'orchestre, sur les accents, la légèreté, et aussi les changements d'humeur, car Norma n'est pas seulement douceur, c'est aussi de la colère, de la nervosité, il n'y a pas que cette mer calme. Elle en vient à penser à tuer ses enfants et il y a des moments où il y a des accents vraiment verdiens, mais je suis né avec les enseignements un peu du passé que Bellini ne peut être ni Rossini ni Verdi… Bellini est singulier.
Il ne doit donc y avoir d'exagération ni d'un côté ni de l'autre, si l'on ne veut pas perdre son unicité, son caractère, son style. Et, par exemple, avec l'orchestre qui, disons-le clairement, est fantastique, on a beaucoup travaillé pour ne jamais trop s'attacher à un détail, à un moment, car sinon on perd la perspective, car non seulement les mélodies sont longues, très longues, mais aussi la structure, et j'ai choisi de déplacer le temps à l'intérieur, en suivant une motivation, lorsque le dialogue devient dialectique, il devient plus serré, alors je me déplace en fonction de ce qui est dit, en fonction de la façon dont c'est dit, donc nous avons vraiment fait un travail très belcantiste. Belcantiste dans le sens où je l'entends.
Dire Rossini-Donizetti-Bellini, c'est du bel canto, non je ne suis pas d’accord. Pour moi, le bel canto est une philosophie, une façon de comprendre le travail avec la voix, une façon de soutenir la phrase, c'est ça le bel canto, qui ne consiste pas à bien chanter les notes, mais à les tenir. C'est pourquoi Bellini est très difficile.
J'ai justement un peu de mal à le classer, contrairement à Donizetti qui est directement lié au départ à Rossini : le jeune Donizetti est en effet complètement rossinien. Mais Bellini…
Mais c’est pareil pour Verdi, le lien Rossini-Verdi-Puccini est très clair.
C'est pourquoi je disais que Bellini est difficile parce qu'il a sa propre identité et si l'on a peur, je pense, de se perdre dans cette mer, dans cette mélancolie faite de ces arpèges et que l'on fait peut-être tout rapidement parce que l'on a peur d'ennuyer, on se trompe, il faut croire en ce style.
Ensuite, il faut peut-être bouger, car il y a toujours un moment où il faut faire attention à garder la structure en place. Par exemple, si l'on pense à Casta diva, si l'on veut la jouer rapidement parce qu'on veut la faire d'un seul souffle, c'est peut-être techniquement plus facile, mais on perd la magie... À ce moment-là, il doit y avoir cette suspension, Bellini est aussi fait de cette magie-là, puis il est aussi fait de choses plus serrées, plus rapides, quand Norma devient une furie. Le tempo rapide ou lent n'est pas une question de métronome, c'est une question de ce qui se passe à l'intérieur du tempo.
Et la relation avec le texte?
Elle est très importante. C'est ma quatrième Norma, après Turin, Bologne et ici sous forme scénique. Sous forme concertante je l’ai dirigée il y a deux ans au Concertgebouw d’Amsterdam. Chaque fois, c'est différent car les voix changent. Ce répertoire est très lié aux chanteurs qui y participent, aux voix, à leurs besoins, à leur phrasé, c'est le bel canto en général, mais aussi à la mise en scène, à cette action dite et criée… Parfois si elle est dite doucement entre les dents, c'est encore plus fort. Le cri peut être plus faible qu'une prononciation vraiment faite avec une colère rentrée, cela est également lié à ce qui se fait dans l'orchestre ; donc pourquoi peut-être ce forte devient doux ou vice versa, il en va de même pour le concept de variation... Même chez Rossini, je n'aime pas trop varier parce que la musique semble faible et avoir besoin de notre aide. Il faut varier juste ce qu'il faut pour enrichir et non pour bouleverser… Et surtout la phrase doit toujours être reconnaissable.
Et alors, que faisons-nous avec Schubert, le jetons-nous aux orties parce qu'il se répète ? Combien de fois Schubert se répète-t-il ? Et moi, enfant (parce que j'adore Schubert), je disais en l'écoutant « oooh », puis en grandissant, j’ai toujours envie de l’écouter et de le réécouter, tellement la musique de Schubert est belle, tellement elle est profonde...
Et comment s'est passée la relation avec la mise en scène de Cyril Teste ?

La mise en scène est en phase avec la musique et raconte exactement l'histoire telle qu'elle est.
Ensuite, je pense que jouer Norma n'est pas facile, car les parties vocales sont vraiment très difficiles, un chanteur ne peut pas courir ou faire des choses extravagantes, bien sûr ; mais lui, en plus d'être une personne exquise, a été très fidèle aux exigences musicales et nous avons toujours été d'accord. Par exemple, le chœur guerra, guerra se termine là, il n'y a pas de coda, qui est magnifique et que je faisais, mais s'il y a une coda, il doit y avoir une raison dramaturgique.
C'est peut-être le seul moment vraiment violent. Il doit donc y avoir une raison pour justifier cet adoucissement à la fin. Sinon, c'est parce que le metteur en scène n'en veut pas, et c'est inutile de le faire. Ainsi, c'est la seule décision, disons forte, que j'ai prise en ce qui concerne la relation à la mise en scène, aussi parce qu'il y a ensuite deux éditions différentes, mais pour le reste, nous jouons tout.
Que pensez-vous de cette sacralisation de Norma, qui n'a pas été jouée depuis des années dans les grands théâtres de référence comme la Scala, et qui n'a plus jamais été jouée depuis 1977 ?
J'y ai pensé, mais je n'ai pas de réponse, car à la Scala, par exemple, il y a un autre titre qui manque depuis très longtemps, I Puritani (NdR : depuis 1971...).
À mon avis, c'est plus une question psychologique, parce que Norma, c'est la Callas... mais bon, nous sommes aussi en 2025 et il y a aussi des rôles plus compliqués. Norma est très difficile, ce n'est pas le seul rôle difficile, parce que dans Norma, tout le monde pense à casta diva. Si vous avez une belle voix et un beau legato, c'est tout ce qu'il y a à faire, mais il est évidemment difficile de chanter la cabalette, et nous la faisons deux fois, mais le sens de Norma ne se résume pas à cela, il y a bien plus, elle a cette humanité en main, il y a aussi beaucoup de son caractère à d'autres moments, par exemple dans le duo avec Pollione ou même dans le final du premier acte. C'est là d’ailleurs que se trouvent les seuls échos verdiens. C'est là qu'il faut vraiment sortir les griffes. Et le deuxième acte est, à mon avis, encore plus difficile. Puis, aux trois quarts de l'opéra, Bellini vous écrit une cadence où vous devez prendre un do... C'est très difficile.
Sacralisation… Honnêtement, je suis un peu contre en général. Donc, nous devons sacraliser tout. Ensuite, il y a aussi les modes. Il y a des œuvres qui ne sont peut-être pas jouées pendant de nombreuses années et cette année-là, on les retrouve partout. Je me souviens qu'il y a de nombreuses années, lorsque j'ai joué le Guillaume Tell à Pesaro, il a ensuite été joué en Allemagne, à Londres, à Rome, comme si soudainement, il y avait Guillaume Tell partout ! L'année dernière, lorsque j'ai fait le Tell à la Scala, l’œuvre était absente depuis plus de trente ans, depuis que Muti l’avait faite. Honnêtement, je ne sais pas pourquoi il y a ces modes.
Dans Norma, on dit souvent que la voix la plus claire est celle d'Adalgisa et que celle de Norma est d’une couleur sombre.
Je partage cet avis, je pars surtout d'une considération dramaturgique et musicale. Adalgisa est une jeune fille. Le poids de la vie, le vécu de Norma, ne pèse pas sur les épaules d'Adalgisa, Adalgisa est une jeune fille qui souffre parce qu'elle a commis une faute, celle de tomber amoureuse. Dans le duo Rimembranza, Adalgisa est désespérée. Et Norma lui dit « non ti lega il sacro noto » (Tu n’es pas liée par le rite sacré). Alors ne pleure pas, ne souffre pas, tu peux tomber amoureuse.
C’est Norma qui ne le peut pas. Quel est le problème ? Qu'elle tombe ensuite amoureuse du même homme. Donc Adalgisa doit être une jeune fille, il ne faut pas la rendre trop mature. Et puis, d'un point de vue musical, le duo « Le rimembranze » est une véritable magie théâtrale.
Elle raconte son histoire d'amour qui est la même que celle de Norma, donc elles revivent exactement les mêmes émotions et inconsciemment parce qu'elles sont liées au même homme qu'elles ne savent pas encore être le même homme.
Donc, quand vous avez plus ou moins le même timbre de voix, c'est-à-dire quand vous avez deux sopranos, il y a une vraie fusion, qui n'existe pas si vous avez une mezzo et une soprano. Presque comme si si vous fermiez les yeux sur qui chante, qui parle, car les deux ont vécu les mêmes émotions…
C'est magnifique. Et de toute façon, Norma a clairement un accent différent et on le voit surtout dans le premier final du premier acte, et surtout dans le deuxième acte. Ça, oui.
Alors, il y a Federica Lombardi qui est soprano et Vasilisa Berzhanskaya...

Mais Berzhanskaya est déjà plus orientée désormais vers le registre de soprano, en effet, pour elle, nous n'abaissons pas les duos, nous les faisons tous en tonalité, nous ne touchons à rien de l'original, mais vous allez l’entendre, elle tient très bien ce registre, en effet, elle n'a pas de difficulté à chanter les do.
Et c’est pareil pour Flórez. Nous sommes en effet habitués à avoir un accent différent pour Pollione.
Pollione n'est pas un personnage très intéressant en soi.
En tant que chef, vous êtes souvent considéré comme un Rossinien...
En réalité, j'ai dirigé beaucoup plus de Verdi que de Rossini, beaucoup plus, plus du double. Alors que j'ai dirigé souvent Rossini, mais souvent le même opéra...
Mais bien évidemment ça me fait plaisir parce que ça veut dire qu’il est reconnu que je le fais bien, ça oui, mais je n'aime pas trop les étiquettes. Je pense que c'est lié au fait que je suis né à Pesaro[1], parce que je le répète, le Verdi que j'ai dirigé dépasse de loin le Rossini que j'ai dirigé.
[1] Ville de naissance de Rossini et siège du Festival Rossini fondé par le père de Michele Mariotti, Gianfranco Mariotti (1933-2024).
Ce qui me semble clair, en tout cas, c'est qu’à chaque fois qu'il s'agit de Rossini, c'est un triomphe (par exemple Ermione l'été dernier), puis vous avez également fait un très beau jeune Verdi et votre répertoire s'est élargi. Mais est-il difficile pour un chef d'orchestre italien de sortir du répertoire italien ?

Sous ce rapport, ces années à Rome sont importantes. Parce que j'élargis actuellement fortement mon répertoire, j'ai fait Dialogues des Carmélites de Poulenc, Le Château de Barbe-Bleue de Bartók et maintenant je vais faire Il Prigioniero de Dallapiccola, il y a aussi eu Peter Grimes de Britten et L'Heure Espagnole, toutes choses très belles et intéressantes.
Il y a bien sûr des répertoires que j'ai aimé diriger. Je ne sais pas s'il y a un préjugé... D'autant plus que les choses qui me sont proposées ne sont pas toujours possibles : parfois on ne peut pas, parfois on n’a pas de temps... Mais honnêtement, je suis contre les barrières, cela voudrait dire alors qu'aucun Italien ne serait digne de diriger Tchaïkovski ? Même si, à mon avis, il est clair qu’entrent aussi dans la manière de diriger et la culture, les connaissances, la familiarité avec un répertoire.
Comme je l'ai dit précédemment, si vous dirigez Norma (ou Bellini) et que vous le faites très vite de peur d'ennuyer, vous obtenez l'effet inverse, vous dérangez, vous allez à l'encontre d'un style, d'une manière musicale. Et si je disais « Giotto, je n'aime pas, c'est tout plat », c'est le style de cette période, de cette dimension, non ?

Et en même temps, je pense, et je le dis toujours, qu'une partition est comme un costume, tant que vous ne l'essayez pas, vous ne pouvez pas dire s'il vous va bien ou non.
Alors, la question est simplement de savoir quel costume vous avez envie d'essayer ?
Dans l'opéra, ceux que j'essaie... maintenant je vais faire Lohengrin à Rome, cet été je fais West Side Story à Caracalla, et ces dernières années j'ai fait beaucoup de répertoire du XXe siècle et j'aime beaucoup, enfin Peter Grimes, ainsi que j'adore le dernier Verdi, j'ai tout dirigé, Simon Boccanegra, Otello, Falstaff, maintenant je vais refaire Falstaff, j'ai fait Otello deux fois, trois fois Simon Boccanegra, c'est le répertoire qui me ressemble le plus, j'adore tout Verdi, mais aussi beaucoup Puccini : Tosca, il y a peu (ndlr : en janvier 2025), a été un moment très fort pour moi, pour moi qui ne l'avais jamais dirigée. Puccini est vraiment un génie.
Vous ferez donc Lohengrin. Presque tous les chefs d'orchestre italiens commencent Wagner par Lohengrin.
Oui, soit Le Vaisseau fantôme, soit Lohengrin...
Abbado avait commencé Wagner avec Lohengrin, et Muti a commencé avec Le Vaisseau fantôme...
Parce que, à mon avis, il y a une logique dans le parcours.
Et il y a un opéra de Wagner que vous aimeriez diriger, qui serait, je dirais, votre rêve secret ?
J'ai du mal à y penser...
On pense à un titre, puis on se dit pourquoi l'un et pas l'autre. Mais bien sûr il y a Tristan... Mais pour l'instant, pensons à Lohengrin !
Même si je ferai aussi du Wagner dans le symphonique… Et je ferai aussi du Strauss, ce sont des auteurs essentiels... et en ce moment, je fais beaucoup de symphonique.
Quels compositeurs ?
En réalité, je ne peux pas en citer un, car comment préférer Beethoven à Schumann, Brahms à Mozart...
Vous avez parlé de Schubert tout à l'heure...
Oui, je l'ai beaucoup dirigé. Schubert, les Romantiques, Mendelssohn, Brahms, j'en ai fait beaucoup, même pendant mes années à Bologne.
En ce moment, je suis dans Mahler, car il y a un lien très étroit entre Schubert et Mahler, et même Brahms. Mais maintenant, avec la maturité, je vois aussi Beethoven d'une manière différente. À la Scala, je fais Brahms et Schumann, à Lugano, je fais Mendelssohn et Saint-Saëns. L'année dernière, j'ai joué la cinquième de Mahler et je reviendrai jouer la quatrième de Mahler à Bolzano et à Stuttgart... Je dirige aussi Dvořák.
Ensuite, dans le choix d'un programme, il faut aussi faire attention car on ne peut pas toujours faire ce que l'on veut : l'orchestre a peut-être déjà joué un compositeur peu de temps avant, ou pour des questions d'équilibre d'une saison, il faut changer...
Cependant, je me diversifie vraiment dans le domaine symphonique et j'en suis heureux. Maintenant que je travaille en Allemagne, les orchestres allemands me réinvitent et c'est très agréable et satisfaisant pour moi.
Votre poste à Rome vous permet-il de faire de la musique symphonique avec l'orchestre ?
À Rome, nous faisons du symphonique, et cela fait beaucoup de bien à l’orchestre, et c'est très utile. Vous devez sortir de la protection de la fosse, qui est un lieu qui protège. Lorsque vous montez sur scène, à vue, ce n'est pas un autre travail, mais c'est autre chose, c'est une autre dimension. Dans la fosse, l'opéra est une « zone de confort », puis quand on est sur scène, c'est tout autre chose, plus à découvert, c'est un répertoire différent, les connaissances s'élargissent. Je dis toujours que l'opéra aide le symphonique et que le symphonique aide ensuite l'opéra.
Il faut embrasser les deux mondes, on ne peut pas faire l'un ou l'autre.
N'avez-vous pas d'orchestre attitré ?
Non, mais je travaille avec certains orchestres depuis de nombreuses années, à Köln (Cologne) avec la Haydn à Bolzano, maintenant je retourne à Lugano, avec l'Orchestre philharmonique de la Scala et l'Orchestre de la Scala j'ai beaucoup de projets, maintenant je vais aussi au Maggio Musicale Fiorentino et j'y retournerai. Ce sont des orchestres avec lesquels je collabore beaucoup.
Mais bien sûr, j'aimerais beaucoup avoir mon propre orchestre. Cependant, je peux travailler avec ces orchestres avec lesquels j'ai déjà des contacts et faire mes propres choix, car je suis libre de travailler comme je veux. C'est bien. Mais je dois dire qu'en Allemagne aussi, j'ai toujours trouvé une grande disponibilité, justement pour un Italien. Par exemple, ici aussi, les Wiener sont un très grand orchestre, mais pour eux, il est peut-être plus facile de jouer du Strauss que Norma.
Donc, au début, il y a eu aussi un très beau travail avec eux. Et ils font les choses impeccablement. C'est un travail d'équipe, moi qui ai la chance de faire de nouvelles productions ici, cela signifie que j'ai beaucoup de temps pour répéter, donc si un accent est présent, il peut être plus doux ou comme un point plus brutal, il y a plusieurs façons d'accentuer et c'est une langue à déchiffrer. Et ils sont tellement bons qu'ils le font sans problème.
Il y a de nombreux chefs italiens qui dirigent en Allemagne et Autriche, notamment dans des reprises de répertoire.
Pour moi, la différence entre une reprise et une nouvelle production, c'est qu'avec la nouvelle production, on peut imposer son approche.
Ici à Vienne, j'ai fait le nouveau Barbiere en 2021 (NdR : production Herbert Fritsch)... une distribution de stars, un nouveau Barbiere après 56 ans, j'ai eu toutes les répétitions possibles, l'orchestre a fait ce que je voulais, et je dois dire qu'ils ont très bien joué.
Ensuite, j'ai fait une seule reprise, deux ans plus tard. Donc après 2021, j'y suis retourné en janvier 23. Entre-temps, ils ont joué deux ou trois fois avec d'autres chefs. Quand on revient pour la reprise, il n'y a pas de répétitions et on va directement en scène. Et ils ont joué exactement comme en octobre 21, j'étais presque choqué, parce que rien du travail qui avait été fait n'avait été perdu !
C'est clair que nous avons passé un mois ensemble et que j'étais toujours présent. Mais je vois que même maintenant, avec un répertoire qui est très dangereux, normalement parce que l'orchestre peut s’y perdre, c'est la troisième représentation, nous avons fait la pré-générale, la générale, la première, la deuxième et maintenant la troisième, il n'y a jamais ni bavure ni problème quelconque.
Mais cela peut être très dangereux. Et il est difficile de rester concentré sur un répertoire qui, si on ne s'y investit pas, peut être mortel et tomber dans la médiocrité
Donc, j'ai été encore plus satisfait par cette Norma que par Barbiere. Parce qu'il y avait beaucoup plus de risques pour l'orchestre de se laisser aller, alors que là, ils sont toujours là, concentrés, tout le temps.
Parlons maintenant plus généralement : avez-vous des modèles dans l'histoire de la direction musicale ?
J'ai tendance à prendre beaucoup de choses de tout le monde, dans le sens où je respecte tout le monde.
Je ne suis pas mélomane, je ne suis pas né mélomane, donc je n'aime pas trop juger en tant que mélomane, mais quand je le fais par curiosité ou par culture, je suis très attiré par les grands du passé, car ce qui m'attire, ce n'est pas tant le tempo mais la construction du son, c'est ce qui m'intéresse beaucoup. Donc les grands du passé, de Walter à Bernstein, mais aussi Klemperer. Si nous écoutons maintenant Klemperer, nous disons « mon Dieu, comme il est lent !», même Celibidache, mais il y avait une tension, une profondeur... maintenant, il y a cette mode de tout faire vite, non ? Comme s'il y avait cette peur de faire vite parce que comme ça on ne s'ennuie pas, mais si j'écoute tout vite après cinq minutes, je m'ennuie terriblement. Pour moi, le son des grands de jadis est tout : timbre, couleur... La tension du son qu'ils parvenaient à obtenir est incroyable.
Quand je vous entends diriger, le rendu me semble toujours très doux, jamais brutal, même quand il y a de l’énergie.
Oui, parce que tout est question de couleur. Je travaille beaucoup là-dessus. Ensuite, il est clair que quand il faut être décidé... mais il ne faut jamais être grossier. Il doit toujours y avoir une dignité sonore, sinon ça devient un cri, ça devient un bruit, et ça, je n'aime pas.
Puis j'ai changé au fil des ans, il y a dix ans j'étais très « doux », comme vous le disiez, un peu trop, parfois cela manquait un peu d'énergie et je m'en suis rendu compte surtout dans le répertoire verdien, mais j'applique cela partout, même dans Rossini, et maintenant je joue beaucoup plus sur les contrastes et quand c'est nécessaire avec plus de décision, plus de violence.
Oui, je suis moins timide. Avant, c'était comme une sorte de timidité, disons, pour moi, il y a eu un tournant à partir de 40 ans. Je vieillis (rires).
Comment voyez-vous votre avenir maintenant ? Toujours à Rome ?
Non, tout est encore en suspens car nous attendons évidemment les nominations des nouveaux « sovrintendenti » (NdR : les nouveaux directeurs d’opéra). Même s'il ne devrait pas y avoir de surprises. Donc, attendons, nous verrons ensuite...
À Rome, le travail se passe très bien, je dois dire, je suis très content.
Quand expire votre contrat à Rome ?
25-26 serait la dernière année,
Ça s'est très bien passé à Rome.

Oui, en effet.
Nous avons organisé de nombreux concours, l'orchestre rajeunit, il change beaucoup, le chœur aussi. Nous travaillons bien, nous faisons beaucoup de choses, même un peu difficiles, justement, parce que nous ne faisons pas que Rigoletto.
Pensez seulement que ma première inauguration fut Dialogues des Carmélites, puis comme je l'ai dit, il y a eu Bartók, Ravel, Peter Grimes... Nous avons fait des choix un peu courageux.
Et pour moi, c'était toutes des premières fois, donc il y avait toujours un peu d'interrogation. Et je ne voulais clairement pas faire à Rome des choses pour lesquelles je suis déjà connu. Je n'aurais pas eu à faire d'efforts et j'aurais eu du succès. Au lieu de cela, j'ai voulu me mettre en jeu à chaque fois. C'est aussi important.
Vous parliez de XXe siècle... et Berg... ? Wozzeck ?
Eh bien oui, je pense à Wozzeck,
Justement Deborah Warner pendant les répétitions de Peter Grimes, m'a dit « faisons Wozzeck, oui faisons Wozzeck ! »... qui sait ? Wozzeck m'attire beaucoup, aussi parce que j'ai un diplôme de composition et que j'ai étudié tout Wozzeck pendant ma dernière année à Pesaro, donc j'ai la partition complètement analysée et c'était incroyable. C'est un grand chef-d'œuvre, mais je dois dire que Peter Grimes a également été une très belle expérience pour moi.
Pour moi, Peter Grimes est une union entre Simon Boccanegra et Wozzeck. Il y a aussi le thème de la société qui ne fait rien, au contraire, elle te laisse mourir, le rapport avec la mer, la solitude.
C'est un Simon nordique. Il faut aussi un chanteur qui le porte. Allan Clayton à Rome était fantastique.
Et Janáček ?
J’ai étudié Jenůfa pendant le Covid. C'était un projet à Rome, puis ça ne s'est pas fait. La petite renarde rusée est aussi un pur chef-d'œuvre. Eh bien, lui aussi est vraiment un grand... Mais j'y arriverai petit à petit.
© Michael Pöhn (Wiener Staatsoper)
© Amati Bacciardi. (Pesaro)
© Fabrizio Sansoni (Rome, Carmélites)